Chapitre 12


     En quelques heures seulement, je développai une belle complicité avec X. Il me demanda de lui raconter mon histoire et comment j'avais acquis cette phobie pour les petits espaces clos. Nos autres compagnons tournaient en rond comme des lions en cage, néanmoins, j'essayais de ne pas songer au fait qu'ils devaient être affamés (et qu'ils pourraient me dévorer toute crue) et de me concentrer sur mon nouvel ami. X était attentif et m'écoutait religieusement.

— Voilà ! terminé-je. Je n'ai plus jamais voulu retourner seule dans la cave.

— Je comprends, me dit-il en se frottant le menton. Cette mésaventure a laissé des traces.

— Exactement.

Au moins, lui, comprenait, contrairement à Ash. D'ailleurs, je ne l'avais pas revu depuis quelques heures. Il s'était probablement enfermé quelque part où il pouvait se défouler librement.

J'étouffai un bâillement et réalisai qu'il était tard.

— Je sais que tu es fatiguée, me dit X, mais il faut impérativement que tu vainques ta peur. C'est une question de vie ou de mort.

Le pire, c'était qu'il exagérait à peine.

— Je ne crois pas qu'une telle phobie se contrôle...tenté-je.

— Bien sûr que si, me coupa-t-il. C'est dans ta tête, ajouta-t-il en pointant la sienne. Ce que tu dois faire, c'est ne pas te concentrer sur ta peur, mais sur autre chose.

— Plus facile à dire qu'à faire, marmonnai-je pour moi-même.

Mais X avait vraisemblablement une très bonne ouïe et il leva les yeux au ciel, irrité. Ciel qui ne comportait aucune étoile en cette sombre nuit.

— Tu dois te concentrer sur un moment joyeux, où un endroit qui te fait te sentir bien.

— Un peu comme le sortilège du Patronus...

— Le quoi ?

— Laisse tomber. Petit conseil, lorsque cette pandémie sera derrière nous, tu devrais regarder les films Harry Potter.

Il éclata de rire, mais ne parut guère amusé.

— Chérie, cette pandémie ne sera jamais réellement terminée. Même avec un vaccin, le monde entier devra suivre les consignes sanitaires pendant les prochaines années, garder la distanciation sociale, porter des masques. Le monde tel que tu l'as connu n'existera plus. Les gens ne voyageront plus, les entreprises feront faillite, les gens ne se feront plus la bise.

— Arrête d'être aussi pessimiste, grognai-je.

— Je suis réaliste, ce n'est pas pareil. En ce moment, la population est sans doute confinée. Toutes les frontières doivent être fermées.

— Comment fais-tu pour en être aussi sûr ? Après tout, vous êtes enfermés ici depuis des lustres.

Il me jette un regard agacé.

— J'ai étudié ce virus depuis notre confinement. J'ai fait des tests, j'ai analysé et...

— Quoi ? Tu as fait des tests sur tes potes ? m'offusquai-je.

— Amy, tu ignores ce par quoi nous sommes passés. Comptes-toi chanceuse d'avoir reçu l'antidote avant d'être tombée malade. Tu n'auras probablement aucun effet secondaire si tu contractes le virus et tu pourras poursuivre ta vie ennuyante...qui sera toutefois différemment ennuyante.

J'eus envie de l'insulter, mais je me retins au dernier moment. Ce n'était pas une bonne idée de me mettre à dos la seule personne qui me soutenait. J'étais peut-être leur unique chance de survivre, mais je n'oubliais pas ce qu'ils avaient fait à mes « amis » que je n'appréciais guère, à bien y penser. Cependant, la violence dont ils avaient fait preuve m'effrayait. Plus j'y songeais et plus mon cœur s'emballait tandis que la frayeur s'emparait de mon être. Les cris d'agonie me hantait et...

— Arrête, m'ordonna X. Je ne sais pas à quoi tu penses, mais tu es sur le point de paniquer, ce qui est l'effet contraire de ce qu'on espère.

— Ce n'est pas de ma faute, me défendis-je. Je n'arrête pas de songer au meurtre de mes amis. Vous êtes des tueurs.

X lâcha un long soupir.

— Je croyais que tu avais compris qui nous sommes. L'antidote nous a transformés et lors de moments fort en émotion, la bête s'empare de nous.

— Donc, chaque fois que vos émotions prennent le dessus, vous perdez le contrôle, reformulai-je. Vous êtes imprévisibles.

— Seulement lorsque nous nous sentons en danger, précisa-t-il.

— Ah...

Ouf ! J'étais rassurée.

— Ou lorsque nous avons faim.

Je me crispai et il éclata de rire.

— C'était une blague, dit-il.

— Elle n'était pas drôle, grognai-je. J'ai l'impression d'être une brebis égarée dans une meute de loup.

— Ne t'en fait pas, nous ne te toucherons pas, du moins, trois d'entre nous. Pour l'autre, je ne peux te le garantir.

— De qui tu parles ?

En guise de réponse, il me fit un petit clin d'œil amusé. Je ne comprenais pas. Lequel des quatre hommes était une menace pour moi ? Tandis que j'y songeais, Zed n'avait vraiment pas l'air de m'apprécier. Je décidai de me méfier de lui et de ne jamais me retrouver seule en sa présence.

— Maintenant, c'est l'heure de te concentrer, dit X. Ferme les yeux et pense à un endroit où tu aimerais te trouver. Dans les montagnes, dans ta chambres, sur une île déserte, bref, où tu te sentiras bien.

Je réfléchis. En fait, je croyais que le Mexique était cet endroit paradisiaque que je recherchais, mais je me rendis compte que je ne me sentirai jamais mieux que chez moi, dans mon pays. Je songeai à ma chambre, ce petit coin douillet qui me manquait tant.

— Tu ne sembles pas détendue, me fit remarquer X. Il va falloir faire mieux que ça.

Il se tut, nous plongeant dans le silence total. Puis, j'entendis un bruit lointain. Et je réalisai que c'était celui des vagues. Normal ; nous étions sur le bord de la mer. Je me concentrai sur le roulement des déferlantes que j'imaginais puissantes à cause du vent. Ici, je ne sentais qu'une simple brise. Le scientifique et moi nous trouvions près de la rambarde de métal installée provisoirement, probablement par les confinés eux-mêmes. La mélodie de l'océan m'aida à me détendre. Je m'imaginai sur la plage, les pieds dans le sable, si bien que je pouvais presque sentir les grains soyeux glisser entre mes oreilles.

Je me tranquillisai instantanément et X s'en rendit compte.

— C'est bien, me félicita-t-il. C'est cet état d'esprit que tu dois adopter lorsque tu sens la panique t'envahir. Tu dois te concentrer et, de cette façon, tu parviendras à contrôle ta peur.

J'espérais qu'il avait raison.

— Durant ces dernières années, lorsque j'étais découragé et que tout semblait sans espoir, je m'imaginais devant le panorama le plus incroyable qu'il m'ait été donné de contempler dans ma vie, me raconta-t-il, et ne n'était pas cette vue de la mer si magnifique soit-elle, mais plutôt celle des montagnes, plus spécifiquement celles des Rocheuses, au Canada. Mes parents et moi habitions en Alberta et mon père m'emmenait souvent en escapade, soit à Banff ou à Jasper. J'adorais les grands parcs nationaux. As-tu déjà vu de grands lacs turquoise avec, en arrière-plan, des sommets enneigés ?

Je secouai la tête de gauche à droite.

— Pour moi, c'est une des plus beaux panoramas existants. Et j'ai ai vu une multitude. Je suis allé en Asie, j'ai même été me promener sur la grande muraille de Chine, mais aucun endroit ne m'a procuré la même sérénité que la vue du Lac Louise.

— Je suppose que chaque personne sur cette Terre a une opinion différente d'un lieu pittoresque, avancé-je.

— Exactement. Si la mer t'aide à te détendre, alors profite de cet apaisement pendant la nuit. Tu peux même dormir dehors, si ça te chante.

Dehors ? Je n'avais jamais dormi ailleurs que dans un lit. Le camping, très peu pour moi...

— Où ? m'enquis-je. Il n'y a de lit nulle part.

Un petit sourire étira sa lèvre.

— Viens, je vais te montrer quelque chose, me dit-il. Les gars seront probablement furieux, mais de toute façon, c'est probablement notre dernière nuit ici.

Il avait piqué ma curiosité.

X me fit signe de le suivre et nous marchâmes quelques minutes.

— Où allons-nous ? lui demandai-je.

— Nous ne t'avons pas montré tout le douzième étage, me répondit-il. Il y a une partie que nous avons gardée secrète. En réalité, j'ignore comme il a été possible de le créer. Peut-être qu'un oiseau a transporté une graine et qu'elle a atterri ici, toujours est-il que cet endroit nous a empêché de devenir totalement cinglés.

Je ne comprenais pas de quoi il parlait, jusqu'à ce que nous dépassions les chambres et qu'il m'invite à passer à travers un grand trou dans le mur.

Je m'immobilisai aussitôt.

— Dites-moi que je rêve ? m'exclamai-je.

Nous nous trouvions toujours sur le toit de l'immeuble, plus précisément sur un balcon de la face Ouest, mais à ma plus grande stupéfaction, cet endroit était l'exact opposé de tout l'étage. Le béton avait été recouvert de verdure. Les murs, le plancher, tout avait disparu pour laisser place à une mousse spongieuse sous nos pieds. Des palmiers avaient poussé et cachait les murs froids de l'hôtel.

— Comment..? questionné-je, sans voix.

X haussa les épaules.

— Aucune idée. Nous avons trouvé ce lieu, qui n'a miraculeusement pas été touché par la bombe. Je viens souvent me ressourcer ici.

— Peut-être que les propriétaires de l'hôtel voulait faire de cet étage un genre de penthouse pour les plus riches, suggérai-je. Ceci devait être un petit jardin.

— Peut-être...Comme tu peux le constater, le sol est aussi moelleux qu'une éponge et le ciel est dégagé. Tu pourras te reposer ici en toute tranquillité. Personne ne viendra te déranger, je t'en donne ma parole.

Je le fixai avec suspicion. Devais-je lui faire confiance ?

— Je sais que tu n'as pas une bonne opinion de nous, me dit-il avec une pointe de tristesse dans la voix. Si les circonstances avaient été différentes, tu aurais probablement apprécié passer du temps avec nous. Lorsque nous travaillions tous au labo, nous étions de vrais farceurs. Nous étions capables d'êtres sérieux, mais aussitôt que notre boulot était terminé, nous devenions de vrais gamins.

— Vous avez probablement changé en sept ans.

— Oui, nous sommes devenus des hommes.

Il laissa échapper un ricanement.

— Enfin, presque. Entre hommes et bêtes.

Je souris puisqu'il tournait ce détail à la dérision.

X reprit un air sérieux.

— Repose-toi bien, me dit-il. Au fait, j'ai un dernier petit conseil pour demain. Si la panique s'empare de toi et que tu te sens incapable de te concentrer sur quelque chose de paisible, alors chante une chanson de Lady Gaga. Ça devrait te changer les idées le temps que tu parviennes en bas.

— Et si je ne me souviens pas des paroles ?

— Ce n'est pas très compliqué de fredonner « P-p-p-poker face, p-p-poker face ».

Il avait raison. Il m'était impossible d'oublier ces paroles.

— Tu es certain que je suis en sécurité, ici ? questionnai-je, tout de même inquiète.

Je craignais la visite de Zed...ou même d'Ash. Je les connaissais à peine. L'un me faisait peur tandis que l'autre provoquait en moi des réactions étranges. La crainte mélangée à une certaine tentation. J'ignorais si c'était ses yeux qui provoquaient cette réaction chez moi ou bien cette virilité et cette puissance qui émanaient de sa personne. Je rêvais de lui depuis notre première rencontre malgré l'effroi qu'il m'avait causé. J'avais l'impression que ses iris de prédateur me suivaient partout, qu'ils brulaient ma nuque et que mon corps s'embrasait sous son regard de fauve. Mieux valait me tenir loin de lui jusqu'à ce que nos chemin se séparent.

— Oui, personne ne vient ici la nuit. Les mecs dorment dans leurs chambres respectives. Ils n'aiment pas partager.

— Pourtant, Ash m'a laissé son lit...

— Oui, parce que tu étais malade. Ça ne parait peut-être pas au premier abord, mais il possède un grand cœur. Je ne connais pas beaucoup d'individus qui auraient laissé une inconnue entrer dans leur espace personnel, si miteux soit-il.

X me souhaita bonne nuit, puis s'en alla, me laissant seule sur cette partie surprenante de l'étage.

Je m'allongeai sous un palmier et écoutai la mélodie des vagues jusqu'à ce que je m'endorme. J'espérais que c'était ma dernière nuit dans ce lieu. La liberté me manquait.


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