PROLOGUE

     Nathan

     « Pauvre petite fille riche ! »

     Cela colle parfaitement à mon état d'esprit du moment, à trois détails près : mes conquêtes me trouvent plutôt bien burné, la barbe rugueuse et les pectoraux massifs !

     Je n'ai donc pas le droit de me plaindre, et pourtant, j'en ai toutes les raisons ! Dans mon cas, c'est terrible d'ignorer au départ d'une relation si une femme est attirée par ma personne ou par mon patronyme. Car, visiblement, s'afficher au bras du fils de la célèbre famille Stark est activement convoité par la gent féminine qui gravite dans mon entourage.

     L'avantage, c'est que l'illusion ne dure pas longtemps, leur vraie nature émerge rapidement. Elles ne résistent pas, posent mille questions au sujet de mes parents. Toutes rêvent d'obtenir un scoop, une « petite » information croustillante à raconter à leurs copines, voire même sollicitent un « petit » service, parce que : « tu peux bien faire ça pour moi ! ».

     J'ai de plus en plus de mal à ne pas me montrer désagréable. La relation est à chaque fois biaisée – j'en ai des dizaines d'exemples – et la déception, bien qu'inévitable, est toujours amère.

     Si fréquenter la sulfureuse famille Stark leur donne l'impression d'avoir gagné le jackpot au tirage, les pauvres ne quantifient absolument pas l'odeur putride qu'elles vont respirer en intégrant mon univers. Pour résumer, les illustres membres qui la composent sont : le fils, responsable de la mort de deux personnes – une victime et son bourreau –, le père, instigateur retors en malversations financières, et la mère, épouse soumise, à l'éclatant sourire de façade. Mais ça, ces femmes l'ignorent, ne se doutant pas de la toxicité du « produit » qui gâte tout ce qu'il touche et qu'elles rêvent malgré tout de consommer sans modération.

     Par conséquent, je fuis les relations amoureuses, évite ma famille autant que possible et tente d'enfouir mes horribles secrets dans le plus sombre recoin de mon âme, tout en assumant ma vie banale d'étudiant.

     Seulement, bien que ce soit totalement immature, j'ai besoin de savoir si je peux plaire pour ce que je suis et non pour ce que je représente. J'ai donc décidé de m'éloigner des pom-pom girls et d'innover en m'inscrivant sur « Maybe you », l'application tendance des moins de trente ans. À l'inverse de certains qui y sont pour multiplier les conquêtes, moi, je suis parti à la recherche d'une perle rare avec qui échanger sans devoir m'impliquer. Je n'envisageais pas de relation sérieuse, pas même un « plan baise », juste un tchat sans prise de tête qui me reconnecte au naturel, loin de l'hypocrisie ambiante, et je l'ai trouvé.

     Elle est intelligente, intéressante, pleine d'humour, et plutôt jolie sur ses photos. Petite brune aux cheveux longs, petit nez fin, petit sourire coquin... tout est petit et charmant chez Nina – même son prénom ! Je ne regrette donc pas cette première fois sur MB.Y. Le match entre nous est des plus agréables et...

     Le coup de sifflet du coach interrompt brusquement mes pensées en mettant fin à l'entraînement de rugby.

     Sorti du vestiaire, je jette un regard sur mon iPhone et aperçois une notification de Nina. Thomas, un de mes coéquipiers, m'apostrophe et me relance, pour la énième fois, sur la suite de la soirée. Rien de très original, somme toute, mais depuis quelques semaines, je lui retourne le même type de réponse sans fournir la véritable explication.

     — Non. Merci pour l'invitation, Thomas, mais je ne reste pas – j'ai bien mieux à faire.

     — Sérieux ! Tu t'échappes encore ? Savoir que de jolies filles vont papillonner autour de beaux gosses au charme irrésistible tels que nous, ça te laisse de marbre ?! Allez, viens ! On mange au moins un morceau et tu verras après si tu nous suis au bar, celui où on peut s'ambiancer. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour Victor. Regarde-le, avec sa tête de bichon frisé imberbe, tu crois vraiment qu'il peut attirer une fille à sa table ? Toi, quand tu arrives avec ta belle gueule, elles s'agglutinent et se prosternent à tes pieds.

     Le poing de Thomas frictionne vigoureusement le crâne de Victor qui essaie, sans succès, de dégager sa tête coincée sous le bras du mastodonte. On croirait un ours qui farfouille dans son pot de miel. Qu'est-ce que j'aime ces abrutis ! L'amitié a toujours été saine avec mes coéquipiers. Ni l'argent ni ma famille n'ont été une gêne entre nous. Je réfléchis, cependant, à la meilleure façon de décliner – encore une fois, c'est vrai – cette soirée.

     — Écoute, le fait que Vince soit là ne me branche pas trop. Tu sais que je ne peux pas saquer ce type. Je le supporte déjà difficilement aux entraînements, ce n'est pas pour me le fader sur mon temps libre – surtout depuis la dernière virée en boîte. Et pour tout te dire, je suis claqué et j'ai mon mémoire à terminer.

   Je réponds en même temps sur le clavier de mon portable :

     « Pas dispo de suite. Dans vingt minutes, ça te va ? »

     Retour instantané :

     « OK »

     — On s'en fout de ce connard, personne ne l'apprécie, renchérit Thomas. Mais, puisque c'est pour la bonne cause, on ne peut que s'incliner. Hein, Victor, tu voudras bien me chaperonner, mon p'tit bichon ?

     — T'es grave, toi ! Je n'entends plus, j'ai l'oreille complètement détruite, proteste notre ami, le visage rougi par l'énergique massage.

     — Allez, bye, les gars. À demain !

     Je file au parking avant qu'ils ne regrettent de me laisser m'éclipser. S'ils savaient que je loupe nos soirées pour une fille, le chambrage serait sans fin. Alors qu'il n'y a rien à en dire. J'aime simplement discuter avec elle de tout et de rien. Je n'ai pas à faire attention à ce que je raconte, je suis naturel, moi-même – c'est tellement... reposant ! L'anonymat que procure MB.Y est appréciable et le virtuel des tchats évite d'avoir à déballer toute ma vie à Nina, c'est un réel avantage.

     Par contre, sa réponse laconique m'inquiète ; je suis habitué à plus de prose de sa part.

     Avant de démarrer, je tape :

     « Tout va bien ? »

     Pas de réaction.

     Espérant engager immédiatement la conversation avec celle qui occupe tout mon temps libre depuis quelques semaines, je décide de ne pas perdre une seconde avec le trajet. Aussi, je m'installe confortablement dans mon siège.

     « Finalement, je suis dispo maintenant. Toujours là ? »

     ...

     « Oui, excuse-moi, j'étais au téléphone avec une copine. Sinon, pas trop crevé après ton entraînement ? »

     « Un peu... mais t'avoir en ligne me redonne de l'énergie »

     Elle va kiffer !

     « Bon alors, qu'est-ce que tu voulais ? Tu ne peux plus te passer de moi, c'est ça ? »

     « Écoute, ça fait un petit moment qu'on échange et je me demandais... ».

     ... Qu'est-ce qui se passe, elle est sous un tunnel ou bien ?

     Je suis intrigué. Visiblement, ça doit être délicat comme question vu le temps qu'elle met à choisir ses mots. Soudain, je réalise et donne un coup sur le volant. Putain ! Elle sait ! Elle a dû trouver une de mes rares photos qui circulent dans la presse et elle a fait le lien avec mes parents.

     Je me recourbe pour atteindre avec difficulté le téléphone qui a glissé à mes pieds. J'appréhende de lire sa réponse en retournant l'écran face à moi...

     Merde ! Mon cœur reprend un rythme normal, néanmoins je ne peux m'empêcher de ressentir un certain malaise. Bêtement, je n'avais pas anticipé sa demande.

     Nina

     Monsieur Dubosse est vraiment un patron en or. Non seulement c'est un expert dans son domaine professionnel, mais c'est surtout un exemple de bienveillance dans la prise en charge des animaux et, accessoirement, de leurs humains de maîtres. J'ai tout à apprendre de lui et je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir embauchée comme collaboratrice dans sa magnifique clinique vétérinaire située au bord de la Garonne. Pénétrer chaque matin dans cette résidence de caractère est, pour moi, un véritable bonheur. Il a su concilier la modernité d'un cabinet nec plus ultra, tout en préservant le style des prestigieuses demeures que l'on retrouve dans ce quartier des Quinconces.

     Comme il me l'a maintes fois répété, le mérite de mon recrutement me revient ! Ne pas oublier : c'est effectivement moi qui ai bûché tard, telle une enragée, soir après soir. J'ignorais, à ce moment-là, que M. Dubosse ferait partie du jury de soutenance de mon mémoire d'auxiliaire spécialisée vétérinaire. L'impression que je lui ai laissée a été suffisamment marquante pour qu'il n'hésite pas à me signer un CDI, suite à ma candidature spontanée auprès de sa clinique.

     Alors oui, je vais au travail avec envie, le retour de vacances n'est jamais un calvaire, je ne regarde pas ma montre en espérant voir ma journée bouclée au plus vite ; non, jamais ! Sauf que ça... c'était avant Nathan !

     Ah ! Nathan, ma très belle distraction, depuis environ deux mois. Je n'en reviens toujours pas. J'ai complètement flashé sur son profil MB.Y. En premier, ses photos : grand brun, cheveux en bataille, yeux rieurs bleus clairs, nez légèrement tordu à la Owen Wilson – ce qui, à mon goût, accentue son charme naturel –, mâchoire carrée, teint hâlé et sourire enjôleur. Ensuite, sa présentation : rugbyman, étudiant en sport – je n'ai pas tout saisi, mais me suis bien gardée d'interrompre ses explications enthousiastes –, lecteur boulimique, passionné de voyages, autodidacte en informatique, bref, un physique et une tête bien faite, formant un tout extrêmement séduisant – mon Dieu, quelle fille ne craquerait pas ?!

     Certes, on ne s'est jamais vus ni parlé. En revanche, on s'écrit de plus en plus souvent et, ces derniers temps, nos tchats durent des heures. Timides au départ – enfin, de mon côté –, ils ont évolué petit à petit. Aujourd'hui, j'en suis réduite à guetter fiévreusement ses messages et m'empresse de transmettre mes réponses dès la conversation engagée. Bizarrement, alors que je suis une accro du téléphone, je n'ai pas eu envie de donner une dimension orale à nos échanges. Et pourtant, je parie qu'il a une belle voix suave – ça y est, je commence à fantasmer , mais je stresse tellement de ne pas trouver les bons mots pour alimenter la discussion, pire, que des blancs parasitent l'ambiance, que je me contente des écrits.

     Élise, ma petite sœur, n'arrête pas de me rabâcher que Nathan est peut-être un gros mytho ; un vieux cochon libidineux caché derrière son ordinateur. C'est vrai que, parfois, on se chauffe un peu – je ne le lui dis pas, sinon, c'est moi qu'elle va traiter de perverse –, mais franchement, nos communications restent correctes. Rien de sale. Il ne m'a jamais demandé de nudes, sinon, je n'aurais pas donné suite à nos échanges et l'aurais bloqué aussi sec.

     Heureusement, je peux compter sur le grain de folie de Katy, mon amie oxygénante, pour m'encourager dans cette histoire. Là où l'une ne voit qu'un emmerdement maximum à flirter avec un mec qui habite à cinq cents kilomètres – « Comme si, avec ton application MB.Y, tu ne pouvais pas trouver un garçon à proximité ! » –, l'autre n'y voit qu'une aventure coquine ne pouvant déboucher que sur d'agréables découvertes de sensations – « C'est l'occasion de visiter la capitale et de prendre ton pied, ma chérie ! Encore mieux : oublie les visites, ne prends que ton pied ! ». Impossible de s'ennuyer avec ces deux filles. J'adore être au milieu de leur duo infernal, me laisser emporter par leur tourbillon d'humeurs et picorer ce qui m'arrange dans chacune de leurs propositions.

     Indéniablement, ce mec obnubile toutes mes pensées. C'est simple, depuis quinze jours, j'ai commencé une formation par correspondance et je n'ai pas retourné un seul devoir. Je culpabilise de négliger mes cours de comportementaliste animalier, alors que cette formation coûte un bras ! À ma décharge, nos échanges sont tellement enrichissants, stimulants, drôles aussi, qu'ils sont devenus ma priorité – mmh, oserai-je dire ma nécessité ?

     En fait, Nathan fait partie des rares personnes qui, quel que soit le sujet abordé, te donnent l'impression de t'élever intellectuellement et de faire ressortir le meilleur de toi. Rien d'étonnant que je sois sous son charme.

     Soudain, une impulsion folle me traverse l'esprit. Ce soir, c'est décidé, je prends les choses en main. J'attrape mon téléphone et envoie :

     « Salut ! Tu es dispo vers quelle heure ? Je voudrais te demander un truc ! »

     Quand à la fin de l'entraînement, il m'interroge sur mon souhait, j'hésite un peu. Mais l'envie – non, le besoin – d'être confrontée à une rencontre physique avec lui n'étant plus tenable, je pianote avec excitation :

     « Écoute, ça fait un petit moment qu'on échange et je me demandais si on pouvait se rencontrer. Ça serait cool, non ? Enfin, si ça te dit !? ».

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