Section 2


— Il m'inquiète un peu, je le reconnais. En même temps, si tu voyais les coins qu'il me fait découvrir par le biais de la simulation ! J'aurais tellement aimé vivre sur Terre à cette époque...

Une inquiétude mal dissimulée traversa les grands yeux mauves d'Eva tandis que, pour la première fois, Cléo exprimait ouvertement son malaise à propos d'Elie. Confortablement installées dans l'un des globes de verre de la Ruche, les deux amies s'octroyaient leur soirée mensuelle entre filles. Les premiers mardis de chaque mois, elles avaient convenu de se retrouver dans ce bar branché du centre-ville, et d'y passer quelques heures de détente à simplement papoter.

L'une et l'autre adoraient cet endroit. Les décors chromés se mariaient à la perfection à la laque noire du mobilier, l'ensemble baignant dans la douce lueur bleutée des néons. Des globes de verre pendaient du plafond presque jusqu'à toucher terre, mais pas tout à fait. Dans chacun d'entre eux, une petite table ronde et de confortables fauteuils blancs occupaient tout l'espace disponible. C'était sobre, élégant, et la discrétion était assurée.

— Cléo, la simulation, c'est toi qui est censée la contrôler normalement, et toi seule. Ça veut dire qu'il... qu'il parasite ton cerveau, ni plus ni moins !

— Je sais bien... Je sais que je devrais couper tout contact, cesser de me connecter, voire même le signaler aux Détects. Je sais tout ça, Eva. Mais c'est comme si tu me demandais d'arrêter de respirer ! Ces fugues constituent une véritable bouffée d'oxygène pour moi, le soir, quand je rentre claquée de ces fichues journées sur la chaîne.

Eva posa doucement sa main aux ongles soigneusement manucurés sur celle de son amie, dont les doigts pianotaient nerveusement sur la surface de la table. Il s'agissait de l'inciter à la prudence, pas de la faire paniquer. Cléo avait à peine un an de moins qu'elle, mais elle avait souvent l'impression d'avoir à faire à une adolescente rebelle, trop impulsive et pas toujours consciente des réalités. Elles s'étaient rencontrées ici même, six ou sept mois plus tôt, et bien qu'elles soient aussi dissemblables qu'elles pouvaient l'être, leur amitié ne se démentait pas.

— Tu ne penses pas qu'il pourrait s'avérer dangereux, à la longue ? Et puis qu'est-ce que c'est que cette histoire d'épousailles ?!

— Dangereux ? Non, je ne crois pas. Je pense que c'est juste un garçon un peu timide qui me fait la cour par simulations interposées, c'est tout. Et je dois dire qu'il n'y réussit pas si mal... Mais je suis horrible, j'en demande toujours plus, et il marche, c'est ça le pire ! Je finis même par ne plus savoir quoi lui demander...

Cléo éclata de rire en portant la paille qui dépassait de son verre à cocktail à ses lèvres. Eva fronça les sourcils, elle ne trouvait pas ça très drôle. Encore une fois, son amie prenait la situation beaucoup trop à la légère, elle ne se rendait pas compte qu'un homme éconduit pouvait perdre la tête, surtout s'il avait le sentiment qu'on s'était fichu de lui. Elle se détourna pour dissimuler une moue agacée, et c'est alors que son regard en croisa un autre, fixé sur elles.

Il appartenait à un homme terriblement sexy. Il était installé seul dans un globe à quelques rangées du leur, dans un siège directement orienté vers elles. Affublé d'une barbe de deux ou trois jours, il ne souriait pas, se contentant de les dévisager avec insistance. Une seconde, Eva espéra qu'il ne faisait que regarder dans le vide, plongé dans ses pensées, mais elle déchanta rapidement. Non, elles étaient bel et bien dans sa ligne de mire.

— Ne regarde pas tout de suite, mais il y a un gars qui nous observe depuis un bon moment, sur ta gauche. Il... il est plutôt mignon, mais il y a quelque chose qui me met mal à l'aise dans la manière dont il nous fixe. Tu le connais ?

Une pointe d'angoisse transparaissait clairement dans la voix d'Eva. Elle détestait ce genre de situations, auxquelles son physique avantageux ne l'avait que trop souvent confrontée. Cléo continuait de tirer sur sa paille avec nonchalance, parcourant mine de rien l'assemblée du regard. Elle finit par secouer discrètement la tête en signe de dénégation. Elle ne le connaissait pas. Eva tenta sans succès de penser à autre chose en évoquant son départ prochain pour Andarel, la planète-océan, où elle allait rendre visite à ses parents en villégiature dans un centre thermal. Mais à chaque fois que ses yeux se posaient malencontreusement sur l'inconnu, il était en train de les fixer.

— Tu sais quoi ? On s'en va, ce type me fout la trouille !

Le ton n'admettait pas la contradiction. Elle était déjà en train de rassembler ses affaires, et sa cadette manqua s'étouffer avec son cocktail en cherchant à avaler trop vite. Cléo ouvrit la bouche pour protester, mais l'expression sur le visage de son amie l'en dissuada aussi sec. D'autant plus que, au regard noir qu'elle lui jeta, elle la jugeait entièrement responsable de la situation, et du total gâchis de la soirée. La brunette abandonna son verre encore à moitié plein, et la suivit en silence.

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