Narcisse

Narcisse se penche vers le miroir.

Elle est belle. Trop belle.

N'en déplaise aux jaloux, n'en déplaise aux moqueurs, n'en déplaise à ceux qui sifflent, de loin, et repartent en riant.

N'en déplaise aux stries qui zigzaguent sur sa peau, le long de ses bras, comme autant de lignes brisées qui n'altèreront jamais cette beauté inégalée, subie.

Elle touche le miroir de ses longs doigts terminés par des ongles parfaits, nets.

Elle touche ses joues roses et sursaute face à l'humidité incongrue qu'elle y décèle, malgré les avertissements du miroir : "tes yeux vont être rougis, ça t'ira mal au teint !"


Narcisse se penche vers le fleuve tranquille.

Son reflet tout en bas ne dit rien, la contemple.

Ses larmes se mêlent au cours de l'eau, transformant la rivière en saumure.

Mais rien de troublera jamais la beauté éternelle de Narcisse. Et elle lui en veut. Elle voudrait se fondre dans la masse, passer inaperçue, devenir anonyme. Son corps l'en empêche.

Et elle lui en veut.

Elle en veut à tout le monde et surtout à elle-même.


Narcisse se penche.

La lune donne à l'eau une clarté trouble.


Narcisse lâche prise.

Son corps parfait fend à peine le courant.

Ses poumons crient, mais c'est un mal nécessaire.

Ses remords s'envolent à la morsure de l'eau glacée.

Sa vie aussi.


Entre la marguerite et le chèvrefeuille, une petite fleur blanche a vu le jour. Elle est frêle mais s'enhardit de jour en jour. Ses racines plongent dans l'eau.

On l'appelle narcisse.

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