Chapitre 9


- Ça s'est passé en pleine journée, commença Stiles.

Assis sur son lit, il ferma sa veste. Privilégiant son confort, Derek avait demandé à Stiles de lui dire où il se sentait le mieux. La réponse ne l'avait guère étonné. Alors, il avait emmené l'hyperactif dans sa chambre à l'étage. C'était étrange, de monter les escaliers en sa compagnie, de rester à son niveau, de lui donner son bras pour qu'il puisse s'appuyer sur lui. De sentir cette main finement dessinée serrer son avant-bras comme le repère qu'il représentait actuellement. Derek ne doutait pas de la mémoire de Stiles, mais s'il pouvait l'aider, il le ferait. Et puis, il avait bien été remué – en partie par sa faute d'ailleurs – alors autant lui faciliter la tâche.

Le lit deux places de Stiles avait l'air d'un cocon. Le matelas était énorme, la couette aussi, les draps très doux et les oreillers, moelleux. Un ensemble agréable qui permit aisément à Derek de comprendre pourquoi il s'agissait de son endroit favori de la maison. Certes, il s'agissait de sa chambre, mais il fallait avouer que ce coin-là avait de quoi attirer. L'hyperactif posa son menton sur ses genoux ramenés vers lui. Les yeux dans le vague, il n'était même pas conscient de regarder dans la direction de Derek, qui avait pris place sur sa chaise de bureau, qu'il avait un peu rapprochée du lit.

- Je sortais de cours, souffla l'hyperactif, dont la voix s'enrouait déjà. Je sortais de cours et j'avais décidé de faire les courses, pour faire plaisir à mon père. Ça faisait un moment que je voyais le frigo se vider et... Avec son travail, il n'avait pas forcément le temps d'y aller surtout qu'à ce moment-là, il enchaînait les heures sup'.

Il fit une légère pause avant de reprendre d'un rire amer :

- Tu savais que mes frais d'hospitalisation à Eichen House avaient coûté un bras ? On a toujours pas fini de les rembourser. C'est pour ça que mon père se donnait autant à ce moment-là. Parce qu'on était dans le rouge et qu'en plus, on devait continuer de rembourser ça, ce... Ce séjour.

L'hyperactif resserra ses bras autour de ses jambes.

- Alors je suis allé à la superette du coin, j'ai pris quelques trucs. Il n'était pas si tard, il devait être quelque chose comme dix-sept heures et... Quand j'y repense, Roscoe était la seule voiture sur le parking, rit-il tristement. J'ai pas fait gaffe mais... Ouais, j'étais seul, je rangeais mes courses dans la voiture et c'est là qu'ils sont arrivés. Un mec est venu près de moi, il m'a proposé de m'aider parce que... J'avais pris beaucoup de choses. Et là... Je sais pas ce qu'il s'est passé. J'imagine qu'il a dû me piquer, me droguer, quelque chose de ce genre, parce que je n'ai aucun souvenir de la manière dont je suis arrivé... Là où je me suis réveillé.

Stiles faisait un effort surhumain pour garder une voix plus ou moins claire, une articulation compréhensible. Derek voyait bien que c'était difficile pour lui et il comprenait totalement. L'hyperactif cligna des yeux et eut soudain l'air perdu.

- Derek ? Tu es toujours là ?

Le susnommé faillit soupirer et froncer les sourcils mais se retint. Il ne s'y ferait pas. Non, il ne se ferait sans doute jamais à la cécité de Stiles. Comme il ne répondait pas, bien sûr que l'hyperactif doutai de sa présence ! Le loup fit alors rouler la chaise jusqu'à ce qu'elle soit contre le lit et prit doucement la main du jeune homme, qui eut un sursaut léger, comme s'il ne savait pas que Derek allait avoir ce geste, ou comme s'il pensait qu'il était parti.

- Est-ce que ça répond à ta question ? Lui demanda le loup.

En réponse, Stiles esquissa un très léger sourire accompagné d'un « oui ». Il était soulagé et cela se voyait. Derek comprit alors que, même s'il ne le disait pas, il avait besoin de lui. Besoin de sa présence. Besoin de soutien. Depuis combien de temps était-il seul ? Seul avec cette nouvelle condition ? Le loup se doutait bien que Noah Stilinski devait être au courant de la cécité de son fils, mais il était fort probable que celui-ci ne lui dise qu'une partie de la vérité, reléguant à la solitude le spectacle de ses véritables émotions. Du Stiles tout craché. Doucement, il lui enjoignit de continuer. Il avait besoin de savoir ce qui s'était passé et surtout comment l'hyperactif en était venu à perdre la vue. Prononcer ces mots lui était difficile : sa conscience continuait de refuser ce fait comme établi. Il lui faudrait sans doute du temps, à lui aussi, pour assimiler cette information funeste.

- Je sais pas vraiment où je me suis réveillé, débuta Stiles sans retirer sa main de celle de Derek. Ça ressemblait à une chambre et en même temps non. J'étais sur une espèce de lit, ou une table d'opération, je sais pas vraiment. Il y avait un matelas, très fin, très léger et je portais... Une espèce de blouse grise. La pièce était blanche et c'est pour ça qu'au départ, j'ai pensé à une sorte de chambre d'hôpital bizarre, mais c'était pas ça. C'était pas ça parce que dans un hôpital, on t'attache pas avec des trucs en acier. J'veux dire si tu bouges trop, on peut installer des sangles à ton lit, t'as pas de barres métalliques qui t'enserrent. Là, c'était ça. Je pouvais pas bouger.

L'hyperactif frissonna et serra sans le vouloir la main du loup, qui ne cessait de le fixer.

- J'étais dans les vapes alors je... J'ai aucune idée du temps que j'ai passé seul. Ensuite, un homme est arrivé, il avait l'air d'être un médecin. Tu me connais, j'ai tenté d'obtenir des explications, d'essayer de comprendre ce que je foutais là, pourquoi on me retenait prisonnier... Merde, j'ai même pensé que c'était l'œuvre de la tarée Argent. Je sais pas. Je me disais qu'elle voulait peut-être attirer la meute dans un piège ou alors me forcer à lui donner des renseignements sur vous. J'ai cru qu'on allait me torturer.

Le loup caressa le dos de la main de l'hyperactif, dont la voix avait tremblé lorsqu'il avait prononcé cette dernière phrase. Il sentait la peur panique dans son odeur, un simple rappel de ses émotions passées.

- Quand je me suis dit ça, je... J'ai su que je ferais tout mon possible pour pas vous trahir, mais je savais pas jusqu'où ils étaient prêts à aller. Je suis un humain, juste un humain ! Je suis faible et je... Je sais pas si j'aurais tenu.

- Stiles... Ne put qu'articuler Derek.

La surprise et l'émotion le tenaient alors qu'il assimilait lentement les propos de Stiles. L'hyperactif aurait été prêt à endurer bon nombre de sévices pour les protéger. Lui. L'humain. Le fils du shérif, parfois marginalisé à cause de sa tendance à trop parler. Quelle erreur. C'était une perle, un diamant. Un jeune homme en or. Derek faillit lui dire que de toute manière, il aurait pu parler, personne ne lui en aurait voulu – il était hors de question qu'il mette sa vie en danger alors qu'ils pouvaient se défendre – mais Stiles continuait déjà :

- Mais c'est pas ce qui s'est passé, souffla-t-il. On m'a rentré une aiguille dans le bras, on m'a perfusé, on a resserré les trucs en métal... Et je... E-et... Je sais pas ce qu'on m'a injecté, Derek, je sais pas ! Ça brûlait, j'avais mal et... On me disait... On me disait que c'était « nécessaire ». Mais qu'est-ce qui était nécessaire ? J'en sais rien, je l'ai jamais su ! Et c'était comme ça les jours suivants. Parfois je voyais des gens, installés sur les mêmes lits que moi, ça changeait souvent, des fois on nous mettait dans d'autres pièces... On faisait des tests sur nous sans arrêt, on dormait peu, on... J'en pouvais plus. J'étais comme une souris de laboratoire, à leur merci, et je pouvais rien faire. Plus je bougeais, plus les liens d'acier se resserraient. Ils étaient... Coupants, d'ailleurs. C'était un enfer.

Derek voulait bien le croire. Il resserra doucement son étreinte sur la main de Stiles. Parler de cela n'était pas simple et il le savait. L'hyperactif était d'autant plus courageux de se livrer aussi vite – ce qui trahissait d'ailleurs une réelle souffrance, un véritable besoin de s'ouvrir. Sans quoi Stiles sombrerait, sans doute. Derek finit même par se lever de la chaise et s'assit carrément à côté du jeune homme.

- Un matin, on m'a emmené dans une salle. Plus grande, différente. Plus sophistiquée aussi. Il y avait des appareils partout. On m'a mis un masque sur le visage. Je ne me suis même pas senti partir. C'est terrifiant, de ne même pas savoir quand on s'endort...

Derek ne pouvait qu'approuver. Il n'arrivait même pas à imaginer comment Stiles n'était pas devenu fou. Un mois, c'était suffisant pour détruire la santé mentale d'une personne. L'hyperactif était plein de ressources insoupçonnées. Des ressources qui avaient leur limite. Il passa un bras autour de lui, fit tout ce qu'il pouvait pour lui faire comprendre sans l'interrompre qu'il l'écoutait. Dans un mouvement sans doute inconscient, Stiles se rapprocha un peu plus du loup, et finit même par poser sa tête sur son épaule.

- Quand je me suis réveillé, tout était noir. Enfin, pas vraiment noir. Plus... Gris foncé. Très foncé. Et c'est toujours le cas. Depuis ce jour, ça n'a pas changé. Au début, je croyais qu'on m'avait bandé les yeux. J'avais mal, ils me brûlaient, me tiraient de partout. Et on me mettait souvent des gouttes, des trucs qui m'apaisaient un peu, parfois. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'on ne me cachait pas la vue. On m'ouvrait l'œil, me mettait ces gouttes, et ils se refermaient. J'y voyais rien. Même grands-ouverts, j'y voyais rien...

Il tremblait à nouveau. La gorge serrée, il se força à continuer :

- J'étais devenu aveugle, je... C'était ça... On m'a rendu aveugle, on m'a pris la vue. Malgré ça... La vie a repris son cours, les expériences ont continué. Et un jour, on m'a emmené. J'ai senti qu'on me changeait, qu'on m'habillait, je... Je ne me débattais même pas. J'en avais plus la force.

Stiles continuait de laisser son regard absent mais larmoyant se balayer dans le vague alors même qu'il ne savait même pas ce qu'il regardait. Ses yeux embués de larmes latentes promettaient mille et un torrent.

- On m'a fait monter dans un véhicule, puis balancé en dehors après un trajet que je ne suis même pas capable d'estimer. Mes mains ont serré des feuilles, par terre. Des feuilles mortes. J'étais... Dehors. Libre. Libre mais terrifié. Par instinct, je... Je me suis mis à courir. J'avais peur... Trop peur qu'ils changent d'avis. Trop peur... Qu'ils se disent qu'ils voulaient finalement me garder... J'ai couru, couru, je me suis pris cet arbre... Et tu étais là.

La première larme coula alors que ses yeux étaient immensément ouvert à cause de cette perplexité qui remontait en lui. Ou plutôt, cette sidération. Oui, Stiles était sidéré, comme si ce qu'il avait vécu et l'arrivée de Derek étaient de l'ordre de l'irréel. Derek failli le corriger en précisant que Scott était là aussi, mais il n'en vit pas l'utilité. Plus par instinct qu'autre chose, le loup enlaça le jeune homme dont la sidération n'avait pas quitté les yeux, au contraire de ses larmes qui inondaient déjà ses joues. La confession était dure, mais nécessaire.

Maintenant, la question était de savoir ce que Derek allait faire de tout ça.

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