Brisée.
Des corbeaux. Des corbeaux partout. Il y en avait partout ; dans les arbres, sur la route, sur les voitures, sur les toits, partout. Leurs ailes noires comme l'encre qui s'échouait paresseusement sur ses feuilles de papier se reflétaient dans ses yeux vides, dénués de vie. Le reflet de leur plumage d'ébène scintillait sombrement dans ses pupilles humides, dans ses iris désemparés, perdus. Leurs croassements se répercutaient dans ses tympans, comme un écho douloureux qu'on ne veut pas entendre mais qu'on écoute. Leurs yeux aussi sombres que le sang dans son cœur se plongeaient dans les siens, miroirs d'une réalité irréaliste et promesse d'une souffrance sans fin.
C'était un jour gris, un jour de pluie, un jour sans vie. Les nuages partout envahissaient le Ciel, des nuages tristes, promettant des gouttes froides, aussi gelées que la peine qui l'enveloppait. Ces gouttes qui tombaient de là-haut, ces gouttes qui transperçaient ses vêtements, ces gouttes qui collaient ses cheveux à son visage, ces gouttes qui trempaient ce pelage tant chéri, désormais chétif. Froid. Immobile. Ces gouttes qui se mêlaient à la pluie de ses yeux, si bien qu'elle ne savait plus qui du Ciel ou d'elle pleurait le plus.
Il y avait du vent aussi. Le vent qui traînait derrière lui des souffles haletants de martyr et d'horreur, des murmures mortels, des angoisses paralysantes. Le vent qui finirait par chasser les nuages, rapidement, dévoilant de temps à autre le Soleil timide. Était-ce un signe ? Elle ne savait pas. Couchée sur le flanc, dans une imitation inconsciente, elle les regardait flotter par la fenêtre, derrière un brouillard de larmes amères. Ses yeux vides furent brillamment éclairés par la lumière, qui disparut aussi vite qu'elle était apparue, comme éblouie par tant de noirceur et violée par tant de douleur.
Et ce vide qui se creusait chaque seconde un peu plus vite, un peu plus fort, qui perforait chaque cellule de son être, chaque recoin de son âme, ce vide qui tirait son cœur vers le bas, ce vide qui aspirait ses tripes, ce vide qui ne laissait rien mais qui lui faisait tout ressentir. Ce déchirement qui résonnait dans ses oreilles, dans son esprit, et ce Ciel qui ne cessait de lui tomber sur la tête, ces éclats de monde qui ne cessaient de voler, de morceler chaque parcelle de sa peau, ces aiguilles qui trouvaient toujours un endroit à piquer alors même qu'elle pensait que cela ne pouvait être pire... Et chaque inspiration tremblante qu'elle avait semblait vouloir se transmettre à cette beauté envolée, chaque larme échouée sur l'oreiller semblait vouloir se transformer en eau de vie et entourer ce corps désormais hors de portée.
Comment décrire ce qu'elle ressentait ? C'était au-delà des mots, au-delà de l'imagination, au-delà de la pensée. C'était quelque chose qu'elle n'avait pas prévu, quelque chose qui n'aurait jamais dû être écrit... Ce Ciel qu'elle aimait tant l'engloutissait, lui comprimait la tête et les poumons, s'abattait sur son monde, faisait voler en éclats tout ce en quoi elle avait toujours cru...
Cette force de la Nature, cette beauté, cette puissance, cette folitude, cet amour que désormais elle ne regardait que sur un bout de papier insensible... Ce regard qu'elle ne croiserait plus jamais, cette odeur qu'elle ne sentirait plus jamais, ces traces qu'elle ne verrait plus jamais... ces yeux qui s'étaient fermés à tout jamais...
Elle regarda la photo puis détourna aussitôt les yeux. Comme si elle l'avait brûlée. Comme si elle l'avait frappée.
Et cette violence qui l'avait saisie sur le chemin. Ce coup de poignard violent comme aucun autre, lorsqu'elle s'était vue sur les cailloux, se promenant avec elle. Cette blessure horrible qui s'était incrustée dans son cœur à ce qui désormais ne resterait qu'un souvenir... Tout semblait si irréaliste.
Et ces larmes qui ne tarissent pas, qui ne tariront jamais. Ce n'est pas elle qui est partie. C'est moi qui suis morte.
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