Dernière note

Les rayons lunaires, filtrés par les rideaux de soie délavés, déversent dans la pièce une lumière douce et glaciale. Ils éclairent faiblement le piano à queue abandonné, sale, poussiéreux, tristement planté là, attendant que des doigts viennent le caresser. Il ne demande qu'à frissonner de son chant mélodieux, d'emplir la pièce d'un souffle harmonieux.

Puis la porte s'ouvre. Elle s'avance. Ses pieds frôlent à peine le sol, soulèvent vaguement la couche de poussière. Elle s'asseoit sur le banc et laisse traîner ses doigts sur les touches noires et blanches, miroir de son âme torturée entre le jour et la nuit.

Puis des notes retentissent. Elle est partie. Ses mains se baladent tranquillement sur le piano heureux de revivre. Il laisse échapper ses cris plaintifs dramatiques avec une intensité inédite à chaque arpège.

Soudain tout vit, les rayons lunaires éclairent l'ensemble de la pièce, la poussière disparaît, l'obscurité s'efface, la cadence s'accélère, macabre mais magique. Les rideaux se mettent à danser, elle se met à chanter, de l'herbe pousse, des oiseaux vont et viennent, des papillons se posent sur ses jambes translucides.

Puis brusquement tout s'arrête. Sa main suspendue au-dessus de la dernière note est incapable d'appuyer. Le souvenir de cette dernière partition hante ses globes oculaires sombres. Le temps semble se suspendre.

Puis des larmes amères perlent au coin de ses yeux vides, des larmes rouges, et les oiseaux explosent, les papillons perdent leurs ailes, l'herbe fume et redevient poussière, les rideaux se déchirent, le piano pleure.

Elle se lève, laisse sa mélodie en suspend, s'en va, sans un regard en arrière.

Sur le clavier, les touches blanches sont désormais rouges, les touches noires rient de son malheur. Les rayons lunaires rétrécissent, l'obscurité revient, comme elle revient dans son cœur. Comme elle reviendra demain, et le jour d'après, et le jour encore d'après.

Comme elle reviendra toujours, à la même heure, pour jouer les mêmes notes, puis s'arrêter sur la dernière, refusant d'accepter sa mort.

Refusant de jouer la dernière note comme elle l'avait jouée de son vivant. Refusant de mourir une seconde fois, sur le même piano, dans la même pièce.

Sur la même dernière note.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top