Les larmes de Ganimée

Les larmes de Ganimée

Écrit par Garnath


« Maman, est-ce que la comète va s'écraser sur nous et détruire la planète ?

— Qui t'a raconté ça ?

— Les copains à l'école. Ils disent que tout le monde va mourir.

— Et tu y crois, toi?

— Non, pas vraiment.

— Regarde, si tu lèves les yeux, tu peux voir la traînée dans le ciel, là juste au bout de mon doigt. Tu la vois?

— Oui.

— Et elle te semble dangereuse?

— Euh... non, pas trop. On dirait qu'elle est toute petite.

— Pas si petite. Figure-toi que son cœur mesure un peu plus du quart de notre planète.

— Tu l'as mesuré dans ton observatoire?

— Ça fait partie de mon travail.

— Alors tu es sûre que la comète ne va pas nous percuter...

— Absolument, oui. Alors, tu te sens rassuré? Allez, il faut dormir maintenant.

— Non. Je suis trop énervé.

— Je vois. Bon, si je te promets de te raconter une histoire vraie, tu veux bien faire un effort?

— D'accord.

— Bien. Au tout début de l'univers, il y eut une grande explosion qui créa toutes les planètes et les étoiles que nous voyons aujourd'hui.

— Ah oui, je sais, j'ai vu ça à l'école.

— Écoute bien, je n'en suis qu'au début. Dans cette explosion, une entité fut créée et envoyée loin dans l'espace. Elle voyagea longtemps, tournoyant sur elle-même dans le vide sidéral sans rien rencontrer que le vide infini. Elle se sentait désespérément seule.

— Il n'y avait personne du tout?

— Non. Mais un beau jour, après des millions d'années de solitude, elle fut enfin attirée par une force inconnue qui la fit dévier de sa trajectoire.

— Une autre entité comme elle?

— Pas tout-à-fait. Ce qui l'attirait mesurait plus de cent fois sa taille, et surtout cela dégageait une très grande chaleur. Notre entité se trouva immédiatement fascinée par cet être de lumière.

— Oh je sais, je sais! C'était une étoile.

— Exactement. L'entité fut capturée par la gravitation de cette étoile. Mais à mesure que sa trajectoire l'en rapprochait, des changements s'opéraient en elle. Car en fait, elle avait une faille en son centre, si bien qu'elle n'était pas une seule entité, mais plutôt deux sœurs siamoises. Lorsqu'elles passèrent au plus près de l'étoile, l'énorme chaleur dégagée les fit éclater, et elles se séparèrent.

— C'est terrible !

— On appela l'une P/2114F3

— C'est un nom bizarre.

— Oui, alors pour l'histoire nous l'appellerons Ganimée.

— Et l'autre?

— Tu ne devines pas? Alors disons qu'elle se nommait Petra. Ganimée et Petra eurent le cœur brisé d'avoir été séparées, elles qui ne faisaient qu'une depuis la nuit des temps. Mais surtout, la force de l'explosion laissa Petra sans vie, inanimée et désertique. Ganimée vit le corps de sa sœur adorée partir à la dérive dans le vide obscur et stérile. Elle maudit alors l'étoile à l'origine de sa détresse. « Ô astre lumineux qui fus autrefois l'objet de mon affection, je maudis le jour funeste qui plaça mon chemin à la croisée du tien. J'eus préféré cent fois errer encore mille millions d'années serrée contre ma chère sœur, plutôt que de subir la déchirure que tu m'infligeas. » Et ceci dit, elle se mit à verser sur ses pas une rivière de larmes. Car Ganimée avait beau être la plus petite des deux sœurs, elle avait gardé en son cœur de glace toutes les richesses collectées depuis le début de leur périple au travers de l'espace. Et enfin l'étoile répondit à Ganimée. « Toi mon enfant, je comprends ton chagrin. Sache que ta détresse m'a touchée, et que je ne désire que ton bonheur. Je conserve en mon étreinte le corps inanimé de ta défunte moitié, tout comme tu resteras à jamais ma prisonnière. Dans mon infinie bonté, je vais te permettre de croiser le chemin de ta sœur une fois toutes les cent années, afin que tu puisses verser ton chagrin dans les bras sans vie de ta jumelle. Cela sera fait. » Ganimée ne tira aucun réconfort de ce que venait de déclarer l'étoile, et ses larmes ne se tarirent pas.

— Alors elle pleurait tout le temps?

— Oui. Et au bout de cent ans, Ganimée croisa la trajectoire de Petra sa sœur adorée. Leur rencontre fut trop fugace, et Ganimée regarda impuissante le corps aride de Petra traverser le long chemin de larmes qu'elle avait tracé. Et chaque siècle voyait les trajectoires de leurs révolutions se marier à nouveau et se séparer encore, déchirant à chaque fois le pauvre cœur de glace de Ganimée. Avec le temps Ganimée se vida peu à peu de sa substance, et à chaque passage auprès de sa sœur, elle inondait la carcasse à la dérive de sa pauvre moitié, dont la taille ne cessait d'augmenter au regard de la sienne.

— Alors Ganimée allait disparaître complètement?

— Certainement, oui. Mais avant cela un miracle se produisit. Baignée au fil des révolutions dans les larmes de Ganimée, Petra recueillit l'eau versée par sa sœur, si bien que la vie jaillit en elle. Ganimée, consciente de sa mort inéluctable, continua de pleurer, mais cette fois des larmes de joie, à l'idée que sa tendre moitié lui survivrait.

— Mais attends, Petra ça ne serait pas...

— Tu as deviné. Laisse-moi terminer. Il y a une poignée d'années, autant dire une fraction de seconde dans l'existence de nos deux jumelles, des chercheurs humains de la planète Sol 3 découvrirent Ganimée, et la nommèrent P/2114F3. Ils suivirent sa trajectoire et tombèrent sur Petra, qu'ils baptisèrent ...

— Home Two ! C'est le nom de notre planète !

— C'est ça. Home Two n'est pas le premier nom que porta Petra, mais c'est celui qui est resté.

— Et Sol 3, la Terre, a envoyé des colons et dans ces colons il y avait grand-père et grand-mère, et ils ont construit toutes les maisons et les écoles et les laboratoires d'acclimatation génétique, et les dômes, et...

— Ce soir est la première fois depuis notre arrivée que la comète Ganimée, que tes copains d'école appellent Parker-Jones, croisera Home Two.

— Je vois... Mais alors la pluie de météorites...

— Ce sont les larmes de Ganimée. Est-ce que tu penses que Ganimée souhaite détruire sa jumelle ?

— Non.

— Alors maintenant tu peux dormir tranquille.

— D'accord. Bonne nuit, maman. »

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