Chapitre 8

     Ash m'emmena vers une partie du niveau douze que je n'avais pas encore visitée. En réalité, je n'avais aperçu que la section détruite près de l'ascenseur.

Je suivis donc ce grand colosse par-delà le corridor, où une zone d'ombre m'empêchait d'apercevoir cette mystérieuse pièce. Le silence des lieux me fit frémir. J'avais l'impression de me trouver dans une partie hantée de l'édifice, où seuls les plus braves s'aventuraient. Braves ou fous...J'aurais d'ailleurs pu qualifier mes geôliers ainsi. Ils paraissaient originaires d'une autre planète ou, plutôt, d'une autre vie, une vie où les mojitos et les journées sur la plage étaient exclus, où les rires étaient étouffés par leur froideur singulière à l'égard d'autrui et où la couleur écarlate commanditait leurs êtres ravageurs.

Je ne me faisais pas d'illusions. Ces mecs représentaient un grand danger puisque j'ignorais leurs réelles intentions à mon égard. J'en tremblais d'angoisse chaque fois que j'y songeais. J'aurais aimé qu'ils me rassurent, qu'ils me certifient qu'ils ne me détruiraient pas comme ils l'avaient fait avec mes compagnons, mais rien. Je devais attendre la fin de ces trois jours interminables où seule l'incertitude la plus sinistre accompagnait ma détresse.

Alors que je marchais derrière Ash, j'en profitai pour mieux le détailler. Des quatre titans, c'était celui qui paraissait le plus humain, bien que le terme soit plutôt dérisoire. Un humain normal n'aurait pas sa force brute, ni son regard singulier rappelant celui d'un félin, ni cette habileté à se mouvoir sans bruit. Or, j'étais certaine qu'aucun être vivant ne possédait sa voix rauque aux notes pétillantes qui me donnait de drôles de frissons partant du haut de ma colonne vertébrale et la dévalant comme une cascade de lave jusqu'à mes reins, brûlant la moindre de mes défenses. Je me sentais si intimidée en sa présence que j'étais incapable d'engager une conversation sans bégayer comme une écolière devant sa classe. Je préférai donc me taire au lieu de paraître chèvre devant lui. J'avais déjà l'air d'une proie, alors je m'efforçais de ne pas lui donner raison. Je tentai donc de ne pas trembler et le suivis le long du lugubre couloir. Celui-ci déboucha sur une grande salle lumineuse, tout le contraire du douzième étage. Aucun plafond n'avait été construit dans cette partie.

Je clignai des yeux alors que la lumière du jour transperçait mes rétines. Le soleil éblouissant et la chaleur oppressante me rappela que je me trouvais toujours au Mexique et que ce lieu initialement paradisiaque incarnait désormais un enfer dans lequel j'étais claustrée.

Je détaillai l'endroit contenant une table ou, du moins, une planche de bois prévue à cet effet, une petite toilette cachée derrière un muret ainsi qu'une grande cuve en acier inoxydable. Sa longueur avoisinait les trois mètres.

— Voilà où tu pourras faire ta toilette, m'annonça Ash.

— D'où provient l'eau ? demandai-je, curieuse.

— Du ciel.

Je grimaçai ; ils vivaient vraiment rudimentairement

— Dépêche-toi, sinon mes potes vont se demander pourquoi tu es aussi longue et risquent de venir vérifier. Je suis certain que la vue de toi nue les enchanterait.

— Vas te faire fouttre, lui lançai-je, furibonde.

— Avec plaisir, chaton. Si tu veux m'aider...

Je levai les yeux au ciel.

— Comment ferai-je en attendant que mes vêtements sèchent ? lui demandai-je. Je ne peux pas rester nue.

— J'ai remarqué que tu portais un costume de bain sous ta tenue. Tu n'auras qu'à le mettre en attendant que le reste ne soit sec.

Et m'exhiber devant ces hommes de Cro-Magnon ? Il se foutait de moi !

— Bon nettoyage ! me dit-il en faisant demi-tour. Et inutile de te rappeler qu'il n'y a aucune sortie.

Avec un long soupir exagéré, j'entrepris de me hisser dans la cuve, dont le rebord était très glissant, puis m'immergeai dans l'eau brouillée.

Le plus difficile fut le lavage de ma chevelure. J'utilisai un pain de savon, qui se trouvait par terre. Toutefois, c'était la première fois que j'essayais de me savonner les cheveux avec quelque chose d'aussi solide. L'objet me glissait sans cesse des mains, ce qui me compliqua la tâche. Je jurai durant l'intégralité de ma besogne, puis me rinçai. Une fois terminée, je trempai mes vêtements et les frottai du mieux que je le pus.

Les rayons de soleil brûlants séchèrent rapidement mon épiderme. Je remis ensuite mon bikini, le seul vêtement me permettant de me couvrir un minimum. Je devais oublier le drap de bain moelleux et le peignoir en ratine.

Des bruits de pas m'alertèrent et, pendant une seconde, j'eus envie de me cacher, mais ce serait en vain.

La carrure d'Ash apparut devant moi.

— As-tu terminé ? interrogea-t-il.

— Qu'est-ce que tu en penses ? rétorqué-je.

Ses billes dorés enrobèrent mon corps découvert, prenant le chemin incurvé de ma poitrine, puis celui de mon ventre plat et roulèrent jusqu'à ma culotte noire. Puis, elles cheminèrent jusqu'à mes cuisses, s'égarant sur ma peau garnie de taches de rousseurs.

— Tu parais propre et, surtout, tu sens bon, répondit-il d'une voix rauque trahissant son appétit.

— Vas-tu me dévorer vivante ou te retenir ?

C'était à-moitié une blague, puisque je ne le connaissais pas suffisamment pour savoir si oui ou non il pourrait le faire.

Un ricanement s'échappa de sa gorge.

— J'aimerais bien te goûter, chaton, mais ce n'est pas le moment. On nous attend.

J'ignorai ses paroles à double sens.

— Qui ? questionnai-je, bien que je me doutais de se réponse.

— Les lettres de l'alphabet, railla-t-il. Ils veulent vérifier comment tu vas.

J'aurais pu trouver l'attention touchante, mais je savais que le motif de cette rencontre était toute autre.

— Tu auras peut-être l'occasion de me manger s'ils décident de me massacrer, débitai-je en essayant de dissimuler ma frayeur.

Après tout, l'humour était ma seule arme.

— Je l'espère, dans un futur proche, dit-il bien sérieusement alors que son regard s'attardait sur ma poitrine.

— Espèce de pervers, maugréai-je, en comprenant la tournure de ses pensées.

— Dans ce cas, arrête de parler de nourriture. En passant, je me nourris comme toi.

— Et d'où proviennent vos succulents repas ? ironisé-je. Il n'y a aucune façon de descendre aux cuisines de l'hôtel pour s'alimenter.

— On nous envoie nos repas par un monte-charge, me répond-il. Maintenant, suis-moi.

Quoi ? Il ne pensait tout de même pas que j'allais me pavaner en bikini devant ses potes ?

— Hors de question, déclarai-je. Je vais attendre que mes vêtements soient secs.

— Ça prendra des heures et on ne peut attendre aussi longtemps, me certifia-t-il.

— Pourquoi ? Il n'y a pas le feu.

Il prit une grande inspiration et me fit signe de m'avancer vers la rambarde. Je m'en approchai précautionneusement et jetai un coup d'œil douze étages plus bas.

— Qu'est-ce qu'il y a ? questionnai-je, confuse.

— Que vois-tu ? dit-il seulement.

— Euh, rien.

— Observe bien.

Je laissai mon regarder vagabonder sur les jardins environnants l'hôtel, sur le stationnement des autobus et, enfin, sur le portique de la bâtisse.

Tous déserts, à l'instar d'une île abandonnée.

— Dans quelques heures, ce silence te manquera, me dit Ash comme s'il annonçait la météo.

Il fixait la mer au loin comme s'il s'attendait à y voir apparaître un tsunami dévastateur. Néanmoins, il pressentait probablement quelque chose d'aussi ravageur.

— Tu entendras des cris, des gémissements, des pleurs, des supplications, et tu n'y pourras rien, puisque tu seras confinée au douzième étage de cette chère prison.

— Que va-t-il se passer ? interrogeai-je tout en me doutant de la réponse.

— La pandémie fera des ravages.

Je déglutis tandis qu'il se retournait. Il se rapprocha de moi et je dus lever la tête puisqu'il me surplombait de sa taille impressionnante. Ses iris mordorés pénétrèrent mon âme, brisant le dernier éclat de rébellion en moi.

— Tu survivras à cette pandémie, mais tu seras peut-être la seule, m'annonça l'homme. Tous les occupants de cet hôtel sont condamnés.

J'ouvris la bouche, effarée. Il ne prenait pas de gants pour annoncer les nouvelles, celui-là.

— Et c'est sensé me remonter le moral ? m'indignai-je.

— Non, je veux que tu saches à quoi t'attendre.

— À quoi ou à qui ?

Un petit sourire étira sa lèvre.

— Justement, dit-il, mes potes et moi allons te raconter une histoire qui te fera réfléchir. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas une minute à perdre.

Il me fit signe de le suivre et se dirigea vers la partie endommagée de l'étage.

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ? questionnai-je en fixant les poutres d'acier qui s'étaient écrasées sur le sol de béton. On dirait qu'il y a eu un tremblement de terre.

Ash s'arrêta et leva la tête vers le plafond à-moitié effondré.

— En effet, il s'agissait d'une forte secousse, reconnut-il, mais elle n'avait rien de spontanée.

— Pardon ?

— C'était une explosion, Amy.

J'ignorais pourquoi, mais mon prénom glissait sur ses lèvres d'une façon presque sensuelle. J'en éprouvais de drôles de frissons chaque fois.

— Pourquoi ? m'enquis-je.

— Pour nous éradiquer, répondit-il en haussant les épaules.

Ma mâchoire manqua de se décrocher.

— Ce qui est ironique, c'est que la menace se ne trouvait pas ici, ajouta-t-il en esquissant un petit rictus. On a tendance à s'inquiéter des mauvaises choses.

Il n'avait pas tord. Souvent, le danger se trouve directement sous notre nez. La preuve : c'était en partie à cause de ma copine si je me trouvais confinée ici. Et dire que je croyais qu'elle se souciait de moi !

Les trois hommes nous attendaient, assis sur un monticule de gravâts. X et Y ne me calculèrent même pas, mais le regard de fauve de Zed balaya mon corps, me faisant rougir comme une pivoine.

— On aurait pu trouver pire comme meuf, déclara-t-il avec un mépris non feint.

Faisait-il exprès de me provoquer ?

— Assied-moi, m'ordonna Ash alors que j'étais sur le point cracher mon mépris à son copain impoli.

Je me sentais un peu plus bravade sachant qu'ils ne me tueraient pas avant de m'avoir expliqué certains points qui, je le savais, seraient certainement forts constructifs.

Je pris place sur un morceau de béton ressemblant à un rocher. Ash s'installa juste à côté de moi, comme s'il voulait me surveiller. Je ressentais étrangement la chaleur de son corps même s'il se trouvait à plusieurs centimètres du mien.

J'attendis que l'un d'eux ne parle, mais le temps sembla s'éterniser. Puis, X leva enfin la tête, mais ce fut pour s'adresser à Ash.

— Qu'en est-il de sa fièvre ? interrogea-t-il.

— Elle a baissé.

— Bien. Vous savez ce que ça signifie ?

Les autres acquiescèrent et se tournèrent tous vers moi. J'avais l'impression d'être une souris piégée par une horde de félins.

— Bienvenue parmi nous, Amy, me dit Y. Nous avons une mission assez spéciale pour toi.

— Laquelle ? demandai-je méfiante. Si c'est pour satisfaire vos appétits, peu importe leur nature, il en est hors de question.

Ils éclatèrent de rire comme si je venais de leur raconter une bonne blague.

— Et qu'est-ce qui te dis que tu serais le genre de femme qui nous plairait ! me lança Zed avec acrimonie.

— Peut-être parce que je suis la seule que vous ayez vue depuis je ne sais combien de temps, répliquai-je.

— Il me reste un peu d'estime de moi pour ne pas me taper n'importe qui.

J'ouvris la bouche, indigné, mais Ash nous interrompit.

— Zed, calme-toi, lui ordonna-t-il. C'est normal qu'Amy ait certaines appréhensions puisqu'elle ne nous connait pas.

— Et elle a bien raison !

Ce type était une grosse brute !

— Ash a raison, calme-toi, Zed, sinon elle sera encore plus difficile à convaincre.

Le connard croisa ses bras sur son torse et me fixa avec animosité.

— Et qu'est-ce qui vous dit que je vais vous aider ? leur lançai-je, remontée.

— Tu n'aimerais pas retourner chez toi ? me demanda Ash.

— Oui...

— Alors, tu nous aideras.

Si c'était pour sortir de cet enfer, alors ils pouvaient me demander n'importe quoi et je le ferais. 

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