2. Pâtes et Conserves
Positivement, Béa croyait connaître l'économie, sans même en avoir pris aucun cours. Ce centre d'intérêt avait un premier temps passablement énervé ses parents, chrétiens de gauche qui avaient tirés du Capital et de l'Évangile, la riche conviction que le meilleur moyen d'entrer au paradis était d'éviter par dessus tout, richesse et système bancaire. Et comme l'interdiction entraîne la fascination, elle avait lu en cachette les quelques ouvrages qui tombait sous la main (essentiellement Bernard Maris et Piketty, seul économistes autorisés), sans que leurs pensées en soit véritablement structurée.
Pourtant, elle fut comme les autres particulièrement surprise quand un virus exotique tomba sur la gueule de la population française avec un enthousiasme certain, malgré les alertes venant de Chine, du Japon, de Corée et enfin d'Italie : elle expérimentait le principe journalistique de mort-kilomètre.
Ce qui lui mit la puce à l'oreille, c'était des comportements irrationnels dans les supermarchés. Un imbécile avait décidé de dévaliser un rayon de pâtes, un connard s'était pris en photo devant avant de le poster sur Instagram et c'était le pays entier qui craignait un rationnement. Elle haussa les épaules et acheta son quinoa issu du commerce équitable, sans même se rappeler que cet évènement était déjà arrivé au XVIème sièce au Pays-Bas à cause d'une spéculation sur les... tulipes. A quoi ça sert de lire, si ce genre d'info inutiles ne ressort pas dans ton esprit au bon moment ?
Jerry non plus n'avait pas saisi l'ampleur de ce qui se jouait en se moment. Ce trentenaire, éternel ado attardé dans un costume Armani, n'avait jamais pris la peine de s'intéresser à la marche du monde. Étudiant, il avait daigné considéré les sujets d'actualités comme un prologue, une excuse pour échanger 2-3 phrases avant de reprendre sa beuverie lors des interminables soirées qui forme la colonne vertébrale des écoles de commerce. Depuis qu'il était diplomé, il ne faisait même plus semblant.
Malgré sa bonne réputation professionnelle – à savoir qu'il avait masqué son incompétence crasse par une conviction à toute épreuve, le reste de sa vie restait invariablement solitaire. Son alcoolisme latent avait entraîné une facilité à enchaîner des relations dans un bar (force d'habitude), tout en condamnant la moindre tentative de projet à long terme en un échec irrémédiable.
On peut dire que sa gueule de bois lui joua un beau tour cet après-midi, quand sa trajectoire le conduisit pile dans celle de Béa. Lorsqu'elle tomba en arrière, ses yeux s'abîmèrent dans ceux de l'étalon. Durant la demi seconde qu'il mit avant de commencer à la rattraper, il eut juste le temps de s'exclamer mentalement : « Putain ! J'ai l'impression d'être dans un shojo. » Ce temps de réaction fort long ne lui permit pas de la rattraper. Elle tomba au sol en même temps que ses provisions. Le bruit de verre ainsi que le liquide qui coulait le long de ses richelieus, lui indiqua que la bouteille de jus d'orange bio venait d'exploser. Il s'arrêta deux secondes en pensant à ses chaussures à 200 balles, et n'entendit pas la demoiselle hurler : « vous auriez put faire attention, connard ! », brisant ainsi irrémédiablement le charme qui pouvait se dégager de la scène.
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