5 : « Marché. »
-Pourquoi tu m'as achetée ça ? elle demande, et il me faut quelques secondes pour comprendre qu'elle parle du croissant.
-Parce que j'étais à la boulangerie.
-J'ai pas besoin de ta pitié, elle soupire. Je veux plus que tu me ramènes quoi que ce soit, compris ?
Je hoche la tête.
-D'accord. Mais je pourrais au moins t'aider à trouver du travail.
-Bah bien sûr, tout le département est à tes pieds, le jeune champion Benjamin Pavard veut un travail pour la fille chelou qui traîne toujours dans la rue ? Pas de problème, il va certainement tweeter à ce propos ou même amener les caméras de BFM TV, ça fera un super coup de com' ! Et pendant ce temps-là, ils n'auront embauché la petite paumée que par intérêt.
Je mets du temps à répondre à ça. D'abord, parce que je ne suis pas sûre qu'elle ait terminé, et ensuite, parce qu'elle n'a pas complètement tort.
-Faisons un marché, je propose, et elle lève les yeux au ciel.
-Je fais pas ce genre de trucs.
-Donc tu t'évanouis quand je n'ai pas de tee-shirt, mais tu ne veux pas écouter ma proposition ? je souris, et elle croise ses bras sur sa poitrine.
Je sais que ce n'est pas moral de faire l'espèce de chantage que je fais, s'évanouir n'est pas du tout un truc avec lequel on peut jouer. Mais cette fille est tellement têtue que c'est la seule façon que j'ai trouvée pour qu'elle m'écoute.
-Dis-moi.
-Je pars dans deux semaines. Dans treize jours, pour être plus exact. Si la veille de mon départ, tu n'as pas trouvé de travail, c'est moi qui t'en trouve un.
-C'est quoi, l'autre partie ?
-Quelle autre partie ? je fronce les sourcils.
-Ce que tu y gagnes.
-J'y gagne que je t'aurais aidé, et ça sera la plus belle des récompenses. Je te dois bien ça, après ce que je t'ai fait à distance.
Elle me regarde longuement, comme si elle avait besoin de vraiment réfléchir avant d'accepter. Elle n'a rien à perdre, mais accepter l'aide d'autrui semble être quelque chose dont elle a horreur et qu'elle fuit à tout prix.
-Très bien, elle capitule. Il me reste douze jours, alors ?
-Douze jours, j'acquiesce, et elle se lève.
-Tu m'excuseras, mais j'ai des CV à imprimer.
Quand j'ai quitté mon domicile familial, à Lille, je n'ai pris que trois objets dans mon sac à dos. Lors de ma venue en stop jusqu'ici--ou plutôt, ma venue en stop sans savoir où j'allais--, la première chose que j'ai trouvé nécessaire de m'acheter, c'est le set brosse à dents-dentifrice.
Le deuxième, c'était une fois ici, quand j'ai réalisé que trouver un travail s'avérait plus compliqué que prévu. J'ai acheté une clef USB.
J'ai beau avoir un téléphone, je n'ai pas d'ordinateur en ma compagnie, alors j'ai passé des heures à la médiathèque à peaufiner mon CV comme si c'était la plus belle chose que je possédais.
Pourtant, ce n'était pas nécessaire d'y rester aussi longtemps. Je n'avais à mon actif que le baccalauréat, sans mention, qui ne pesait pas bien lourd dans la balance. Heureusement, j'avais un atout de taille en plus de ce mince CV : mon visage enfantin.
-Vous cherchez un job étudiante ? m'avait demandé la femme quand j'étais assise dans son bureau, et si j'avais failli lui dire que, ma pauvre dame, je n'étais pas étudiante du tout, je me suis ravisée.
-Oui, exactement.
Et c'est comme ça que j'avais été embauché. Forcément, j'avais moins d'heures que si je n'avais pas menti--heures durant lesquels je restais cachée puisque j'étais supposée être en cours pour ma patronne--, mais au moins, je travaillais et j'étais payée.
C'est ce que je me disais durant les deux premiers mois. Ensuite, j'ai réalisé que pour trouver un logement et pour réussir à le payer, j'avais besoin de gagner plus. Et quand j'ai dit à ma patronne que j'avais arrêtée mes études, eh bien...elle m'a gentiment expliqué que je devais libérer le poste étudiant que j'occupais.
Alors j'étais partie. J'avais dit au revoir à tout le monde et j'étais partie. Ça avait vexé mon ego, en vérité. Je savais que je n'étais pas irremplaçable, mais je ne pensais pas que c'était à ce point-là.
J'ai fait trois autres petits boulots depuis. Mais sans logement, je n'ai pas pu rester.
Je ne sais pas pourquoi j'ai le sentiment que ça peut changer, cette fois-ci. Mais ce n'est pas comme si j'avais le choix : je ne veux ni de l'aide, ni de la pitié de Pavard. Je veux faire les choses seules, par moi-même, sans devoir compter sur personne. Parce qu'on ne peut compter sur personne.
Alors mon CV en main, je me dirige vers le centre-ville.
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