Chapitre 3

Malgré l'évolution de la pandémie, Vanille semblait tenir absolument à se rendre à la petite fête qui avait lieu ce soir-là. Comme je lui avais promis d'y assister, je respectai mon engagement même si le cœur n'y était pas.

     J'enfilai une robe noire très ajustée m'arrivant aux genoux et relevai mes cheveux en un chignon plutôt réussi. J'aimais beaucoup prendre des idées sur Pinterest lorsque j'avais un peu de temps libre. C'était le moment où jamais de mettre en application les conseils-mode que j'avais recueillis sur l'application.

—    Wow ! s'exclama Vanille en m'apercevant. Tu es sublime !

—    Merci. Toi aussi, tu es superbe.

     En effet, mon amie était ravissante avec sa robe longue rouge sang en satin agrémentée d'un collier en or et des boucles d'oreilles extravagantes. Elle avait bouclé ses longs cheveux bruns et ceux-ci cascadaient jusqu'à ses reins. On aurait dit une star d'Hollywood. À côté d'elle, je me sentais insipide.

—    Il ne manque plus que la touche finale, annonça Vanille.

     Devant mon regard interrogateur, elle sortit une paire d'escarpins Jimmy Choo à paillettes rouges.

     J'écarquillai les yeux, stupéfaite.

—    Tu as apporté ça en voyage ? Et si tes bagages s'étaient perdus ? Ils doivent valoir une fortune.

—    C'est mon cadeau de fête de la part de mes parents, répondit-elle. J'espère que tu as apporté autre chose que des tongs, ajouta-t-elle d'un air réprobateur.

     Je levai les yeux au ciel et sortis de ma valise des sandales noires à talons hauts. Je ne les portais pratiquement jamais, excepté pour un mariage l'année précédente. Les talons étaient si fins que je craignais les briser chaque fois que je les chaussais. Ils étaient néanmoins confortables pour ce type de chaussures.

     Vanille me fixa, interloquée.

—    Parfois, tu me surprends, dit-elle seulement. Et ton maquillage ?

—    Quel maquillage ?

     Elle leva les yeux au ciel.

—    Amy, c'est notre dernière soirée ici. Je veux prendre plein de photos pour compte Instagram, alors tu dois être sur ton trente et un.

—    Bon, d'accord, grognai-je, de mauvaise humeur.

—    Tu ne le regretteras pas lorsque tu verras nos photos parfaites ajouta-t-elle. Et n'oublie pas de mettre du rouge à lèvre. C'est indispensable.

     Je détestais le rouge à lèvres.

—    Tiens, me dit-elle en me tendant le sien. Celui-ci ira bien avec ta robe.

     Je pinçai les lèvres en le prenant.

—    Je t'attends en bas, ajouta-t-elle. Ne sois pas trop longue. Les mecs ne sont pas patients.

—    Sinon, vous pouvez toujours y aller sans moi, lui dis-je.

—    Tu m'avais promis, Amy. Une promesse est une promesse.

     Sur ce, elle sortit de la chambre et me laissa me débrouiller avec le maquillage. J'appliquai un peu de fards à paupière charbonneux, ce qui donna un petit air théâtral à mes yeux gris, appliquai du mascara à mes cils et coloriai mes lèvres d'une couleur claire, mais brillante. Je me regardai dans le miroir et fus satisfaite. Mes cheveux blonds contrastaient avec ma robe noire, mais j'avais l'air plus vieux et plus séduisant ainsi. 

     Je me dépêchai de sortir de la chambre et appelai de l'ascenseur. J'aurai pu prendre les escaliers, ça aurait probablement été moins long, mais avec ces chaussures, on oubliait l'idée.

     Un ding m'annonça l'arrivé de l'ascenseur et je pénétrai dans la cabine. J'étais seule, probablement parce que tout le monde se trouvait dans les salles de spectacles où dans les petits restaurants à la carte.

     En passant les portes, je manquai trébuchai et réalisai que ma sandale s'était détachée. Je levai le pied, l'appuyai sur la cloison et l'attachai en vitesse tandis que les portes se refermaient derrière moi. Étrangement, l'élévateur se mit à bouger et monta. Probablement que quelqu'un l'avait appelé de l'un des étages supérieur. Toutefois, en abaissant mon pied, je remarquai un petit trou sur la cloison et m'en approchai. On aurait dit un minuscule bouton très bien dissimulé sur lequel le talon de ma sandale avait appuyé.

     L'ascenseur montait toujours pendant que j'examinais le bouton. Il dépassa le neuvième étage, puis le dixième, puis le onzième. Mince ! Il y avait un autre niveau ! C'était franchement bizarre. Pourquoi tout le monde disait-il que l'hôtel comprenait onze étages tandis qu'il y en avait douze ? Et pourquoi ce bouton était-il caché ?

     J'entendis le ding familier et les portes s'ouvrirent.

     Mon excitation de découvrir cet endroit s'évapora aussitôt que mes yeux se posèrent sur les lieux.

     On aurait dit qu'une bombe y avait explosé. De gros gravats de béton étaient amoncelés ici et là. Certains avaient apparemment été déplacés puisqu'un chemin avait été frayé jusqu'à l'ascenseur. Je plaçai un petit morceau devant les portes afin d'être certaine de ne pas restée coincée à cette étage.

     Puis, j'enjambai une poutre de métal affaissée et m'avançai à travers les débris. Était-ce en reconstruction ? On aurait plutôt dit le contraire.

     Je levai la tête et aperçus le ciel dégagé. Je réalisai, qu'en fait, je me trouvais sur le toit de l'édifice. Avait-on essayé de construire un petit jardin intérieur qui s'était effondré ? Peut-être. Je m'étais informée et l'hôtel avait été bâtie dix ans plus tôt. Rien n'indiquait qu'il avait subi des dommages. J'en déduisis donc qu'on avait dissimulé cet incident.

     J'aperçus un coin du toit qui avait résisté à l'effondrement. Trois portes fermées piquèrent ma curiosité. Que pouvait-il s'y trouver ? D'autres chambres ?

     Je fis quelques pas, mais me rendis compte que c'était presque impossible avec mes talons hauts. Une simple fissure dans le béton et je ferais une plonge la tête la première. Peut-être pourrais-je revenir une autre fois...

     Je rebroussai donc chemin tout en regardant autour de moi. L'endroit était démoralisant. Pour un hôtel cinq étoiles comme celui-ci, ils auraient pu nettoyer l'endroit, non ? Ramasser les débris, construire une piscine ou quelque chose de ce genre. Je devrais peut-être en parler aux gens de la réception...

     J'étais à deux mètres de l'ascenseur lorsqu'un énorme bruit me fit sursauter. Je tournai la tête vers la droite d'où j'avais senti une secousse, comme si quelque chose tombait. Un autre morceau de béton ? Puis, mon regard s'attarda dans un coin.

     Il y avait quelqu'un dans l'obscurité. La première chose que je perçus fut deux iris miroitants qui me fixaient. Jamais je n'avais vu une couleur pareille, c'est-à-dire un jaune-vert très clair dans lequel mon regard s'égara. J'étais prisonnière de ces prunelles dont j'étais incapable de détacher mon regard. Aucun humain ne pouvait posséder des yeux de cette teinte. C'est fondamentalement impossible. Et que dire de ces pupilles ? L'une était plus dilatée que l'autre et légèrement étirée à la verticale.

     L'individu ne clignait pas des yeux, se contentant de me fixer, probablement pour évaluer si j'étais une menace ou non. J'en profitai pour examiner davantage ses yeux. Outre l'étrange couleur, je pouvais y lire une douleur infinie qui me brisa le cœur. Son chagrin me percuta comme un boomerang. Je tressaillis, me demandant comment approcher cet individu qui semblait peu enclin à communiquer. J'aurais aimé le saluer et me présenter, mais j'étais incapable d'émettre un son. Je sentis la sueur dévaler le long de ma colonne vertébrale et je savais que ce n'était pas causé par la chaleur étouffante de cette soirée, mais plutôt par l'angoisse de me savoir en compagnie de...de quoi ?

     Je déglutis, puis je décidai de briser le lourd silence.

—    Bonjour, le saluai-je. Je suis Amy et...euh...j e me suis égarée. Je vais...retourner en bas. Bonne soirée !

     Pour les présentations, on aurait pu faire mieux, mais j'étais angoissée, surtout parce que j'ignorais à qui j'avais affaire.

      Le grognement qui suivit me fit dresser les cheveux sur la tête. « Un prédateur », fut ma première pensée. Pas un humain, du moins, pas quelqu'un qui pouvait parler. Était-ce un animal ?

     J'ignorais de quelle genre de bête il s'agissait, probablement quelque chose d'immense si je me fiais au son qui avait émané de sa gorge, comme celui d'un grizzly. Pas que je m'y connaissais spécifiquement en animaux sauvages, mais dans mes pires cauchemars, ils grognaient ainsi.

     Je reculai doucement. Si je me rapprochais de l'ascenseur, je pourrais m'y réfugier avant qu'il ne me dévore.

     L'animal sortit de l'ombre et je restai tétanisée. Ce n'était pas une bête, mais un homme. Un homme torse nu qui était aussi musclé qu'un culturiste. Il portait des pantalons déchirés qui moulaient ses cuisses puissantes. Sa peau bronzée lui donnait un air exotique, mais ses cheveux clairs laissaient deviner qu'il n'était pas originaire du Mexique.

  Il paraissait grand, mais c'était difficile à évaluer puisqu'il ne se tenait pas debout. Ses genoux étaient posés au sol et ses mains se trouvaient bien à plat sur la surface poreuse, comme s'il s'apprêtait me bondir dessus.

     Mon cri se noya dans ma gorge. Je n'osai plus bouger et retins ma respiration, terrifiée. Qui était-il ?

     Je le détaillai mieux. Il ressemblait à un homme ordinaire, outre ses cheveux aussi longs que les miens, mais plus foncés...et plus sales. Son corps était d'ailleurs couvert de poussière, ce qui signifiait qu'il devait travailler lorsque je l'avais dérangé. L'avait-on engagé pour rénover ce toit ? Seul. Sans équipement.

—    Monsieur, restez où vous êtes, lui ordonnai-je, ou je...je...

     Il me répondit par un autre grognement agressif et j'en conclus que mes menaces ne lui faisaient aucun effet. Me comprenait-il ?

      Il s'avança vers moi doucement, silencieusement, mais prêt à bondir.

     Il allait me tuer, réalisai-je.

     C'est alors que mon corps réagit. Je m'élançai vers l'ascenseur, donnai un coup de pied dans le morceau qui tenait les portes ouvertes et criai de douleur lorsque mon gros orteil heurta le béton. Je tombai sur le plancher de la cabine, mais avant que les portes n'aient pu se refermer, quelque chose me tira vers l'arrière. Je hurlai, terrifiée, et jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule.

     Une main agrippait ma chaussure.

—    Lâchez-moi, suppliai-je.

     L'homme-animal se trouvait à moins d'un mètre de moi. Je me retournai et rencontrer ses iris presque jaunes. Il plissa le front, ce qui le rendit encore plus redoutable et tira davantage, arrachant la lanière de ma sandale. Celle-ci lui resta dans les mains. J'en profitai pour replier mon genou et l'ascenseur se referma. Ouf ! C'était moins une. Une peu plus et il m'arrachait la jambe.

     Pourtant, quelques secondes plus tard, un grand fracas me fit sursauter et je reculai en voyant l'acier se bosser.

     Mon agresseur venait presque de défoncer la cloison. Comment avait-il pu se propulser ainsi et déformer l'acier. Était-il Hulk ?

     Mon cœur n'arrivait pas à reprendre son rythme normal. Je comprenais désormais pourquoi cet étage restait secret. Il y avait quelqu'un qui n'était pas complètement humain qui y séjournait. Je me demandais s'il était seul et je tremblai à l'idée qu'il puisse y avoir d'autres spécimens comme lui.

     Aucune chance que j'y retourne ! Je voulais quitter cet endroit le plus vite possible.

     Toutefois, je respectai ma promesse et allai rejoindre mon amie au club de l'hôtel, tout juste après être allée soigner mon orteil et avoir enfiler d'autres chaussures, l'une étant restée au douzième étage.

—    Ce n'est pas trop tôt, me lança Vanille lorsque j'arrivais près d'elle.

     Dave me jeta un regard lubrique et s'exclama :

—    Bella ! Tu es ravissante !

     Il s'approcha de moi et me fit la bise en plaçant un bras autour de ma taille. Il s'y attarda un peu trop longtemps.

—    Allons boire un verre ! s'écria son pote dont j'ignorais le prénom.

     Je commandai un mojito, puis Vanille me traîna sur le piste de danse, mais mon orteil me faisait souffrir alors, vingt minutes plus tard, je l'informai que j'allais m'asseoir. Elle me lança un regard lourd de reproches et se colla à un gars pour danser avec lui.

     Je m'écroulai sur une banquette et observai les gens se déhancher sur la piste de danse. Savaient-ils ce qui se cachait sur le toit de cet immeuble ? Sans doute pas. Aucun ne semblait d'ailleurs se préoccuper de la pandémie qui sévissait à l'extérieur de ces murs.

     J'en profitai pour boire un autre verre en espérant que ça m'aiderait à relaxer. Cependant, lorsque Dave s'assit juste à côté de moi, je me tendis à nouveau.

—    Il fait super chaud, ici, me dit-il. Ça te dirait d'aller te promener sur la terrasse ?

—    Non, merci, lui répondis-je en espérant qu'il comprendrait.

—    Je n'aurais jamais cru que tu étais aussi frigide, ajouta-t-il. Tu es si sexy que j'aurais pensé que tu savais te relâcher.

     Je lui jetai un regard irrité.

—    Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences, commenté-je.

     Il rigola.

—    Je crois plutôt que tu dois te relâcher un peu, dit-il en se rapprochant de moi.

     Dave posa sa main sur mon genou et la glissa plus haut. Je l'arrêtai, dégoûtée.

—    Dave, il ne se passera jamais rien entre toi et moi, lui dis-je directement. Je n'aime pas les mecs arrogants, immatures et prétentieux.

—    Mais moi, j'aime les petites garces dans ton genre.

     Je le repoussai et me levai, lui faussant compagnie. Sale type !  

     Je décidai ensuite de retourner à la chambre, où à l'aide de mon portable, j'achetai un billet d'avion qui décollait le lendemain, puis me couchai, encore toute retournée par les récents événements.

     Mais surtout, je me demandais qui était le type bizarre du douzième étage et, surtout, pourquoi se trouvait-il là.

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