💎 La vie d'une pomme 💎
Dans la pénombre de la nuit, une ombre furtive longe les murs de la cité. Des gardes passent auprès d'elle sans la voir. Heureusement, car la gouvernance interdit toutes sorties passé le coucher du soleil. Pelait, le châme qui rôde ainsi, est un fugitif. Par chance, les gardes ne semblent pas encore au courant de sa fuite.
Le châme intrépide rejoint rapidement le parc d'où il pourra passer la muraille et enfin être libre. Alors qu'il s'approche du recoin de verdure, une voix chantante se fait entendre.
La mélodie est suivie de quelques piaillements de jeunes oiseaux. Pelait s'approche du pommier d'où viennent les bruits et grimpe à l'arbre. Sans un bruit, il observe la scène étrange qui se déroule sous ses yeux. Il semblerait que les oiseaux suivent un cours de chant. Mais leur professeur n'est autre... qu'une pomme !
Surpris par sa découverte, le châle fait craquer la branche sur laquelle il est perché. De peur, les oiseaux s'envolent et la pomme se tait. Pelait s'approche doucement de la pomme et commence à lui parler.
— Dis-moi, pomme, je t'ai entendu chanter... Je ne suis pas fou, n'est-ce pas ?
— Hum, hum... C'est vrai...
— Les pommes ne parlent pas...
— ... Si. Mais seulement la nuit, quand personne ne nous entend. Il faut bien que quelqu'un apprenne aux oiseaux à chanter !
— Ça alors ! Alors... C'est tout un monde incroyable qui s'éveille la nuit !
— C'est vrai. Mais j'aimerais beaucoup quitter cette ville. Tu allais partir, non ? POurrais-tu m'emmener avec toi ?
— Mais si je te cueille, tu vas pourrir puis mourir, non ?
— Hum... Ne t'inquiète pas pour moi.
— Si tu le dis, alors d'ac...
— Enfin ! Je t'ai trouvé, Pelait ! Rends-toi !
Une jeune châle en uniforme pointe sa fine lame en direction de l'autre. Pelait lève les mains et se redresse doucement sur la branche. La pomme cueillie est dans sa poche et reste silencieuse.
— Alguadria ! Quel plaisir de te voir.. Tu sais, je ne suis pas vraiment un voyou, tout ça n'est qu'un malentendu...
— Silence, je vais te ramener dans ta cellule et tu...
Le châle malin fait un pas en arrière et saute sur la muraille. Grâce à la hauteur de son perchoir, il atteint sans mal le sommet du mur sur lequel il s'agrippe. Tirant sur ses bras, il passe par-dessus prestement et atterri quelques mètres plus bas, indemne. Mais Alguadria n'a pas dit son dernier mot. Elle s'élance à sa poursuite mais, une fois de l'autre côté du mur, la réalité la frappe soudain.
L'extérieur de la ville semble si paisible, l'espace ouvert qui se présente devant elle s'étend à l'infini. Une plaine immense parsemée de minuscules lumières. Un paysage à couper le souffle. Quelques pas plus loin, un châle en fuite court vers le lointain. Alguadria reprend ses esprits et se remet à courir derrière le fuyard en appelant.
— Pelait ! Reviens ici ! Tu ne t'en sortiras pas comme ça !
Pelait compte sur son endurance pour s'en sortir. Les deux châmes courent l'un derrière l'autre. Le premier arrive finalement à l'orée de la Forêt des Nuages et s'arrête pour se retourner.
— Algua... J'aurais pas cru que tu me suivrais jusque là...
— Je... Ouff... Je ne te lâcherai... Ja... mais... Pelait, tu... Pff...
— Tiens, bois un peu et reprends ton souffle. Tu sais, on est vraiment loin de la ville. Tu comptes vraiment me ramener là-bas ?
— Tu... Tu es un criminel en fuite et je... je...
— Écoute. Tu me connais depuis longtemps, non ? Tu crois vraiment que je me serais battu sans raison ?
— Je... Non... Je suppose que non.
— Ces gens... Ils n'aiment pas qu'on s'oppose à eux, même quand ils ont tort. Surtout quand ils ont tort.
— Ils disent que tu as rejoint un groupe de terroristes...
— C'est ridicule ! On se bat pour nos droits et pour la justice ! On se bat pour la liberté ! Laisse-moi te montrer. Et si tu n'es pas convaincue...
— ... Je te mettrais les menottes et te ramènerais.
— ... Si ça peut te faire plaisir de me voir me faire exécuter.
— N'importe quoi ! Tu seras juste puni pour tes cr...
— Je serais tué. Enfin, peu importe, suis-moi.
Le jour commence doucement à se lever quand les châmes s'enfoncent peu à peu entre les arbres. Une voix chantante se fait entendre.
— Hé, dis le châle... J'aimerais bien voir le paysage, moi aussi. Aurais-tu l'amabilité de me sortir de ta poche ?
— Pelait ? Qu'est-ce que tu...
— Ah, désolé, pomme, je t'avais oublié.
— Ah, merci bien. Oh, est-ce une forêt ? Ils sont tous si grands !
— Une pomme qui parle ? Que-quoi-comment ?!
Pelait explique brièvement son étrange rencontre à Alguadria. Elle n'en croit pas ses oreilles, et pourtant, la pomme qui chante est bel et bien là.
— On l'appelle la Forêt des Nuages car ses arbres sont si hauts qu'on dit que les nuages restent coincés entre leurs branches.
— Oh... C'est incroyable ! Est-ce vrai ? Peut-on nager dans les nuages si on y grimpe ?
— Hum... J'imagine qu'il n'y a qu'un moyen de le savoir...
— A-Attends Pelait, ne fais pas ç...
Le châle s'élance et attrape la première branche. En quelques bonds gracieux, il se trouve à bonne hauteur. Il s'arrête un moment pour partager la vue en contre-bas avec la pomme.
— Oh, ton amie est si petite, d'ici !
— Nous sommes encore bien loin de la cîme...
Alguadria grimpe à son tour et le rattrape aisément. Elle le regarde d'un air boudeur.
— Franchement, tu ne crois pas que c'est dangereux ?
— Si tu t'inquiètes pour moi, tu n'as qu'à me suivre !
— Espèce de... Hé ! Attends-moi !
En quelques minutes, le trio parvient au sommet de l'arbre. La pomme s'émerveille de la vue. Un océan de nuages, parsemé çà et là de quelques flèches de pins et autres hautes branches d'arbres majestueux, les entoure de toute part.
— J'ai bien fait de quitter mon arbre ! J'ai hâte de vivre la plus longue aventure que possible !
Les châmes redescendent de leur perchoir en silence. Cette vision féérique restera gravée dans leur mémoire. Ils reprennent leur périple à travers les bois et la pomme commence à fredonner un air joyeux qui est bientôt rejoint par le chant d'un oiseau vert aux grands yeux. L'oiseau suit les châmes en voletant à droite à gauche et Alguadria s'étonne que l'animal ne soit pas effrayé.
— Pelait ? Je n'ai jamais vu d'oiseau pareil. C'est normal qu'il reste si près de nous ?
— Je pense qu'il fait confiance à pomme, c'est tout.
— Tu dis ça parce qu'ils chantent ensemble ?
— Je crois qu'ils communiquent, d'une certaine façon, et on peut pas les comprendre.
— Hum. C'est donc exceptionnel.
— Oui. Mais n'importe quelle créature sauvage peut être mise en confiance si on a la patience de l'apprivoiser.
La traversée de la forêt dure plusieurs jours et pendant tout ce temps, différents oiseaux se joignent aux chants de la pomme. Finalement, les voyageurs arrivent sur la Dernière Falaise. On dit qu'elle est la limite du monde et qu'au-delà, il n'y a rien. Mais c'est faux.
— Incroyable ! Pelait ! Ce lac est immense ! Je croyais qu'il n'y avait rien après la falaise... Il y a même des gens ! Attends un peu, ce ne serait pas des joalibets ?
— Algua... Calme-toi un peu. Je croyais que tu devais me surveiller ? Mais on dirait que tu profites bien du voyage ! Déjà, c'est pas un lac, c'est beaucoup plus grand. Et ensuite, oui ce sont des joalibets, ils vivent ici depuis qu'ils ont été marginalisés.
— Ce sont les autorités qui ont fait ça ?...
— À ton avis ?
— Je n'en avais aucune idée... Je suis désolée, Pelait.
— Bon, on y va ?
— Tu veux les rejoindre ? Pourquoi ?
— Rassure-moi, t'as pas peur de l'eau, hein ?
Avec un sourire malicieux, Pelait commence à descendre la falaise en sautant sur la pente escarpée. Alguadria, surprise, n'arrive même plus à se fâcher en voyant son ami accomplir ses périlleuses acrobaties. Elle va après lui, plus prudente, et quand elle arrive finalement sur le sable fin, Pelait lui fait de grands gestes plus loin. Il est déjà auprès d'un groupe de joalibets.
— On peut monter ! Ça va être super !
— Hein ? Mon-Monter ? Mais on vient de descendre !
— Je parle d'embarquer ! Allons-y !
— Qu-Quoi ?!!
Pelait entraîne son amie avec lui, excité à l'idée de prendre le large. Les pattes dans l'eau, il grimpe la petite barque et tend la main à la jeune châme.
— A-Attends ! On ne peut pas faire ça ! En-En tout cas, je ne peux pas partir... J'ai un travail et...
— Tu veux vraiment rester avec ces sales types ?
— Je...
— Quoi que tu décides, je partirai quand même, tu sais ?
— Mais tu...
— Je te rappelle que je suis recherché. Ici, mais pas là-bas.
D'un geste, le châme aventurier désigne l'horizon.
— Tu vois, le monde a tant à offrir. J'aurais voulu que tu sois là pour le voir.
— Seraient-ce des adieux ?, chantonna la pomme. Je crois que je n'aime pas trop ça...
D'un air résolu, Alguadria grimpe dans la barque et attrape la main de son ami.
— Je ne peux pas te laisser partir seul. Qui pourrait te surveiller ? Une pomme qui chante, peut-être ?
Le châme lui sourit. La suite de leur aventure promet des merveilles. Alors que leur petit embarcation rejoint le navire plus au large, un groupe de soldats de la ville débarque sur la plage. Les joalibets s'enfuient en tout sens et le chaos s'installe alors qu'une voix tonitruante résonne.
— La traîtresse Alguadria et son complice le fugitif Pelait sont sommés de se rendre sans histoire ou les sanctions à leur encontre seront revues sévèrement !
La jeune châme pâlit. Comment pouvaient-ils la qualifier de traîtresse après tout ce qu'elle avait fait pour eux ? Terrifiée, elle lève les yeux vers Pelait. Son visage n'arbore qu'une expression sombre. Alors que son regard se porte sur les envahisseurs de la baie, le mépris qu'il éprouve pour ces gens a atteint des sommets. Bien sûr, ils ont fait de lui un paria et il a de nombreuses raisons de les détester. Mais qu'ils trahissent la confiance d'Algua de cette ignoble façon... Il bout de rage et sert le poing. Il est déterminé, cette fois-ci. Il n'ira pas prendre un nouveau départ dans des terres lointaines, non. Il allait rassembler tous ceux comme lui, les abandonnés, les exclus. Tous les châmes rejetés. Tous les joalibets exilés. Et tous les autres.
Sur le sable blanc, les traqueurs regardent le navire des joalibets qui s'éloigne, impuissants. Nos aventuriers ne le découvriraient que plus tard mais après ce jour-là, leur ville devint un théâtre d'horreurs et de répressions.
Des heures plus tard, alors que la Belapie vogue au milieu d'un océan incroyablement calme, la pomme se fait entendre à travers la poche de son compagnon de voyage.
— Pelait ? C'était si bruyant quand nous sommes partis. Sommes-nous en sécurité ?
— Pour le moment, oui. Tu veux peut-être profiter un peu de la brise ? Il n'y a pas grand-chose à voir, ici.
— Pas grand-chose ? Tu plaisantes ! Je n'ai jamais vu autant d'eau quand j'étais sur ma branche. Oh, qu'est-ce que c'est ? La chose qui en sort, juste devant nous ?
— Hum ?... Attends un peu...
Un tentacule immense émerge soudainement et se balance en ondulant. Le châme se raidit et son poil se hérisse. Il n'avait jamais rien vu d'aussi terrifiant. Il en reste muet de peur jusqu'à ce que le capitaine s'approche de lui et le tape dans le dos en riant.
— Eh bin, le châme, tu dis pas bonjour ? Ha ha !
— H-Hein ? B-Bonjour ?
— Oui, hein, dit-il avant de rajouter en criant à la mer, bonjour Petite-Lammi !
— A-Attendez, quoi ?:
— C'est une amie, regarde. Dis-moi, ma choupinette, tu pourrais nous déposer à bon port un peu plus vite ?
Le tentacule disparaît alors et quelques instant plus tard, une ombre apparaît sous le navire. Des bras immenses et recouverts de ventouses s'accrochent à la coque. Les premières secousses engendrées par la manœuvre réveillent Alguadria qui se reposait dans la cabine. Elle sort précipitamment sur le pont et assiste à une scène extraordinaire. Suivant parfaitement le mouvement des vagues, la Belapie fonce à vive allure et alors que les châmes se remettent à peine de leurs émotions, l'équipage commence à amarrer à un ponton des plus rustiques.
Les jeunes aventuriers débarquent sur quelques branchages tressés faisant office de pont. La structure étrange est malgré tout robuste et Algua et Pelait arrivent en sécurité sur de nouvelles terres d'au-delà du bout du monde.
*
Après quelque temps à se familiariser avec cette nouvelle vie de fugitifs, les deux amis commencent à rassembler autour d'eux d'autres châmes traqués. Ils fondent ainsi l'Ordre des Chavaliers, qui deviendra l'un des groupes les plus importants à travers l'univers. Mais ce moment n'est pas encore venu.
Alors que le couple se promène paisiblement en riant, une voix fatiguée les interrompt.
— Pelait, mon ami... Je me sens si fatigué...
— Pomme ? Que t'arrive-t-il ?, s'inquiète Alguadria.
— Je suis bien trop mûr. Pourriez-vous faire une dernière chose pour moi ? Ce voyage avec vous a été si plaisant, je ne regrette pas d'être parti... Mais un long chemin vous attend encore et je n'en ferais pas partie...
— Dis-nous, que veux-tu ? , demande Pelait.
— J'aime beaucoup cette colline. Pourriez-vous m'y laisser, que j'admire le dernier coucher de soleil de ma vie de pomme ?
— Bien sûr.
Pelait dépose délicatement la pomme au sommet de la colline qui donne vue sur le village. Les deux châmes s'en vont en silence. Ce moment n'appartient qu'à leur ami. Ce dernier entonne un dernier chant qui finit par s'essouffler alors que le soleil disparaît sous l'horizon.
*
Quelques semaines après la mort de la pomme, alors que Pelait se rend sur la colline, un chant mélodieux s'élève près de ses pattes. Il baisse la tête et découvre une minuscule pousse qui frissonne.
— Pomme ? C'est toi ?
— Heureux de te revoir, cher ami, fredonne la germe. Je ne suis plus une pomme et je compte bien grandir longtemps ! Très longtemps !
— C'est un plaisir de te savoir heureux dans cette nouvelle vie ! Je viendrais te rendre visite ! Oh, et Algua sera contente de te voir aussi !
*
Bien des années plus tard, les villageois connaissent tous l'histoire du pommier chantant et c'est autour de lui qu'ont lieu toutes les soirées dansantes.
De leur côté, Alguadria et Pelait n'ont jamais abandonné l'idée de rendre leur monde meilleur mais régulièrement, ils reviennent au village conter leurs aventures à leur vieil ami.
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