Jour 27

Chaque marin avait ce rêve unique : apercevoir une sirène. Car tous savaient qu'elles ne ressemblaient en rien à celles terrifiantes dépeintes par Homère, mais se rapprochaient un peu plus des jolies rousses de chez Disney. Vaguement. Mais elles n'avaient rien de fictif, et tous désiraient ardemment en apercevoir. Pour les plus véreux, même, en attraper. Chacun avait une idée bien précise d'à quoi elles pouvaient ressembler : un torse de femme à la parfaite nudité et une queue de poisson en guise de jambes. Mais aucun ne pouvait prétendre en avoir aperçu une de si près qu'il pouvait distinguer les traits de son visage. Étaient-ils sublimes ou monstrueux, communs, humains ?  Chaque marin avait ce rêve unique : répondre à cette question.

Paco avait seulement dix ans quand il le fit. Fils de pêcheur, élevé avec ce but, il voulait tomber amoureux de l'une d'elle. Il avait obtenu de son père de l'accompagner relever les filets ce jour-là, et même l'aurore lui parut tard tant l'impatience l'envahissait. Une nappe de brume tombait de plus en plus épaisse sur les côtes bretonnes, tant et si bien que l'on ne pouvait distinguer l'horizon, ni même prétendre savoir où commençait le ciel et où se mourrait la mer. Quelques rayons de soleil filtraient par rares endroits, conférant à la scène la magie propre à cette région mythique. Un large sourire sur le visage, Paco laissait les millions de petites gouttelettes de brouillard glisser le long de ses joues et se fixer dans ses cheveux. Et puis, le chant des sirènes s'éleva. Elles ne chantaient pas ce qu'il y avait sous la mer ni n'essayaient d'attirer les marins dans leurs filets démoniaques, mais indéniablement, elles chantaient. L'eau qui glissait le long de leurs écailles et le vent qui s'immisçait dans leurs chevelures se mêlaient de concert pour murmurer à l'aurore une comptine que Paco ne comprit pas, et que Gustave, son père, n'entendit pas. Et alors, il la vit. Le reflet argent et bleu de sa queue contrastait avec la blondeur éclatante de sa chevelure, celle-là même qui cachait la partie dénudée de son corps. Ses traits ne semblaient ni monstrueux, ni particulièrement sublimes, plutôt s'approchant de ceux de n'importe quelle humaine, uniques et subjectifs. Paco, de toute la hauteur de son jeune âge et du manque d'intérêt qu'il portait encore à la gente féminine, la trouvait particulièrement belle. Comme il trouvait sa maman et sa maîtresse belles.

Le garçon voulut appeler son paternel afin de le prévenir, mais la sirène l'en empêcha d'un simple sourire, un doigt sur celui-ci dans un signe universel auquel Paco obéit. Il lui rendit son sourire.

« Tu es une vraie sirène ?

– Pas du tout, je me promène avec une fausse queue de poisson parce que c'est plus efficace que des palmes pour nager ! »

Regard confus de Paco. Pourquoi quelqu'un ferait-il ça ? Le sens de tout cela lui échappait. Les sirènes existaient-elles seulement, alors ? Les marins se berçaient-ils d'illusions depuis toutes ces générations ? Pouvait ce peuple de l'eau n'être qu'une conspiration – il avait récemment appris ce mot mais n'était pas certain de sa bonne utilisation – d'un groupe de femmes déguisées ? Mais pourquoi faire cela ? Sa nouvelle amie se mit alors à rire.

« Je plaisante, ne te prend pas ainsi la tête, ce n'était qu'une boutade ! Oui, je suis une vraie sirène. On m'appelle Océlia Chant-de-l'eau.

– Moi c'est Paco Le Briant. »

Vérifiant que son père était suffisamment loin pour ne pas l'entendre ni se préoccuper de lui, l'enfant entama avec la femme une conversation intriguée. Elle lui apprit entre autres qu'elle chassait les pêcheurs, car les humains avaient bien assez sur terre pour s'occuper en plus de cela de détruire la faune marine que les sirènes s'efforçaient de protéger. Lorsqu'une grosse voix masculine se fit entendre, Océlia disparut dans l'eau dans un battement de cil. Déception et soulagement. Oui Papa ?

En grandissant, les paroles de son amie éphémère firent un chemin dans la conscience de Paco, qui décida malgré la certitude de décevoir d'abandonner le business familial. Il ne serait pas pêcheur. Il avait réalisé le vœu de tout marin, et il devait rendre à l'océan le cadeau qu'il lui avait fait.

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