First Man
Dans le cadre de mes nouvelles de Noël 2018, voici une nouvelle pour Claire, une de mes amies d'université, sur les thèmes de la nature, de la liberté et de l'harmonie. Vous verrez que le résultat est sans doute quelque peu inattendu ;D
Bonne lecture !
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La porte du vaisseau coulisse lentement. Aucun son ne s'échappe dans l'infini de l'espace. Dehors, l'immensité. Un vide comme il est impossible d'en concevoir sur Terre : obscur, glacé, impitoyable dans ses ténèbres ininterrompues. Les étoiles semblent plus loin ici, plus froides. Elles ne sont pas sublimées par le voile de l'atmosphère. Elles gisent là en spectatrices silencieuses, telles des diamants perdus dans les profondeurs de la pierre, des milliers d'yeux morts et qui pourtant regardent.
Neil ne sait pas pourquoi de telles pensées lui viennent à l'esprit, en cet instant historique. Que devrait-il penser, exactement ? Quelles réflexions animent un homme sur le point de poser le pied sur la Lune ?
La Lune...
Elle se dévoile là, à ses pieds, ridiculement proche et ridiculement réelle, concrète. Il la voit, elle est là. Il voit sa poussière et sa terre, son relief, ses cratères, ses montagnes. Tout se déroule là avec l'acuité de son regard, si loin des photographies troubles, des rapports de sondes, des vidéos. Il la voit. Elle existe, aussi tangible que la Terre qu'il a quittée quelques heures plus tôt. C'est un tout nouveau fragment de réalité qu'il découvre. En posant le pied sur la Lune, l'Homme ne fait pas qu'accomplir une mission spatiale hors du commun : il étend véritablement son horizon. Il repousse les limites de son monde connu, pour y inclure ce fragment d'incroyable, ce panorama fracturé que Neil contemple aujourd'hui.
Une pleine aride. Un désert argenté où la lumière semble émaner de la terre, et où les ombres s'enfoncent dans les profondeurs de l'inconnu. Elles creusent, elles noient, elles dévorent, étrange peinture en ombre chinoise d'une beauté troublante.
Neil ne peut le nier, il est ému. La vision qui s'offre à ses yeux n'appartient qu'à lui, l'espace de quelques secondes. Il est le premier homme sur la Lune. Bientôt, Buzz viendra le rejoindre, et cette réalité existera pour un autre être humain que lui. Mais pour l'instant, il est le seul.
Le seul.
Une intense solitude l'étreint tout à coup. Une angoisse vertigineuse, qui s'écrase sur lui d'un seul coup pour lui rappeler son foyer, sa famille, et la Terre si loin, si loin...
La distance qui le sépare de ses proches est inconcevable. Entre sa petite maison de Memphis, Tennessee, et le lieu où il se trouve, il y a l'espace. L'espace. Il ne se trouve pas sur la même planète que les gens qu'il aime. Il n'est même pas sûr de les revoir.
La gorge serrée, Neil ose lever les yeux vers l'univers. La Terre siège là au-dessus de lui, reine au milieu des étoiles, dans une inversion absurde. Après avoir passé tant d'années les yeux fixés sur la Lune, le voilà à présent qui ne demanderait qu'à la quitter, qu'à rejoindre la Terre, la Terre encore, cette Terre qui ne lui a jamais paru si réelle et si lointaine en même temps.
C'est digne d'un scénario de science-fiction. Ce qu'il est en train de vivre, aucun être humain n'était préparé à le vivre. Pendant ces sept années, le programme de la NASA l'a entraîné pour toutes les situations possibles, chaque imprévu, chaque manœuvre technique. Mais ils ont oublié l'essentiel. L'Homme, face à l'Infini. L'infiniment grand qui tue l'infiniment petit. Le sens qu'ils auraient dû donner dès le départ à toute cette entreprise.
L'Homme est si petit face aux éternités qui se dévoilent devant lui. Et pourtant, capable de tant de choses... A la fois insignifiant et précieux, minuscule et rare. Cette dualité se débat dans l'esprit de Neil tandis qu'il effleure la surface de la Lune pour la toute première fois.
Son empreinte s'imprime là, telle une cicatrice. Elle y demeurera pour toujours. Quelle responsabilité pour ses seules épaules... Un brusque accès de colère l'envahit. Pourquoi lui ? Comment a-t-on pu prendre la décision de reposer ce poids énorme sur lui, et lui seul ?
Dans cet instant qui transcende l'existence, il oublie tout de son entrainement, de ses motivations, de la volonté d'acier pur qui l'a conduit jusqu'ici. Non, il redevient simplement un homme, perdu dans un univers gigantesque. Partagé entre l'exaltation et la terreur absolue. Devrait-il se réjouir ? Ou craindre sa mort prochaine ? Si loin de chez lui, personne ne pourra lui venir en aide... Il ne peut compter que sur lui-même.
Buzz le ramène à la réalité. Brusquement, la bulle se brise : la Lune devient habitée, se remplit de leurs deux existences qui la profanent, et les deux hommes doivent entamer leur travail.
Plusieurs heures plus tard, lorsqu'arrive déjà l'heure de repartir, Neil a presque oublié qu'il se trouvait sur la Lune. Etrange, à quel point on peut vite s'habituer à l'extraordinaire. Neil se prend déjà à regretter ce paysage mélancolique, ce petit bout de pierre morte, abandonnée seule dans le vide et le froid, à la fois si loin et si proche de la vie trépidante de sa glorieuse voisine.
Neil entame le voyage de retour. Les images de la Lune hantent sa rétine. Il n'arrive plus à concevoir le monde qui l'attend à l'arrivée ; son cœur est désormais rempli de cet autre monde qu'il a découvert, une autre planète, un autre pan de l'univers.
A l'atterrissage, la liesse de l'Humanité toute entière l'emporte et l'acclame. Neil est perdu. Lui qui a connu la solitude dans le dénuement le plus absolu, comment revenir à un monde peuplé de six milliards d'individus ? Comment leur faire comprendre, ne serait-ce qu'un seul instant, l'intensité de ce qu'il a vécu ? Il brûle de partager son expérience, mais se heurte à l'inexprimable.
Lorsqu'on le laisse enfin ressortir au grand jour après une longue quarantaine, Neil respire l'air autour de lui. Le Soleil réchauffe sa peau. Le vent caresse délicatement sa peau, hérisse les poils à l'arrière de sa nuque. Il se sent libre. Il est chez lui. L'aventure l'a profondément changé à jamais, il le sent. Il ne portera plus jamais le même regard sur le monde. Désormais pour lui, le monde est plus grand. Il sait qu'il existe d'autres terres dans cet univers, d'autres horizons. Il les a vus. Il a eu la vision de sa planète flottant haut au-dessus de lui dans l'immensité de l'espace. Et toutes ces étoiles, avec les promesses fabuleuses qu'elles miroitent...
Neil a touché à quelque chose de plus grand que lui-même. Désormais, il peut rentrer chez lui. Il peut redevenir un homme parmi les hommes, poursuivant sa petite vie pas si ordinaire, transformé par ce qu'il a vécu. Il peut désormais apprécier la beauté de la Terre, avec le regard unique d'un homme qui a connu la Lune.
La Lune avec sa beauté brisée, vide et torturée... La Terre, en comparaison, parait si pleine de vie. Elle resplendit aux yeux de Neil aujourd'hui. Elle se dévoile dans son infinie richesse, son foisonnement de plantes, d'animaux, de mouvement, sa joie, son éclat, sa sève.
Il faut les protéger. Neil est rentré de son voyage plein d'humilité, face aux dimensions colossales de l'univers, et au miracle que représente, au milieu de toute cette nuit, notre toute petite Terre.
Désormais, lorsqu'il lève les yeux vers le ciel pour dévisager la Lune, Neil revoit ce panorama à couper le souffle où ses empreintes subsistent, toujours. Il songe : « Je l'ai fait. J'y suis allé. »
Et il sourit, en songeant à la beauté que la Lune lui a enseignée.
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