Dieu était bourré. Ou plutôt, il faudrait commencer cette histoire ainsi, pour plus de justesse : Dieu était avec son meilleur ami, et ils étaient bourrés. Et chacun, ici-bas, ou plutôt ici-haut, savait qu'il valait mieux ne jamais laisser ces deux-là ensemble avec de l'alcool. Beaucoup d'alcool. Autant d'alcool. Souvent, la Terre faisait les frais de leurs beuveries divines, et de leur imagination décuplée par l'éthanol. C'était ainsi qu'étaient nés les dinosaures, alors qu'en une nuit, riant et picolant, ils s'étaient plu à imaginer d'immenses lézards verts aux mâchoires puissantes et aux pattes avant minuscules. Depuis, le monde céleste s'efforçait de les surveiller autant que possible, pour que cela n'arrivât plus. Jusqu'à ce jour.

Ils avaient conclu que les dinosaures étaient passé de mode, et avaient alors établi une liste des possibilités qu'ils avaient pour s'en débarrasser. L'un avait proposé de transformer l'eau en acide, tandis que l'autre avait opté pour une pluie de météorite. Un shi-fu-mi avait déterminé ce qu'il allait advenir d'eux. Mais leur discussion alcoolisée les mena à la même conclusion : la Terre était trop belle pour rester impeuplée. Ils remplacèrent donc leurs lézards géants par des espèces animales diverses et variées, dont certaines qui n'avaient ni queue ni tête. Ou parfois une queue au milieu de la tête. Ou presque. Ils se marrèrent bien à inventer toutes sortes de bestioles improbables et dangereuses. Mais celle qui les fit le plus rigoler, qui leur offrit même un fou rire monumental, fut l'animal qu'ils appelèrent humain. Physiquement il n'avait rien de particulier, de notable, mais il lui confédèrent les pires caractéristiques qu'ils purent imaginer. L'égoïsme, le territorialisme, le capitalisme... Sa soif de conquête le mènerait loin, ils en étaient sûrs. À dire vrai, ils étaient plutôt persuadés qu'une créature aussi chétive ne survivrait pas longtemps, après tout parmi les animaux qu'ils venaient également de créer existaient également des félins énormes avec de très grandes dents et des pachydermes encore plus immenses avec de terribles défenses. L'humain ne tiendrait même pas la nuit.

Bien sûr, ils n'imaginaient pas que non seulement il deviendrait l'espèce dominante de la planète, mais surtout des millions d'années ensuite, ils le glorifieraient et le remercieraient de leur avoir offert la vie. Il était embarrassé pour eux, ils semblaient y croire vraiment, qu'ils étaient des créatures divines, qu'il les avait façonnés à son image et que leur destin était immense. Et que dans leur mort ils le rejoindraient. Cela le fit bien rire au début, mais au final il se sentait plutôt coupable qu'ils y missent tant de foi et tant d'énergie. Il aurait aimé faire quelque chose pour eux mais il avait été décidé que pour l'inciter à ne plus boire et ne plus risquer ce genre de bêtises, l'humain resterait sur Terre jusqu'à ce qu'il disparût de lui-même.

Dieu était triste. Il aimait bien sa petite planète, plus que ce qu'il avait créé pour la peupler. Et eux étaient en train de la gâcher.