Jour 18
Ça crie, en bas. Comme presque tous les jours depuis quelques mois, ça crie. Ça, c'est ses parents. Manon ne sait pas pourquoi ils se crient sans cesse dessus, mais elle ne le supporte plus. Alors, dès que la tension monte, dès que le volume de leurs voix augmente, l'enfant s'enferme dans sa chambre pour ne plus les entendre. Ce jour-là, elle y est depuis près d'une heure, et la seule fois où elle a ouvert la porte pour laisser entrer le chat qui miaulait devant, ils n'en avaient toujours pas terminés. Alors, assise devant son bureau, Sapin endormi sur les genoux, elle dessine. Dessine des lignes, des courbes, des formes, des choses qui n'ont de sens que pour elle, qui racontent une histoire qu'elle seule peut entrevoir. Parfois, elle pose son crayon et perd sa main dans le pelage du félin qui respire calmement sur elle. Ce contact, aussi, l'apaise. Elle ne pense alors plus à rien. À rien d'autre qu'à l'amour qu'elle lui porte, et au contact si doux contre sa paume. Fille unique, Sapin lui est un réel et fidèle compagnon. Adoration réciproque. Et reconnaissance de l'enfant vers l'animal. Le ronronnement régulier qui s'élève des cavernes de ses entrailles la fait sourire.
Alors elle prend une nouvelle feuille, blanche, et commence à dessiner son chat. Des courbes, des lignes, des traits, une fois encore elle parle avec son langage, pose sur la feuille sur univers entier, abstrait pour beaucoup mais si fidèle à la réalité. Elle ne sait pas si ça crie toujours en bas, mais ne s'en préoccupe plus. Dans son esprit, il n'existe plus que le matou sur ses genoux et celui au bout de son crayon. Combien de temps reste-t-elle là ? Dix minutes ? Une heure ? Elle l'ignore et ne s'en préoccupe pas tant. Elle occupe son esprit, elle occupe ses mains, elle s'apaise, elle oublie, tout va si bien... Elle a cru l'espace de quelques secondes avoir perdu Sapin lorsque le félin s'est relevé pour faire sa toilette, craignant qu'il ne décide d'aller dormir ailleurs. Mais il a tourné en rond quelques secondes sur ses genoux ensuite, et s'est recouché. Elle s'attarde un long moment sur son pelage, à le regarder avec douceur et tendresse, passant et repassant sa main sur son ventre, sentant sous lui les vrombissements de ses ronronnements.
Le temps passe. Ça ne crie plus en bas. Manon dessine toujours, Sapin dort sur ses genoux, ils sont ensemble, ils sont bien. Le temps passe, il oublie tout. Manon ne pense plus à ses parents. Plus tard, son père vient la voir, s'excuse pour eux, s'émerveille devant son dessin, il n'y comprend pas tout mais que c'est beau, gratifie Sapin d'une caresse ou deux, et invite Manon à venir les rejoindre pour manger, ils ont fait des crêpes pour se faire pardonner. La petite fille sourit joyeusement.
Ça crie souvent, en bas. Mais ses parents l'aiment et souffrent qu'elle en subissent les conséquences, alors ils font de leur mieux pour se racheter. Un ronronnement pour l'un, un sourire pour l'autre, l'enfant et l'animal se lèvent d'un bond, enthousiastes.
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