♖ Chapitre 4 ♖

Hellooooo voici un nouveau chapitre ! :D 
Je vais poster la suite jusqu'au chapitre 6, complet sur Fyctia, ici. Pensez à aller sur Fyctia pour voter si vous aimez l'histoire, ça m'aidera pas mal ;) 

Et à liker ici aussi, bien entendu ! 


Bonne lecture ! 

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L'intérieur du carrosse a finalement tout d'une roulotte, qui se trouve bien plus sombre que je l'imaginais. Après m'avoir déposée sur une surface moelleuse, le chevalier prend ses distances. Mon cerveau s'active et mes sens s'aiguisent, mis en alerte par le fait de se retrouver enfermée.

Tu paniqueras plus tard, me sermonné-je.

Oui, plus tard : ce n'est pas le moment de se taper un somme par épuisement mental. Je ne peux pas me le permettre.

Mysterio tire sur un cordon au niveau de son visage. Aussitôt, un chuintement se fait entendre, et, une à une, des petites boules de lumière illuminent avec peine les lieux. D'épais rideaux masquent les fenêtres, d'où l'aspect si feutré. Mais mon attention est rivé sur l'apparition de cette guirlande, si similaire à celle qu'on retrouve chez moi.

— De l'électricité, chuchoté-je, estomaquée par cette vision illogique, tout en cherchant le mécanisme de la cordelette tiré du plafond.

Rien n'est visible. Pour autant, le bruit feutré, toujours audible, me laisse penser que ce n'est pas comme l'électricité qui vient de chez moi.

Bien que Mysterio me tourne le dos, occupé à décrocher la cape de ses épaules, je remarque à son mouvement de tête qu'il s'attarde un instant sur ma petite personne, avant de continuer à se déshabiller avec lenteur. Son vêtement doit être beaucoup plus lourd qu'il n'y paraît, car lorsqu'il le laisse tomber non loin de moi, il s'y écrase sans aucune délicatesse, à la manière d'un animal mort. Ainsi libéré de son fardeau de tissu, le dos du chevalier apparaît dans toute son étonnante masculinité. Il a un corps d'homme, c'est indéniable. Un corps d'homme qui s'entretient.

Cette pensée me rappelle brusquement César. La bête noire de mon quartier, un jeune homme étrange, toujours perché en hauteur sur les murets des pavillons, à fumer sa clope en écoutant de la musique sur son téléphone. Accompagné parfois ; seul le plus souvent.

César et son regard étincelant, son sourire roublard, son corps d'homme dans un esprit d'adolescent. Il a toujours gardé ses distances avec moi, sans jamais manquer l'occasion de me héler avec un sobriquet ridicule. La vérité, c'est que lorsque je le voyais dans les parages, je n'avais jamais peur de rentrer tard le soir. C'est son territoire, et aucune autre fripouille ne s'y aventurait en sa présence. Ses multiples blessures sur son visage, en permanence, en étaient le prix à payer.

Me détournant à la fois de ce souvenir et de la morphologie du chevalier, je parcours le reste du regard. La banquette sous mes fesses prend un angle de la pièce, avec une étroite planche de bois vernie en lieu et place d'une table, le tout laissant un passage sur la cloison opposée pour emprunter une petite porte fermée, élégamment décoré de dorures. Des dorures, justement, il y en a partout ; de même que des fioritures incisées dans le bois pour former des silhouettes d'animaux.

À côté de la porte d'entrée et sur tout un pan de mur, des placards se disputent la misérable place disponible. Mysterio en ouvre un, y déplace des choses qui tintent puis revient s'agenouiller devant moi, les mains encombrées de bandages et de deux fioles.

Il lève son casque vers moi et me dis d'une voix presque grondante :

— Donne moi tes pieds, je vais les panser.

J'obtempère sans m'inquiéter, engourdie par l'autorité qu'il dégage. Aucune cruauté n'émane de lui, pourtant tout mon instinct me hurle de me tenir à carreau en sa présence.

À peine s'est-il emparé de ma première cheville que je glapis, surprise par la douleur engendrée par le mouvement. Le chevalier sursaute comme si je l'avais frappé. Mon regard se fixe alors au sien et je réalise que je n'ai pas encore fait attention à son heaume.

Il n'y a pas de trou pour sa bouche, seulement pour ses yeux, et une croix sanglante fend le centre du métal froid. Ses iris brillent dans l'obscurité des deux fentes. Un argenté si pur qu'il paraît luminescent. Je n'ai jamais vu une telle couleur.

Je m'y perds si longtemps que je ne prends conscience qu'il étale une pommade sur la plante de mes pieds que lorsqu'un feu s'y installe. Je geins sans pouvoir me retenir.

— Tu es bien douillette, dit-il comme s'il était surpris par ce constat.

— Ça brule, me justifié-je avec l'air de me plaindre.

Il me tend une petite fiole.

— Bois, ça apaisera la douleur.

Je renifle le goulot après avoir retiré le capuchon en liège.

— Ça pue.

— Le goût n'est pas mieux, dit-il, et l'amusement perce dans son ton.

J'avale une gorgée en me faisant la réflexion que je n'émets pas beaucoup d'opposition. D'un autre côté, il est en train de prendre soin de moi. Pourquoi faire tout ce cirque si c'est pour m'empoisonner ?

Pour te mettre en confiance, me souffle une petite voix vicieuse.

— On dirait de l'ortie, grimacé-je en étouffant mes peurs. J'aime pas l'ortie.

— On en fait à toutes les sauces, ici.

Je perçois un soupçon de sourire dans sa phrase.

Je ne dis plus rien. J'observe sa manière de bander - d'une infinie douceur - le premier pied mal en point. Il s'attaque au deuxième, et je m'empresse d'engloutir une nouvelle gorgée de l'immonde boisson dans l'espoir que ça fasse un quelconque effet.

— Pourquoi je suis là ? demandé-je brusquement après avoir pris mon courage à deux mains.

Il fuit mon regard, simulant un intérêt profond dans l'application de la pâte blanche aux airs d'huile de coco solide.

— Tu ne te souviens vraiment pas de ton nom ?

Ses inflexions sont délicates, d'une sérénité que je suis loin de partager. Comment fait-il ça ? Il me kidnappe et n'a pas l'air de s'en émouvoir.

Je déglutis. Et décide de ne pas répondre. Dorénavant, je ne dirais plus rien s'il ne fait pas l'effort de m'offrir des réponses.

Du coup, un mutisme désagréable s'installe. J'en profite pour tendre l'oreille et tenter de percevoir des conversations provenant de l'extérieur, mais ce n'est qu'un brouhaha distant dont je ne peux rien tirer.

— Où est Jacme ?

— Quelque part où on a plus besoin de lui, répond Mystério, imperturbable.

Il termine de s'occuper de mon second pied et je parviens enfin à respirer correctement, réalisant que la souffrance s'est tarie en un point presque négligeable. Au moment où je me mets debout, je comprends que la solution buvable que j'ai ingurgité doit y être pour quelque chose : je tangue légèrement.

Mysterio me tend la main, son regard d'acier glacial me transperçant :

— Viens, m'enjoint-il avec une certaine douceur.

Je sais que j'aurais dû me méfier de lui depuis le début. Ne serait-ce qu'à cause de ce loquet passé sur la porte, ou parce qu'il m'a emporté sur son cheval sans demander la permission - non pas que ça aurait changé quoique ce soit, cela dit...

Pourtant, malgré les expressions de son visage, sa manière d'être, de se comporter, ou juste la patience qu'il m'offre me paraît bien loin d'un profil de sociopathe.

Nous passons la petite porte.

La pièce suivante est une chambre.

Je me fige.

Oh non. Pas ça.

Je recule.

Sans en avoir vraiment conscience, je prends la fuite. Ou du moins j'essaie, de toutes mes maigres forces. Les mains de Mysterio m'emprisonnent sans la moindre chance de fuite. Ma mère m'avait proposé de faire des cours de self défense à une époque. J'avais refusé, prétextant avoir déjà une vie bien remplie entre le temple et la danse contemporaine.

Oh, que je regrette !

— Je suis désolé, mais je ne peux pas te laisser partir.

Je suis certaine de me mettre à trembler. Le chevalier tente de me faire pivoter, mais je m'accroche au chambranle de la porte. Je refuse de me faire jeter sur ce lit sans me battre !

Pendant des secondes interminables, je me ridiculise en offrant une piètre résistance au mur de muscle qui ne semble même pas forcer. Finalement, au bout d'un combat risible, Mysterio claque la porte juste sous mon nez : j'ai à peine le temps de retirer mes doigts. La seconde d'après, il pousse un verrou qui se trouve tout en haut.

Je le regarde béatement, consciente qu'il est inaccessible. Pour autant, je ne peux pas m'avouer vaincue. Je saute le plus haut possible, mettant à profil mes années de danse... sans succès. Mes doigts frôlent le loquet, mais impossible de le saisir ; le faire pivoter pour le redescendre est voué à l'échec.

Haletante, je cesse de gesticuler, réalisant après un temps de retard que Mysterio ne fait même pas mine de m'en empêcher.

— Rheane non plus n'arrivait jamais à l'atteindre. Elle haïssait que je le mette.

Mon cœur s'affole sous mon crâne tandis que je décrypte une infinie tristesse dans ses yeux.

Il tourne la tête vers le lit.

— Je suppose que c'est l'heure de vérité, dit-il d'un ton las.

Cette fois, je ne peux m'empêcher de suivre son regard. Mon estomac menace aussitôt de se loger dans ma gorge et je chancèle sur mes jambes, obligée de me soutenir d'une main posée au mur.

Nous ne sommes pas seuls dans cette chambre. Une silhouette se découpe dans l'obscurité de la pièce. Il n'y a aucune lampe ici, seule une lucarne au plafond invite une lueur diffuse.

Si l'on peut mourir de stress, je jurerais de ne pas être loin du gouffre.

Mysterio et moi restons muet. Collée à la paroi de la roulotte, je prie de toute mes forces pour me faire avaler par les lattes de bois, soulagée que le chevalier semble oublier ma présence, son attention toute dirigée qu'elle est sur la forme allongée.

Il s'avance d'un pas. Puis d'un second. J'ai la sensation qu'il affronte une rivière en crue. Chacun de ses pas paraît lui coûter. Il parvient à coller les cuisses contre le lit. Mais là encore, il s'immobilise, incertain. Je retiens ma respiration, consciente qu'il se déroule en ce moment même quelque chose de grave, terriblement grave.

Le chevalier tend la main. Hésite.

Il tourne son heaume cornés vers moi et ses iris me dévisagent avec un espoir si poignant que j'en ai mal au ventre. Des larmes s'amoncellent dans mes propres yeux plutôt que dans les siens. Je sais pourquoi. Sa peine est palpable. Elle trouve un écho chez moi, qui devine sans mal ce qui est allongé dans ce lit.

Un être sans vie, dont la poitrine ne se soulève plus.

Un soupir traverse la pièce. Mysterio se reprend, quitte mon regard, se penche et... Il lève le drap. Dévoile un visage que j'entr'aperçois, même si je refuse de regarder de plus près. Le chevalier se voûte comme s'il venait de recevoir un uppercut. Il reste un instant figé dans cette étrange position.

Je n'entends plus que mon propre cœur galoper à la recherche d'une échappatoire. J'ai mal. Terriblement mal. Parce que le chagrin du chevalier raisonne dans tout mon être. Parce qu'il s'est approché de ce corps de la même manière que je l'ai fait avec le cadavre de maman.

Avec l'espoir fou que ce ne soit pas vrai. Le besoin irrépressible qu'il y ait de la vie en face.

Je ne devrais pas avancer. Pourtant, je me décale en diagonale. Assez pour reconnaître les traits du visage avant que Mysterio ne le recouvre. Un visage en paix. Pâle. Asiatique. De bonnes joues, des pommettes hautes et un front large orné d'une tiare.

Le visage de la princesse.

Mon propre visage.

J'encaisse le contre-coup en glissant au sol et en enfonçant ma tête dans mon coude. Le monde tournoi.

Es totjorn mòrt.

Ce n'est qu'un murmure. Je me mure dans mon silence, dans mon cocon.

— Elle est toujours morte, et tu es bien là.

Un chuchotis encore plus doux. Je plaque mes poings sur mes oreilles. Je ne veux pas savoir. Je ne veux rien entendre. Laissez moi tranquille !

— Tu n'as pas oublié ton nom, pas vrai ?

Il n'est pas vraiment là. C'est fini, je vais me réveiller, ce n'est qu'un cauchemar.

Ses mains viennent se plaquer sur mes genoux. Il saisit mes bras avec la délicatesse qui le défini et les déplie, forçant mon visage barbouillé de larmes à se lever vers le sien. Ses yeux sont deux puits de tristesse.

On se dévisage silencieusement et les minutes s'écoulent. Puis ses iris fait de métal fondu se durcissent et son regard s'affermit, comme s'il se nourrissait d'une nouvelle détermination.

— Tu ne viens pas de ce monde, n'est-ce pas ?

Tais-toi. Par pitié, ne dis plus rien.

— Laisse-moi repartir. Je veux rentrer chez moi, dis-je d'une toute petite voix pitoyable.

Je me déteste, mais d'un autre côté, je n'ai plus la force de me montrer courageuse ou mature. Je ne comprend rien à ce qui m'arrive.

Mysterio passe ses doigts rugueux, plein de callosités, sur mes joues pour y essuyer les larmes.

— Je ne peux pas. Il n'existe aucun moyen. Si j'avais pu, je l'aurais fait, je te le jure.

Un nouveau fardeau s'écrase sur mes épaules avec tant de force que je me recroqueville davantage sur moi-même. Le temps s'étire, durant lequel il reste à mes côtés sans rien dire.

— La princesse... s'appelle Rheane ?

— Oui, Rheane de Carcassonne. C'est la princesse héritière du royaume.

Je ferme les yeux, très fort.

— Et le royaume ?

— Occitania.

— C'est la France ?

Il garde le silence, et je rouvre les yeux pour tenter de lire dans les siens, empreint de compréhension.

— Je ne sais pas ce qu'est la France.

— Mais vous parlez français.

— Le français est une nouvelle langue que les pro-Francs défendent depuis plusieurs décennies. Les nobles se l'approprient pour se différencier du peuple. Sinon, nous parlons la lenga d'òc, l'occitan.

J'acquiesce mollement, même si ça n'a aucun sens pour moi.

— On est en quelle année ? demandé-je d'une toute petite voix.

— En l'an 2022.

— C'est impossible, accusé-je. C'est la même année que là d'où je viens.

Il ne dit rien. Il se contente de me regarder, patient.

— Je ne comprends pas, comment j'ai atterri ici ?

— On l'ignore.

Je devrais l'inonder de questions. Malheureusement, mon esprit s'estompe, se recroquevillant dans une coquille d'accablement que je n'ai pas l'énergie de briser. Mon regard s'envole vers le lit. Mon cœur tambourine. Il me reste une unique question.

— Comment elle est morte ?

Sa nuque s'incline en une attitude prostrée.

— Empoisonnée, lâche-t-il enfin.

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