Jour 35
Zoé allait bientôt retrouver son papa. Et elle ne tenait plus en place. Alors, elle comptait les minutes qui la séparaient de cet heureux évènement.
Cinquante minutes.
Pour l'occasion, elle avait mis sa belle robe blanche, celle qu'il lui avait acheté pour son mariage avec Lucia, et assorti un nœud dans ses cheveux blonds. Zoé n'aimait pas Lucia, mais elle aimait sa robe. Elle souriait. Intenable, la petite fille sautillait sur place, et regarda l'heure une nouvelle fois.
Quarante-deux minutes.
Un râle de frustration lui échappa. Elle songea à faire quelque chose pour s'occuper, n'importe quoi pourvu que le temps passât plus vite, mais comme lorsque l'angoisse vous prend les tripes, l'excitation demeurait-là, bien au creux de son estomac, emplissant chacun de ses sens. Elle ne tenait pas en place.
Trente-trois minutes.
Elle tenta néanmoins d'esquisser un dessin, surveillant l'heure du coin de l'œil mais espérant s'y perdre assez pour ne pas la voir passer. Elle traça un premier rond pour faire la tête, y ajouta des cheveux, la belle chevelure bouclée et brune de son papa, puis continua avec son corps. Elle l'habilla d'une salopette, son papa aimait les salopettes. Elle sourit. Un regard extérieur l'aurait trouvé disproportionné mais, à ses yeux d'enfants, il correspondait simplement à la réalité. Sa réalité. Elle se dessina ensuite, debout à côté de son papa allongé. Elle souriait. Pas son papa. Et puis, elle commença à colorier. Du marron pour les cheveux de son père, du jaune pour les siens. Un autre marron pour leurs yeux. Un beau marron. Zoé aimait son regard écorce, et si cette pensée n'avait rien à voir avec toutes celles qui circulaient dans sa tête, elle l'accueillit comme une amie. Du bleu pour la salopette de son papa, et du rouge. Du rouge par-dessus le bleu. Du rouge partout.
Douze minutes.
Vite. Il était temps de se préparer. Abandonnant sa feuille sur son bureau, elle courut jusqu'au rez-de-chaussée. Elle compta soigneusement chaque marche de l'escalier. Il y en avait vingt-quatre, elle le servait pertinemment, pourtant elle continuait de les compter systématiquement dès qu'elle les gravissait ou les dévalait. Comme un réflexe. Un rituel. Une fois dans la cuisine, elle ouvrit le grand tiroir dans lequel sa maman rangeait tous les couteaux. Ceux qu'elle n'avait pas le droit de toucher. Mais sa maman ne rentrait pas tout de suite, alors elle n'eut pas peur des réprimandes et en choisit un. Le plus grand. Le plus pointu. Le plus beau, aussi.
Sept minutes.
Devant la porte, sa boule d'impatience comme un soleil au creux de son ventre, Zoé attendait son papa qui allait arriver. Elle souriait. N'avait jamais été aussi heureuse. Les minutes s'étiraient au fur et à mesure de leur avancée, comme pour la narguer, allonger un peu plus son attente. Zoé n'avait jamais été très patiente, et si sa joie n'avait pas été si grande, elle n'aurait guère supporté ces dernières minutes. Elle se força à compter les secondes, vérifiant régulièrement sur l'horloge qu'elle était toujours synchronisée avec elle.
Une minute.
La voiture fit crisser les cailloux de l'allée. Zoé allait bientôt retrouver son papa.
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