Conte de Bois
Petite histoire écrite dans le cadre des Joutes Wattpadiennes d' Emaneth. 15 000 signes avec les règles suivantes à respecter :
Les végétaux parlent aux humains
Les meubles conservent la mémoire des gens qui les utilisent
Les livres n'existent pas
Il ne reste plus qu'un meuble puisque tous les autres ont été brûlés dans une chamallow party géante
Ben ce ne fut pas de la tarte à la guimauve !
Il était une fois un Roi si bon, si grand et si aimé de son royaume que même les arbres et les fleurs se courbaient sur son passage pour lui témoigner de leur allégeance. Le monde sur lequel il régnait, jouissait d'une harmonie parfaite entre les hommes et les plantes. Tous les individus étaient en mesure de converser les uns avec les autres et les enfants des uns apprenaient le monde et ses légendes auprès de chênes centenaires. Les roses écoutaient les pensées et les rêveries secrètes des jeunes filles pour mieux les chuchoter aux oreilles des garçons, les orties et le gui murmuraient leurs secrets aux guérisseurs et aux sorcières et le chant des brins d'herbe dans les prés aidait les bergers à rassembler leurs troupeaux. Lorsqu'un nouveau meuble devait être fabriqué, un long conseil se tenait au sein du château pour élire l'arbre en accord avec la forêt elle-même.
Il existait au sein du palais, un Atelier d'ébénisterie qui faisait la puissance et la fierté du souverain. Dans l'histoire que vous lisez et que peut-être vous raconterez un jour, sachez que les livres tels que vous les connaissez n'éxistaient pas. Pourtant, dans cet Atelier, le savoir-faire extraordinaire des ouvriers et de leurs instruments magiques enfermaient dans le bois des arbres sacrifiés, les souvenirs et la mémoire de ceux qui désiraient créer un meuble.
Le buis et l'orme racontaient aux chasseurs qui les avaient désirés les secrets et les cachettes des proies convoitées, le peuplier qui servait à réaliser les comptoirs des boutiques emmagasinait les savoirs, les bruits et les rumeurs de chaque client ; les billots de bouchers transmettaient à chaque apprenti le sens de la coupe et le geste de la feuille ; tandis que les fauteuils en merisiers croulaient sous les cancans des femmes à l'heure du thé et que les berceaux en rotin fredonnaient mille comptines et berceuses aux oreilles des nourrissons trop agités. Les histoires des uns se léguaient aux autres par les biens précieux qui sortaient de l'Atelier Royal.
Aucun livre de contes ne rivalisait avec certaines chaises de grand-mère et les tables de cuisine recelaient plus de tours de main que n'importe quel érudit de la marmite. L'histoire des Rois, l'établissement des royaumes et des contrés venaient à l'esprit des dauphins lorsqu'ils s'asseyaient à leur tour sur le sublime trône de la grande salle.
Il n'y avait pas plus grand trésor à préserver dans le château que l'Atelier Royal.
Les siècles auraient pu s'écouler ainsi, au rythme du changement de couleur des feuillages des bois, mais la maladie vint ternir la douceur du paysage.
Le Roi se mourait.
Lorsque son dernier souffle approcha, il fit venir son fils à son chevet et sous le regard de ses ministres, il lui remit la clef de l'Atelier Royal, lui donna les dernières recommandations d'un père à son fils et mourut.
Le Prince mit la clef autour de son cou et s'enferma dans un chagrin sombre et profond. Les ministres respectèrent une période de deuil et partout à des kilomètres à la ronde les villages, les bourgs et les hameaux pleurèrent autant que les forêts, les prairies et les vergers la disparition de leur souverain bien-aimé.
Pourtant, quelques saisons plus tard, le climat se radoucit, les feuillus reprirent de l'étoffe et les prairies devinrent à nouveau vertes et fertiles. Les habitants sortirent de leur deuil et s'apprêtèrent à célébrer le temps du renouveau avec leur Roi.
Il faut croire que la joie de tout un peuple ne suffit parfois pas à consoler le chagrin d'un fils, et malgré le temps accordé à la tristesse et les préparatifs liés aux festivités du printemps, le Prince se murait dans un accablement et une une colère infinis.
Le malheur a ceci de tragique que ceux qui en sont atteints ne prêtent plus attention à leur semblables et notre Prince se détourna ainsi de toutes les fonctions qui lui incombaient au sein du Royaume. On tenta bien de l'éveiller à nouveau aux plaisirs de la vie, on organisa une fête en l'honneur de son couronnement avec un feu de joie et de délicieuses guimauves colorées à faire brûler pour les partager.
Furieux de découvrir ses gens fêter et célébrer dans tout le château, le Prince entra dans une ire sans pareille. Il déclara alors que si le deuil et la mémoire des anciens importaient si peu à ses peuples, le Royaume se passerait allègrement des meubles précieux et magiques fabriqués sous leurs ordres. Le Prince ordonna sur le champ que chaque fauteuil, chaque table et le moindre objet renfermant la mémoire de son peuple soit amené au feu de joie pour que le brasier emportât avec lui les souvenirs et les secrets de son royaume. Quand le bûcher fut à son faîte, le Prince y jeta la clef.
On ferma cette nuit-là les portes de l'Atelier Royal.
Le pays tout entier fonctionnait au ralenti. L'ébéniste, en homme avisé, avait retrouvé sous les cendres chaudes du brasier un objet brillant. Convaincu que le hasard n'avait pas sa place au sein de la monarchie, il ramassa la babiole et la cacha sous sa tunique.
Sans travail depuis ce triste événement, il se retrouvait à battre la campagne pour tromper son ennui de plus utiliser ses mains. Un jour, alors qu'il revenait d'une de ses promenades quotidienne il remarqua sa fille assise sous un vieux chêne. Elle avait posé ses mains sur le tronc de l'arbre et lui parlait en riant parfois aux éclats. Ses mains caressaient l'écorce comme on flatte un vieux chien que l'on considère comme un ami et l'immense créature bougeait ses branches avec plaisir à chaque nouveau secret qu'elle lui confiait.
Elle s'appelait Soélie.
Les jours suivants, il revint sur le même chemin pour observer la scène et le troisième jour il attendit qu'elle s'en aille pour aller trouver le chêne.
— Bonjour l'Arbre, belle journée n'est-ce pas ?
— Magnifique, répondit le chêne, le ciel m'a apporté un peu d'eau avant la rosée du matin, le soleil m'a ensuite réchauffé avec douceur et la compagnie de ta fille m'a animé quelques heures. La fin de ce jour approche comme le début d'un nouveau.
L'ébéniste était un homme malin. Il connaissait les rêves de sa fille lorsqu'elle était petite et se doutait bien qu'ils avaient peu changés même si elle approchait de l'âge de se marier. Une idée lui vint à l'esprit et il reprit sa conversation avec l'Arbre.
— Ah, mon ami, comme je t'envie. Vois-tu mon quotidien au château est devenu bien triste ces temps-ci. Le Prince se meurt d'ennui, de tristesse et de rage. Les médecins ont bien essayé toutes sortes de traitements et même quelques sorciers ont été recommandés mais rien n'y fait.
— Notre Prince a besoin de quelque chose de bien plus simple : il lui faut se marier. L'amour est un remède plus puissant que toutes les tisanes et sorcelleries éventées du château.
— Crois-tu ? reprit l'ébéniste feignant la surprise. Mais comment trouver une Princesse qui lui convienne au plus vite, une épouse qui saura lui rendre le sourire alors qu'il est presque impossible de lui faire quitter la salle du trône ?
— Je suis certain que tu as déjà une idée. Regarde donc la taille de mon tronc ! Ton arrière-grand-mère jouait avec ton grand-père encore dans ses langes sous mon feuillage. J'ai bien profité et bien vécu : je te connais depuis toujours. Je sais que tu prendras une bonne décision.
— Et si mon choix m'obligeait à un terrible sacrifice ?
— Tu feras alors en sorte qu'il ne soit pas vain.
Le chêne se tut, l'ébéniste rentra chez lui se faire rabrouer par sa femme et chérir par ses filles. Ce soir-là il mangea peu. L'idée qui germait en lui ne le réconfortait guère. La nuit lui apporta conseils et solutions mais peu de repos.
Le lendemain, avant l'aurore, il s'habilla en silence, prit un flacon de vin et une miche de pain frais que sa femme avait cuits la veille au soir et regagna à la hâte le château. Une fois arrivé au palais, il sorti de sous son vêtement la clef et ouvrit en silence, avec un plaisir non feint, la porte de l'Atelier Royal. L'ébéniste nettoya un peu la pièce et sortit quelques outils sur les tables, puis il referma la serrure et quitta les lieux à pas de loup.
Sur le chemin du retour, il fit un détour par les bois pour trouver les bûcherons qui s'activaient déjà pour profiter de la fraîcheur de l'air. Notre tailleur de bois sortit le vin et le pain de son sac et d'un geste amical, amena les besogneurs à sa rencontre. Tandis qu'ils se restauraient et qu'ils buvaient, l'ébéniste se mit à parler :
— Je viens vous apporter une nouvelle de la plus haute importance chers bûcherons ! Notre Prince a besoin d'un nouveau trône. J'ai été chargé de le réaliser mais l'ouïe fine de notre souverain ne peut souffrir les bruits de mon travail, il me faudra travailler discrètement. C'est pourquoi je suis venu vous demander, sur ordre du Prince, d'aller dès ce matin couper le grand chêne à l'entrée du village. Sa taille sera idéale pour souligner la grandeur de la Couronne. Lorsque vous aurez abattu l'arbre, vous l'amènerez de nuit au château et je vous ouvrirai les portes de l'Atelier Royal mais il vous faudra observer silence et discrétion.
Fort repus du pain et du vin, les bûcherons acquiescèrent d'un hochement commun de la tête, s'essuyèrent la bouche sur le revers de leurs manches et partirent en direction du village.
Lorsque les hommes expliquèrent au chêne la raison de leur présence celui-ci soupira mais accepta l'honneur de devenir le futur trône du palais.
Pendant ce temps, l'ébéniste courut jusque chez lui et raconta son histoire à Soélie. Sa fille fut aussitôt secouée de terribles sanglots à la nouvelle de la mort imminente de son plus cher ami, son père tenta de la consoler de la sorte :
— Mon enfant, mon enfant, les bûcherons ne font pas souffrir les arbres, tu le sais bien, mais chaque coup de hache entraîne avec lui les souvenirs et les secrets que tu as confiés au chêne. Si tu le souhaites, je t'emmènerai avec moi pour que tu puisses lui rendre vos échanges et vos rires. Il ne tiendra qu'à toi d'en faire un siège à la hauteur de votre amitié.
— Mais pourquoi ferais-je ça ? Quel importance aurait notre complicité au sein du Palais Royal ?
— Quelle importance ? Mais la plus grande voyons ! Cet arbre si vieux et si sage a su t'apprendre plus sur le Royaume que tous les férus d'histoire réunis. Transmets donc au futur trône la sagesse et le savoir de ton ami perdu, quel plus bel hommage pourrais-tu lui offrir ?
Soélie ravala son chagrin et ses larmes comme elle put mais se résolut à accepter la proposition de son père.
La nuit tombée les bûcherons entamèrent le transport de l'énorme tronc vers l'Atelier du château. Au bout de plusieurs heures d'une besogne longue et ardue, le splendide morceau de de bois fut rentré dans l'antre du menuisier. L'ébéniste tendit alors un ciseau à bois à sa fille et entreprit de lui montrer comment utiliser l'outil.
— Il te suffira de songer aux bons moments que tu as partagés avec cette merveilleuse créature, de repenser à vos échanges et à vos rires. Tu pourras y ajouter quelques secrets et confidences si tu le souhaites, sais-tu ?
Soélie eut du mal à manipuler l'objet les premiers instants, son chagrin l'empêchait de travailler la matière comme son père lui enseignait. Avec un peu de travail et de patience et après quelques moments de découragement, la fille et le père entreprirent la réalisation du meuble. Lorsque l'une ajoutait les savoirs que l'arbre lui avait transmis, l'autre apportait le souvenir d'une époque où un roi bon et heureux régnait sur son peuple, quand la fille incorporait le rêve d'un splendide mariage, le père plaçait ses espoirs de patriarche dans les finitions.
Ils œuvrèrent en secret chaque soir au sein de l'Atelier Royal pendant sept longues nuits. Le huitième jour ils se reposèrent et au matin du neuvième jour le nouveau siège royal fut placé dans la salle du trône.
Lorsque le Prince fit son entrée et découvrit le nouveau meuble il ouvrit grand la bouche mais aucun son n'en sortit . Le trône qu'il contemplait n'avait jamais eu son pareil. De l'assise au dossier en passant par les pieds et les accoudoirs, tout avait été sculpté dans un seul et même morceau de bois. La finesse des ornements n'avaient rien à envier aux efforts d'orfèvrerie de l'ancien trône de métal.
La beauté de la sculpture arrêta un instant son geste alors que le Prince s'apprêtait à le toucher, puis il prit enfin la peine de s'asseoir sur le magnifique ouvrage recouvert d'un épais coussin.
Lorsque le Prince referma ses doigts sur le rebord des bras de l'illustre fauteuil il fut aussitôt envahit par toutes les pensées, les souvenirs et la mémoire que Soélie et son père avaient pu mettre dans leur travail. Il revit un monde qu'il avait aimé, redécouvrit le sourire et la barbe généreuse de son père, apprit sur les villages qui bordent le château et les besoins de leurs habitants. Le Prince décela aussi l'amour inconditionnel d'un père pour son enfant et les rêves les plus secrets d'une jeune fille qui rit aux éclats.
Au bout de quelques heures passées sur le trône, le Prince se leva le visage souriant et ruisselant de larmes. Il envoya deux gardes lui ramener sur le champ le responsable de son état, il voulait découvrir celui qui avait rouvert l'Atelier Royal malgré son interdiction.
Les gardes revinrent aussitôt avec la personne trouvée au milieu de la sciure de l'Atelier. La frêle silhouette se tenait devant le Prince, le visage dissimulé par la capuche de sa cape.
— Alors c'est toi qui a eut le talent de comprendre mon chagrin en même temps que celui de mon peuple ? C'est toi qui te permets de t'affranchir de mes lois pour m'imposer ce que tu penses bon pour moi ? C'est toi qui m'a ramené à la vie et à la joie en sculptant le trône le plus somptueux que le royaume n'ait jamais possédé ? Me permettras-tu d'entendre ton nom et de voir ton visage pour que je puisse t'offrir la récompense et le châtiment que tu mérites ?
Lorsque la cape glissa à ses pieds, Soélie garda les yeux baissés et fit à la révérence à son souverain. Le Prince reconnut dans ses traits la jeune fille qui riait sous un chêne. Il se rappela aussitôt la beauté de ses traits quand le rouge lui montait aux joues et qu'elle envisageait son mariage sous la ramure de l'arbre. Ses boucles étaient encore confondues aux copeaux de bois qu'elle avait tant travaillés.
Le Prince s'agenouilla aux pieds de la jeune fille et la remercia de tout son être d'avoir remis un Roi sur trône du royaume, il choisit comme récompense de lui offrir d'être son épouse et comme châtiment, ma foi, il lui suggéra la même chose.
Il fut raconté et transmis,
Dans la plus grande armoire
Jusqu'à la plus petite marquetterie,
Que les hommes sans espoir
Font rarement de bons maris.
Si une femme tant rêveuse que besogneuse
Sait bien œuvrer la nuit,
Les plus grands royaumes lui seront certainement acquis.
Ils vécurent heureux et n'eurent pas trop d'enfants.
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