Chapitre 49
Une voix tout aussi monocorde que l'autre jour invita Namjoon à sortir du train. Il y avait un peu moins de monde en ce début de semaine, sûrement devaient-ils tous travailler. Mais ce détail lui permit de se déplacer plus facilement dans cette grande gare. La belle vue paradisiaque qu'on avait pu voir à Pohang fut remplacée par les immeubles et les rues plus ou moins anciennes de Daegu. Il était enfin de retour après dix longues journées passées hors de sa ville, à chercher des réponses pour être ensuite derechef frappé par des interrogations angoissantes. Et cela l'avait terriblement fatigué.
Des semaines qu'il vivait dans un cercle vicieux, sans jamais en voir la finalité. Des semaines qu'il se demandait si abandonner n'était pas la meilleure solution. Oui, il se trouvait lâche à penser de tels propos, mais il avait réalisé tant d'efforts dans le vent qu'il ne souhaitait plus investir davantage. Ni son cerveau ni son corps ne pouvaient le faire. Un repos éternel, voilà ce qui le tentait depuis le décès de sa fille. Et voilà qu'aujourd'hui cette idée occupait l'entièreté de ses pensées. Il était déterminé à le faire cette fois-ci.
Faire le deuil et vivre une vie paisible était évidemment une quête irréalisable, vouée à l'échec. À quoi s'attendait-il ? Il était faible, détruit physiquement et moralement, loin d'être courageux, en bref, un incapable. Il admirait tant ces personnes qui tenaient le coup et qui réussissaient à traverser cette période des plus douloureuses , il ne sera visiblement jamais comme eux, il n'en avait pas le mental. À dire vrai, il s'en voulait horriblement de baisser les bras à chaque obstacle qu'il rencontrait. De plus, à chacun de ces instants, c'était son estime de soi, son bonheur, son courage ainsi que son envie de vivre qui s'effaçaient progressivement. Par conséquent, plus le temps avançait, moins il trouvait de sens à son existence.
Jusqu'à aujourd'hui, où il n'en trouvait plus. Plus aucun.
Dehors, dans cette grande avenue, il n'arrivait définitivement plus à s'identifier à la foule. Il regardait le monde s'animer autour de lui, se demandant réellement s'il avait sa place ici. Bien sûr, une réponse négative lui vint rapidement. Il n'arrivera jamais à être comme cette femme au loin qui s'extasiait devant la vitrine d'un magasin de vêtement, il n'arrivera jamais non plus à être comme ce jeune homme qui sautillait joyeusement au rythme du son qui s'échappait de son casque, ni comme ce père de famille qui emmenait son enfant dans ce restaurant réputé. Rien ne lui permettait de connaître leur béatitude.
Si, jusque là, la mutilation, l'amitié ou la persévérance l'avaient maintenu en vie, dorénavant rien ne semblait lui donner espoir. Adonc, ce fut dans ces ruminations meurtrières qu'il se rendit tant bien que mal à son domicile. Cela prit plus de temps qu'habituellement car son corps ne semblait plus lui répondre. Ses pieds pouvaient très bien s'immobiliser sans crier gare, de même pour ses jambes qui l'avaient régulièrement lâchées et, par moment, seule la partie haute de son corps se penchait en avant, rendant sa marche effrayamment irrégulière. Il ne saurait dire combien de temps il avait passé à vouloir pleurer étant donné que même le contrôle de son physique lui échappait, mais la seule chose qu'il savait était que le soleil avait eu le temps de se coucher, laissant le crépuscule dominer la ville d'une couleur joliment orangée.
Notre protagoniste ne se rendit même pas compte qu'il avait atteint son quartier résidentiel, ce ne fut qu'une fois devant sa porte qu'il se décida à chercher ses clés habitant l'une de ses nombreuses poches. La tête baissée et d'un geste lent, il entama une fouille intense sans même voir la sombre silhouette qui s'approchait peu à peu de lui.
"Namjoon."
Celui-ci se retourna vers cette voix rauque avant de reconnaître, de ses yeux troubles, Yoongi, son ancien psychologue qu'il n'avait pas vu depuis plus de quatre semaines. Il était visiblement très fatigué à en juger ses cernes et son teint pâle. Mais il paraissait également très énervé, bien qu'inquiet.
"Où étais-tu ? Lui demanda le plus âgé."
Ne recevant aucune réponse, le noiraud regarda son vis-à-vis qui était dans un état alarmant. Il ne se focalisait pas uniquement sur son corps amaigri mais plutôt sur ses yeux inanimés. Mettre des mots sur ce qu'il voyait n'était pas évident mais Yoongi savait, par dessus tout, que Namjoon avait besoin d'aide plus que jamais. Que s'il ne le secourait pas maintenant, il n'en aurait plus jamais l'occasion. Il prit l'initiative de saisir les clés que son ancien patient tenait de ses mains tremblantes pour ouvrir la porte d'entrée, poussant de force l'être taciturne à l'intérieur.
"Je me répète. Où étais-tu Namjoon ? Fit-il d'une voix plus autoritaire, ôtant le manteau de ce dernier.
- À Pohang.
- Et pourquoi ?
- Va-t'en s'il te plaît.
- Hors de question. Tu te rends compte de la situation ? S'emporta t-il, haussant légèrement le ton. Je n'ai aucune nouvelle de toi depuis un mois et Hoseok m'appelle presque en pleurs parce que tu es parti précipitamment sans prévenir personne. J'ai passé trois soirées assis sur ce putain de banc dehors dans le froid en espérant te voir revenir ! Qu'est-ce que t'avais en tête pour faire un truc pareil ?"
Sa voix craquait légèrement, Yoongi serrait des poings. Le châtain fut étonné de voir son aîné ainsi pour la première fois, il en serait presque effrayé s'il était dans son état normal. Seulement, à cet instant, seule une indifférence poignante le dominait, rendant son ancien psychologue fou de rage après ses quelques mots.
"Pourquoi tu t'énerves pour si peu ? Je suis rentré donc maintenant pars, je t'en supplie.
- Pour si peu ? Répéta le noiraud, scandalisé. Je connais ta situation et je sais très bien que tu n'es pas en capacité de rester en bonne santé si tu restes isolé. Tu es encore fragile et être parti ainsi c'était vraiment dangereux pour toi. Encore heureux que tu sois rentré car tes amis se faisaient un sang d'encre pour toi, tandis que tu ne pensais même pas à eux ! Après avoir effectué les cent pas autour du salon, il se positionna face à Namjoon, les traits sévères. En fait, tu as bien fait d'arrêter ces rendez-vous avec moi. Notre relation n'a plus rien de professionnel et pour preuve, j'ai juste envie de te frapper pour nous avoir laissé sans nouvelle."
Peut-être que ses paroles étaient plus démesurées qu'ordinairement, mais Yoongi avait laissé parler ses inquiétudes en priorité. En effet, il était indéniablement impossible d'encore considérer Namjoon comme son patient, sinon il ne se serait jamais permis de s'adresser à lui de cette façon. Il s'en voulait tout de même d'être aussi virulent dans ses mots. Pourtant, son cadet n'avait fait que l'écouter sans sourciller et c'était justement ce masque de neutralité qui le dérangeait.
Tout en réfléchissant à ce qu'il pouvait faire pour venir en aide au châtain, il sortit son téléphone afin d'envoyer un message rapide à Hoseok pour lui informer le retour de leur ami, lui expliquant brièvement qu'il s'occupait de lui pour cette soirée. Quand il leva de nouveau les yeux, il vit des larmes couler le long des joues de Namjoon qui n'émettait même pas un seul son, comme s'il ignorait lui-même qu'il pleurait abondamment. Prudent, le noiraud s'approcha de lui, son mécontentement déjà bien atténué.
"Que s'est-il passé pour que tu sois comme ça ? Réponds moi s'il te plaît.
- Tu n'as pas entendu ce que je t'ai dit ? Je t'ai demandé de partir Yoongi.
- Non. Pas tant que je me sois assuré que tu ne risques rien."
Nos deux hommes maintenaient un contact visuel pour le moins intense. Un silence pénible pesait dans la grande salle et ils eurent vivement envie d'y mettre un terme. Mais à quoi bon s'ils ne s'écoutaient pas mutuellement ? Yoongi avait l'impression de monologuer face à un mur de pierre tandis qu'il faisait part de son inquiétude. Du côté de Namjoon, peu importe l'affection qu'il ressentait auprès de son vis-à-vis, il souhaitait simplement mettre celui-ci à la porte pour un semblant de tranquillité.
Il se dit alors que lui tenir tête comme il le faisait actuellement ne servait à rien. D'un long soupir, il se tourna en direction de sa chambre. Sa seule préoccupation pour le moment était de fuir, du mieux qu'il le pouvait pour ensuite réaliser son objectif ultime. À chaque pas, un sentiment indescriptible prenait le dessus sur lui sans qu'il ne puisse exercer aucun contrôle. Malheureusement, le fait d'entendre le noiraud répéter son prénom sans jamais abandonner l'irritait fortement. Au bout d'une énième interpellation, Namjoon vit rouge. D'une violence sans pareille, il prit le premier objet qui lui vint et le jeta à l'autre bout de la pièce, tout près de son aîné, qui n'eut même pas le temps de se déplacer, seuls ses yeux s'écarquillèrent et son cœur s'affola. La voix détruite de son ancien patient l'effraya d'autant plus.
"Dégage d'ici ! Laisse-moi tranquille, j'en ai assez !
- Je ne peux pas m'en aller. Tenta t-il prudemment, restant un minimum calme. Tu pourrais très bien te mettre en danger.
- C'est peut-être ce que je veux, non ?! Cela ne te regarde plus à ce que je sache, tu n'es plus mon psychologue, et encore moins mon ami étant donné que tu m'avais refusé ça. Tu n'es plus personne pour oser rester ici !
- Calme-toi et discutons calmement, tu n'as pas les idées claires.
- J'ai jamais eu les idées aussi claires que maintenant Yoongi. S'approcha t-il. Depuis que je l'ai perdue, ma vie n'est que désordre. Je n'ai jamais su quoi faire pour aller mieux ou encore pour retrouver une motivation. Je ne pensais pas que tout irait mieux en cherchant les raisons de sa mort, mais au moins un minimum de consolation ou d'autre chose... Je ne sais même plus ce que j'espérais en fait. Tout ce que je peux te dire aujourd'hui, c'est que rien ne fonctionnera. Je n'en peux plus, je suis fatigué, espérer m'a fatigué. Je sais que je ne suis plus en capacité de supporter cette épreuve alors respecte au moins ça ! Laisse moi partir de mon plein gré. J'en ai assez de souffrir, ça me ronge de l'intérieur, je ne pourrais jamais guérir alors autant y mettre un terme, bordel de merde ! Alors je le répète une dernière fois, dégage d'ici !"
Tant son énergie avait été dépensée pour se faire comprendre, il n'arrivait plus à solliciter sa force pour expulser le noiraud de son domicile. Son corps s'appuyait contre le sien mais n'arrivait point à le reculer de ne serait-ce qu'un iota. Il se trouvait tout bonnement ridicule à le supplier de le laisser périr. Mais c'était la seule solution. Supporter une journée de plus lui était impossible. Les innombrables crises d'angoisse, suffocations et idées suicidaires, les appréhensions tournées vers un avenir incertain puis le sentiment d'inutilité... Non, tout ça devait se terminer, c'était beaucoup trop. Certes, des solutions étaient envisageables, on pourrait très bien lui proposer des thérapies supplémentaires ou il ne sait quoi d'autre, toutefois, il n'en avait plus la force.
Et bien qu'il n'avait pas mis des mots sur l'ensemble de ces souffrances, Yoongi avait parfaitement compris ce qu'il ressentait, son être tout entier lui criait à l'aide après tout. Mais le châtain semblait hors de contrôle, il fallait impérativement le rasséréner tout en prenant des précautions.
Il devait vraiment être sur ses gardes, ou bien Namjoon profitera d'une faille pour s'enfuir à jamais.
💜💜💜
Bonjour, ça fait un peu longtemps
Ce chapitre était particulièrement dur à écrire, il m'a achevé.
J'espère que l'histoire vous plait toujours autant, je vous dis à la prochaine
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