Section 4

— T'as vraiment une sale tête, Cléo...

— Et bien, je te remercie ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que tu sais trouver les mots justes pour remonter le moral, toi.

Eva haussa les épaules, elle n'était pas du genre à pratiquer la langue de bois. Elle venait de passer commande de leurs consommations, et rejoignait Cléo dans le globe de verre qu'elles avaient pris l'habitude d'occuper à la Ruche. Elle se laissa tomber dans un fauteuil, croisa les bras pour afficher sa détermination à aborder le sujet qui fâchait, et scruta son amie. De larges cernes mauves soulignaient ses yeux fiévreux, et des plis nouveaux étaient apparus aux coins de ses lèvres. Eva la soupçonnait même d'avoir perdu quelques kilos. Il était évident qu'elle dormait mal. La veille au soir, Cléo avait déboulé chez elle complètement hystérique à la sortie de sa dernière simulation. Comme il fallait s'y attendre, Elie s'impatientait, et il avait changé de méthode pour passer à quelque chose de plus... rude, et inattendu.

— Tu as pu dormir un peu en rentrant, cette nuit ?

— Pas vraiment, non. J'ai bossé au radar toute la journée, ça n'avait jamais été si long. Mais j'ai eu le temps de réfléchir, et je pense avoir trouvé un début de solution.

Eva haussa un sourcil sceptique, mais ne dit rien. Cléo le savait bien : pour elle, la seule et unique solution consistait à mettre fin aux simulations. Elle n'avait jamais aimé ces Neurocoms qui s'introduisaient dans le cortex cérébral de ceux qui les utilisaient. C'était malsain, dangereux. Elle lui fit cependant signe de poursuivre, curieuse de savoir ce qu'avait imaginé son amie.

— Je vais lui demander de me donner accès à son programme de piratage, et en prendre le contrôle à sa place.

— Mais bien sûr, et tu crois qu'il va marcher si facilement ?

— Eh bien... je suis sûre qu'il peut comprendre que j'aie besoin d'une preuve d'amour avant de prendre pareil engagement. Il s'agit d'une demande en mariage, quand même !

Le sourire carnassier qu'elle lui décocha fit remonter un frisson le long du dos d'Eva. Elle secoua la tête en cherchant sur ses traits tirés le signe qu'il ne s'agissait que d'une mauvaise plaisanterie, mais Cléo ne souriait pas le moins du monde. Elle attendait, contente d'elle visiblement, qu'Eva la félicite de sa lumineuse stratégie.

— Tu es complètement folle ! Toute cette histoire finira mal. Non seulement tu le sous-estimes mais tu te surestimes, toi. Depuis quand est-ce que tu t'y connais en programmation ? Même s'il acceptait de te donner accès à ses outils, ce qui, laisse-moi de te le dire clairement, relève de l'utopie, qu'est-ce que tu en ferais, grand Dieu ?

— Je m'en servirais pour obtenir des informations à son sujet, pardi ! Qui il est, ce qu'il fait dans la vie, ce genre de choses. Et pour réunir des preuves de la manière dont il s'insinue dans chacune de mes simulations. Les Détects ne me croiront jamais sur ma bonne mine !

— Mais comment, Cléo ? Tu n'y connais rien, enfin !

Eva s'énervait, et le ton montait. La naïveté de Cléo la rendait dingue, elle se rendait bien compte de son impuissance à lui faire entendre raison. Elle avait peur pour son amie, et ça la rendait nerveuse, fébrile presque. Elle jeta un coup d'œil alentour, et constata qu'elles étaient au centre de l'attention. Dédiant un sourire d'excuse aux gens qui les dévisageaient avec curiosité, elle expira longuement pour se calmer, et fit signe à Cléo qu'elles devaient baisser d'un ton. Cette dernière hocha la tête, mais elle avait l'air mal à l'aise à présent, et un regain d'inquiétude envahit Eva. Cela n'augurait rien de bon.

— Il y a ce gars au boulot qui...

— Quoi ? Non, ce n'est pas vrai ! Ne me dis pas que tu en as parlé à ton boulot !

— J'ai besoin d'aide, Eva, tu l'as dit toi-même ! C'est un ami, un type bien, on se connaît depuis plusieurs mois, et il est passionné par tout ça. Il dit qu'on peut s'introduire dans la Neuromatrice grâce à une dérivation corticale ou... enfin, quelque chose comme ça. Et que c'est sûrement ce que fait Elie.

Eva se frotta le front en un geste impuissant. Elle ne réussirait jamais à détourner Cléo de son projet fou, elle s'en rendait compte à présent, surtout si elle avait trouvé quelqu'un d'autre pour alimenter son délire. Elle sourit d'un air malheureux. Il ne lui restait plus qu'une seule chose à faire : s'efforcer de limiter les dégâts.

— Et il s'appelle comment ton sauveur ?

— Maël. Il a 24 ans et il est d'une gentillesse à toute épreuve, puisque tu veux tout savoir. Il ne fait pas ça avec des intentions malhonnêtes, je ne l'intéresse pas, si c'est ce qui t'inquiète. Ce n'est pas un hacker, c'est juste qu'il aime ça, c'est sa passion, tu comprends. Selon lui, on doit pouvoir introduire un nanovirus dans l'implant d'Elie, et étant donné ce qu'il m'a fait, il serait prêt à m'aider. Il a reconnu que ce ne serait pas sans danger, mais si Elie lui-même nous ouvre les portes, ça pourrait fonctionner.

Ce ne serait pas sans danger... Oui, ça, Eva voulait bien le croire.

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