La fille du potier
Le jeune homme regardait les vagues se fracasser sur la coque du navire. Bientôt, il arriverait à Corinthe. Il espérait que sa maîtrise serait bien accueillie là-bas et qu'il trouverait facilement l'atelier chez lequel il doit se rendre. Il lézarda un instant au soleil tandis que les marins s'affairèrent tout autour de lui.
Il vit enfin Corinthe au loin, la cité semblait bouillonner de vie, il alla récupérer son matériel avant l'accostage. Une fois à quai, il se laissa porter par l' odeur âcre du vin provenant des amphores posées sur les quais, prêtes à être envoyées vers d'autre lieu et par le bruit de la foule, étrange cacophonie des différentes langues grecques. Il ne comprenait rien, il ne parlait pas un traître de mot de Grec quel qu'il soit, lui venait d'orient, d'Assyrie précisément. Il était là pour enseigner les techniques métallurgiques des maîtres orientaux à un potier corinthien. Au loin, quelqu'un lui faisait de grands gestes et venait vers lui en courant, un Corinthien sans nul doute, il devait l'avoir reconnu à ses habits. Il pressa le pas en la direction du Corinthien.
Arrivé à l'atelier du maître potier, le jeune assyrien déposa ses affaires dans une petite chambre, car la maison du potier jouxtait son atelier où travaillaient une dizaine d'employés. Peu après s'être installé, il commença à montrer ses techniques au potier.
Le soir venu, il mangea avec le potier et alla se coucher dans sa petite chambre qui était vraisemblablement à la base une petite remise. Allongé sur sa paillasse entre canthares et amphores, il n'arriva pas à fermer l'œil. Corinthe était bruyante, même de nuit. Il se retourna dans sa paillasse, et se retourna encore, puis se leva, décidant d'aller voir la cuisson des céramiques alors laissées plutôt dans l'après-midi au soin d'un grand feu étouffé. Alors qu'il se dirigeait vers la cours, une faible lueur sous le pas de la porte de l'atelier interpella son regard, il se dirigea lentement vers elle et entrouvrit la porte.
Une jeune femme était assise de dos, ses cheveux noir jais étaient ramassés en un chignon épais, sa tunique talaire blanche couvrait tout son corps à l'exception des bras, nus, qui s'agitaient légèrement. Le jeune homme devina rapidement, elle était en train de modeler l'argile. Il s'approcha lentement d'elle, doucement ne souhaitant pas la troubler.
La jeune fille était très appliquée dans ce qu'elle faisait, elle confectionnait un tout petit vase à parfum, un aryballe, de près de sept centimètres, la tâche n'était pas aisée. Elle s'appliqua à modeler un visage au col de son aryballe, un visage féminin, lourd et fermé à la chevelure épaisse et tressée. Un bruit lui parvint aux oreilles, discret, un léger frottement de tissu venant de derrière, elle se leva précipitamment, craignant la colère de son père. Elle trouva le jeune homme face à elle et leurs regards se croisèrent.
Ils restèrent un instant à se contempler, sans rien dire. Mais que pouvaient-ils bien se dire de toute manière ? L'une grecque, l'un assyrien ? Ils ne pouvaient pas se comprendre par le langage, mais qu'importe, ils se comprenaient par un regard.
Presque sans la quitter des yeux, le jeune homme sortit de l'atelier, pour la laisser en paix finir son œuvre. Il alla se coucher, le cœur chaud et léger.
Il se leva et commença sa journée, guettant la jeune fille. Il s'occupa du four, pour sortir les céramiques désormais finies et trouva celle de la jeune fille, glissée parmi les aryballes du maître potier. Elle était peinte, un navire enlacé dans des entrelacs et des palmettes couvrant toute la panse, le tout d'un vernis noir et légèrement incisé afin de donner des détails au petit navire. Il décida de cacher la céramique dans sa chambre et attendit le soir.
La jeune fille s'affairait de nouveau à sa céramique, toujours une aryballe, mais à tête léonine, au museau pointu. Elle entendit un léger coup à la porte, le jeune homme revenait. Elle lui jeta un regard, il tenait dans sa main l'aryballe à tête féminine. Il lui tendit et elle lui fit un signe de la main. Elle voulait qu'il la garde, comme un cadeau de bienvenue. Le jeune homme s'assit et observa le travail de la jeune fille. Il ouvrit de grands yeux lorsqu'il vit le museau pointu du lion, c'était un détail assyrien.
Elle le regarda un instant, et lui désigna une motte d'argile. Il fronça les sourcils, voulait-elle qu'il essaye ? Il prit la motte et s'agenouilla près de la jeune fille, et commença à modeler l'argile.
C'était assez pitoyable à vrai dire. Son domaine était la métallurgie et non la poterie. La jeune fille émit un petit rire devant le tas d'argile informe. Le jeune homme fit une moue dubitative et se leva, il sortit de l'atelier sous le regard intéressé de la jeune fille. Il revint quelques minutes plus tard avec un petit stylet. Il étala son tas d'argile et dessina les traits d'un lion ailé.
La jeune fille ouvrit de grands yeux. Lorsqu'elle eut terminé son aryballe, elle saisit un pot empli d'un liquide noir, celui qui servait à faire le vernis lors de la cuisson. Elle s'appliqua à tracer au pinceau le motif du lion ailé sur la panse du vase en une frise et compléta le reste avec des entrelacs et des palmettes. Le jeune homme lui sourit tendrement. Il était beau, souriant, se disait-elle. Elle le contempla un instant, charmée par la beauté du jeune homme, elle lui tendit l'aryballe, leurs mains se frôlèrent. Troublée, elle se leva et s'en alla se coucher, laissant le jeune homme, seul.
Toutes leurs rencontres consistaient en une brève nuit à se contempler l'un l'autre ou à prononcer des mots à mi-voix, incompréhensibles, mais qu'importe.
Et chaque nuit la fille du potier réalisait habilement des aryballes dont les motifs des dessins étaient donnés par le jeune homme. Et les dessins qui étaient partis en un bestiaire oriental, revenaient doucement à des bateaux voguant sur des mers d'entrelacs, et à des figures féminines et masculines voyageant dessus. La jeune fille rougissait un peu plus à chacun de ces motifs. Jusqu'à une nuit où elle acquiesça simplement de la tête. Le jeune homme l'embrassa alors chastement sur la joue et alla se coucher, puis une fois le jour venu, prépara le départ.
Le jour venu, la jeune fille s'éclipsa discrètement au petit matin, le jeune homme la rejoignant près des quais. Elle n'avait presque rien apporté, si ce n'était un peu d'argent et quelques vêtements. Le jeune homme avait récupéré toutes ses affaires et tenait un petit coffre en bois où étaient rangés tous les aryballes de la jeune fille, sans exception. Elle sourit en voyant cela.
Ils embarquèrent dans un navire à destination de l'Egypte, de là, ils partiraient vers l'Assyrie, le lointain pays du jeune homme.
Jamais ils n'atteignirent les cotes de l'Egypte.
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