Il était une fois une famille pauvre qui vivait dans un petit village. Les parents n'étaient pas les seuls à avoir des problèmes d'argent. Ils avaient cependant deux enfants, soit plus que les autres couples qui s'en étaient contentés d'un. Mais il s'agissait de faux jumeaux, un garçon et une fille, Léo et Léa (ils n'étaient pas très inspirés).

Un jour, le père perdit son travail et les ménages que faisait sa femme ne suffirent bientôt plus à payer la nourriture. De plus, de moins en moins de personnes l'embauchaient. Non pas qu'elle fut mauvaise à sa tâche mais la crise financière touchait de plus en plus de monde. Petit à petit, les malheurs les accablèrent : le père mourut d'un bête accident de bûcheron, en coupant un arbre et la mère, rendue folle par la dépression et le manque de nourriture, abandonna ses enfants dans la forêt avant de retourner au village presque déserté et d'y mourir d'inanition.

Léo et Léa, seuls et désemparés, cherchèrent en vain leur chemin à travers les bois. Épuisés et affamés, ils étaient sur le point d'abandonner tout espoir quand ils sentirent un délicieux fumet. Suivant l'incroyable odeur, ils parvinrent à une clairière habitée. Une maison joliment décorée trônait là et il y avait aussi un cabanon un peu à l'écart.

Les deux enfants se précipitèrent vers la bâtisse munie d'une cheminée fumante et frappèrent à la porte. Une vieille dame vêtue d'une robe à fleurs leur ouvrit et les invita à entrer.

"Vous avez l'air d'avoir bien faim, dit-elle. Prenez donc ces biscuits, ils sortent tout juste du four."

Les jumeaux ne se firent pas prier et engloutirent les gâteaux en quelques bouchées. Ils la remercièrent poliment et lui demandèrent de l'aide pour retourner chez eux.

"Il est si tard ! La forêt est dangereuse, la nuit. Dormez donc ici, vous repartirez demain..."

Un sourire malicieux éclaircit son visage mais les enfants étaient si exténués par leur crapahut qu'ils acceptèrent volontiers l'invitation.

***

Le lendemain, alors que Léo se réveillait doucement, il remarqua que sa sœur n'était plus là. Il alla donc dans la salle de la veille et découvrit avec horreur que Léa était enfermée dans une cage suspendue et le priait de s'enfuir. Mais la vieille arriva derrière lui et bloqua la route. La sorcière abusa de la naïveté des enfants pour leur faire croire qu'ils avaient une chance de s'en sortir. Le garçon devait obéir s'il voulait sauver sa sœur. Il se mit à suivre les ordres de l'hideuse ogresse et faire les tâches qu'elle lui demandait.

Il remarqua qu'elle s'absentait parfois dans le cabanon qu'elle lui avait strictement interdit d'approcher. Mais les jours passaient, sa curiosité grandissait et la mégère ne semblait pas prête à les relâcher. Alors une nuit, il s'éclipsa furtivement et se faufila jusqu'au cabanon. La porte étant fermée, il fit le tour jusqu'à une fenêtre qu'il put franchir.

Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver nez à nez avec une jeune femme d'une grande beauté. Elle aussi fut surprise et eut un mouvement de recul. De lourdes chaînes entravaient le moindre de ses gestes et les accompagnaient de leurs bruits métalliques.

"Bon-Bonsoir... murmura le petit blond. Je m'appelle Léo.

— Bonsoir, Léo, répondit la femme sur le même volume. Je suis Kit... Tu ne devrais pas être ici. Ma... Voisine... Dévore les enfants. Je ne plaisante pas... Quitte cette forêt, et vite !

— Elle... Elle a enfermé ma sœur..., soupira-t-il. Elle ne doit pas apprendre que je suis venu ici. Elle m'a interdit d'approcher ! Mais... C'est elle qui vous a enfermée ici?

— Oui... Je suis 'trop vieille' pour qu'elle me mange. Alors elle me garde, pour se distraire quand elle s'ennuie... Ou pour faire son ménage quand... Quand il n'y a personne pour le faire...

— Vous voulez dire que...

— Ta sœur et toi n'êtes pas les premiers,non... Mais tous ont fini de la même façon. Dans son estomac !

— Mais c'est horrible ! On doit bien pouvoir faire quelque chose !

— Si j'étais libre, je pourrais sûrement vous aider... Je connais son point faible mais un petit homme comme toi n'arriverait jamais à la transpercer...

— Vous parlez de la tuer ?! Mais c'est horrible !

— Tu te répètes un peu, jeune homme, chuchota Kit d'un air agacé. Tu ne comprends pas que même si vous vous échappez, elle continuera ses méfaits ? Il faut que cela cesse !

Le plan fut rapidement mis en place. Comme la vieille était myope, Léo s'arrangerait pour lui dérober ses lunettes et celles de secours qu'elle gardait dans un tiroir. Il récupérerait une lame enchantée qu'elle gardait cachée dans un coffret sous son lit. Aussi, la sorcière gardait à son cou la clé de la cage de Léa et celle des fers de Kit. La fuite était lancée.

***

Un matin très tôt, le jeune garçon frappa à la porte de chambre de sa maîtresse. Il prétendait avoir entendu du bruit en provenance du cabanon et alors que l'ogresse s'empressait de verrouiller sa porte, Léo glissa une feuille souple que lui avait confié Kit.

"Ainsi, avait-elle assuré, tu pourras ouvrir la porte sans la clé."

Quand la vieille revint dans la salle en grommelant, il l'a bouscula pour lui faire perdre ses lunettes qu'il écrasa sous son talon. La sorcière maudit sa maladresse et commença à farfouiller ses tiroirs à la recherche de son autre paire. C'était en vain, bien entendu, car Léo s'en était débarrassé avant de la réveiller.

Tandis qu'elle cherchait frénétiquement, le garçon se glissa dans sa chambre sans difficulté. Il trouva bien vite le coffret dont il souleva le couvercle de bois. Un poignard scintillant et orné de pierres colorées se présentait à lui. La lumière irréelle qui émanait de l'objet ne laissait place à aucun doute : une puissante magie l'imprégnait. Il attrapa le manche fermement et rejoignit la sorcière agitée.

"Ah, te voilà, toi ! Aide-moi donc à trouver les autres verres, au lieu de rester planté là !, s'écria-t-elle.

— Non, je refuse", répondit Léo calmement.

Et avant même qu'elle n'ait le temps de réaliser ou de répliquer, il plongea la pointe de son arme dans le cœur de la sorcière. Celle-ci devint rouge, puis verte, puis bleue et enfin, elle explosa en une multitude de particules de poussière.

"Bravo petit frère ! Sortons d'ici !"

Léa, qui avait assisté à toute la scène en silence, applaudissait son frère avec un large sourire. Celui-ci lui avait parlé de Kit et leur plan d'évasion. Une fois libérée, la fillette prit les clés du cabanon et ils allèrent voir Kit. Cette dernière fut étonnée de voir la jeune fille hors de sa cage.

"Qu'avez-vous fait ?, s'enquit-elle.

— J'ai abattu la sorcière avec la lame dont vous m'aviez parlé !

— Tu devais me laisser le faire ! M'apporter la lame et quand la vieille serait venue me voir, je l'aurais tuée !

— Quelle importance, le résultat est le même, répondit joyeusement Léa en déverrouillant les chaînes.

— Vous ne comprenez pas... Vous êtes comme elle..., murmura Kit.

La jeune femme désespérée attrapa le poignet de la petite blonde et, sans attendre, lui tordit le cou. Le garçon, choqué, était pétrifié.

"C'était à moi de tuer ma mère... En la tuant, vous êtes devenus des monstres..."

D'un air désolé, Kit s'avança vers le garçon qui voulut prendre la fuite. Elle l'en empêcha d'une main et le moment suivant, il partageait le même sort que sa jumelle. Il y avait tant de temps que l'ogresse était enfermée et elle avait si faim qu'elle fit festin des deux enfants à la chair tendre. Elle pleurait en silence en se tournant vers la maison. Elle y alla pour y mettre le feu ainsi qu'à la cabane. Voyant l'arme enchantée gisant au sol, elle n'hésita pas une seconde et s'en empara. Alors que le brasier arrivait à son apogée, Kit pointa la lame vers elle et l'enfonça dans sa poitrine, mettant ainsi fin à son existence et à cette histoire.

Fin.