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— Edwin !

Edwin essuya son front avec la manche de sa chemise. Ses vêtements humides collaient sa peau et les tiges, coupées de frais au pied, ignoraient ses braies pour piquer ses chevilles. Sûr qu'il allait encore avoir de vilaines plaques.

— Foutre soit cette foutue chaleur !

La nuit devait tomber mais le soleil campait là. À croire qu'il resterait éternellement suspendu, à rôtir le monde jusqu'à ce qu'il fume comme un filet. Un filet, Edwin boufferait bien un filet...

— Merde !

Des hordes de moustiques affluaient en nuages bourdonnants, suçant chaque parcelle de peau qui n'était pas déjà rouge. Edwin lâcha sa faux dans l'espoir désespéré d'épargner son visage, mais ses moulinets brassaient seulement l'air épais.

— Edwin ! Oh, Edwin !

En équilibre sur une seule jambe, il porta sa main en visière, l'autre grattant frénétiquement un mollet gonflé. Il apercevait l'ombre de Bernard frayer dans les épis en trainant sa jambe, Patou sur les talons. Le grand homme, arrivé à sa hauteur, se planta devant Edwin, l'air sévère. Bernard avait toujours l'air sévère. La faute à ses petits yeux noirs et leur pli ridé, peut-être, ou à ses joues grêlées et pendantes ; ou encore à l'épais monosourcil qui lui barrait le front, comme une grosse patte d'araignée. À moins que cela ne soit que le résultat d'un tout déjà peu engageant. Il y avait aussi la moustache. La moustache, c'était une tout autre affaire...

— Gamin ? grogna Bernard.

— Oui...tonton Bernard ?

Edwin vacilla et tomba sur le cul en grognant. Bernard souffla :

— Ça suffit, gamin. À table.

Bernard darda un œil sur les épis dispersés :

— Fagote moi ça, avant de rentrer.

Patou aboya. Encore. Patou, c'était un gros chien noir couvert de poils. Ils faisaient la paire, ces deux-là, et partageaient même les puces. Patou ne quittait jamais Bernard et aboyait sans cesse, à chaque fois qu'il parlait ; parfois même alors que Bernard dormait, Patou grognant et bavant aux pieds de son maître, prêt à bondir.

Edwin offrit son visage au soleil, ferma les yeux, étendant ses bras derrière lui et soupira. Quelle vie. Il se releva, ramassa la faux, fagota le blé et le chargea sur son épaule en serrant des dents.

Arrivé devant la remise, Edwin aperçut Bernard qui scrutait depuis le seuil de la porte. Patou à ses pieds. Edwin entra dans la bâtisse quand quelque chose frôla sa cheville et il bondit en criant. Un énorme rat s'était faufilé à l'intérieur, affolé. Déjà Patou se jetait à ses trousses, ventre à terre, aboyant furieusement.

— PATOU !

Le chien s'immobilisa, l'échine basse et tremblante, comme parcouru de spasmes. Puis il revint auprès de son maître en couinant, queue baissée, et ils rentrèrent dans la chaumière.

Edwin déposa son fagot parmi le tas, et rangea l'outil en soufflant. Que faisait Bernard de toute cette paille ? Edwin n'en savait foutre rien. Sûrement qu'il la vendait pour acheter sa bibine. En tout cas, il ne la ramassait pas. L'idée d'étouffer Bernard dans son tas de paille l'effleura, et passa.

Edwin se dirigea vers le puit. Avec un été comme celui-ci, l'eau s'y raréfiait et il devait demander l'autorisation de puiser. Le ruisseau était à dix lieux et si Edwin rêvait d'un bon bain, il n'aurait pas le temps de s'y rendre après une telle journée ; sauf s'il acceptait de sauter le souper. Edwin vérifia l'absence de Bernard, et tira un seau qu'il renversa sur sa tête. Il s'allongea, soupira et laissa le soleil le sécher. La paix...

— Edwin !

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