Chapitre 8
Derek rangea l'aspirateur et replaça la table basse. Après plusieurs minutes de nettoyage, il avait réussi à rendre ce salon à nouveau vivable. Pas qu'il était particulièrement sale, juste... Il avait fallu ranger certaines choses et faire disparaître la douille qui détonnait dans cet ensemble de bois et de faux cuir. Puis, il voulait également faire disparaître l'odeur de métal brûlé de la balle, alors il avait allumé un bâton d'encens et même si l'effet était très léger, c'était suffisant pour son nez de loup.
Au moins, il dissimulait au mieux l'incident qui avait eu lieu une bonne heure et demi plus tôt, histoire que le shérif n'ait pas une crise cardiaque en rentrant du boulot. Il serait mis au courant, sans doute, mais autant ne pas l'affoler dès son arrivée – en milieu de soirée, selon Stiles, qui ne savait pas encore s'il allait lui en parler.
Alors qu'il allait quitter la pièce, le regard de Derek se posa sur l'acier rutilant de l'arme qu'il avait laissée sur la commode, loin de Stiles. S'il la cherchait, de toute manière, le loup pouvait la déplacer à sa guise et s'il fallait la cacher, il le ferait. Mais lorsqu'il y repensait... Stiles ne la trouverait pas forcément, même en cherchant de manière poussée, parce qu'il penserait justement que Derek l'avait cachée.
Sa cécité était plus ou moins un avantage.
Le cœur de Derek se serra. Il croyait Stiles : impossible de douter du sous-entendu qu'il avait lâché tant son cœur battait de manière effrénée lorsqu'il lui avait parlé et ses tremblements étaient plus que perceptibles. Et Derek... Comprenait bien mieux pourquoi il avait touché son visage, pourquoi il avait tiré alors qu'il l'avait debout, face à lui. Comment n'avait-il pas pu deviner avant ? Au final, c'était clair, simplement... Il n'avait pas voulu penser à cette possibilité qui lui avait paru bien trop invraisemblable pour être réelle. Stiles, aveugle ? Comment ? La belle affaire. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas réel. Et pourtant, si.
Derek pénétra alors dans la cuisine et posa ses yeux inquiets sur Stiles.
Il était là, voûté, avachi sur cette vieille chaise en bois, autour de cette table qui en comptait cinq. Une pour Noah, une pour Stiles, une pour Melissa McCall, une pour son fils, Scott.
Et une, en bout de table, pour Claudia.
Elle avait l'habitude de s'assoir à cet emplacement précis. C'était elle qui dirigeait le foyer avec douceur, elle qui distribuait autant d'amour qu'elle en recevait. Elle était un soleil, astre lumineux autour duquel Stiles et Noah avaient trop peu gravité. Après sa mort, la chaise était restée à cet endroit et ni le shérif, ni son fils ne s'y étaient plus jamais assis. Elle restait là, trônait tel un vestige et l'on s'attendrait presque à voir la matriarche passer le seuil de la pièce pour venir s'y installer et regarder sa famille avec amour.
Aujourd'hui, Stiles était à sa place, mais il n'en avait pas conscience. En fait, c'était Derek qui l'y avait installé et complètement hors de la réalité, l'hyperactif s'était laissé faire. De plus, il n'avait pas encore tous ses repères. Il avait mémorisé sa maison, oui, l'organisation générale des pièces, mais l'emplacement précis des meubles et des objets lui échappaient encore un peu. Les chaises de la table à manger ne faisaient pas exception. Néanmoins, sans doute se serait-il installé autre part s'il allait mieux, s'il s'était déplacé seul et non avec l'aide de Derek.
Il buvait son thé à une lenteur démesurée. C'était le loup qui le lui avait préparé avec ses connaissances à lui, et ce qu'il avait pu trouver dans la cuisine. Il en faisait beaucoup pour ses sœurs, à l'époque. Laura adorait le thé. Cora était moins fan, mais elle ne refusait jamais une attention de la part de son grand-frère. Il n'était pas comme tous ces idiots à faire le caïd : sitôt qu'il avait posé un pied dans l'adolescence, tout ce qu'il avait fait, c'était s'adoucir et simplement s'inventer une confiance en lui pour séduire cette jeune fille qui avait été son premier amour. Au manoir, c'était un ange, un garçon attentionné qui aimait faire plaisir. Un homme comme il en existait rarement.
Si ce côté de lui n'avait pas disparu, il s'était toutefois fait discret au fil des ans, en particulier depuis qu'il avait perdu sa famille. La vie lui avait ainsi appris à cacher cette partie de lui qui avait provoqué la mort de sa mère, de sa tante, de ses sœurs. Seuls Cora et Peter avaient survécu. Derek savait désormais que sa gentillesse et sa douceur ne pouvaient pas apparaître au grand jour, et pas devant n'importe qui.
Stiles n'était pas n'importe qui.
Il était cet hyperactif perdu qui avait toujours aidé sa meute et même les gens qui n'en faisaient pas partie. C'était un jeune homme au grand cœur qui, malgré son babillage incessant, ne cessait de démontrer qu'il était quelqu'un et qu'on pouvait lui faire confiance. Il était un humain, comme Kate, mais il n'était pas elle. Il aimait les loups, profondément et donnerait tout pour les sauver, quoi qu'il lui en coûte. Combien de fois avait-il manqué de perdre la vie en voulant aider ses amis ? Bien trop, pour l'humain qu'il était.
Alors oui, il lui avait fait du thé. Oui, le Stiles qu'il connaissait le vannerait sans doute plus tard sur ce trait dont il n'avait jamais eu connaissance auparavant. Toutefois, le Stiles actuel ne ferait sans doute aucune blague. Il était d'ailleurs muet, ses babillages n'étaient déjà plus qu'un lointain souvenir. Assis sur cette chaise, cette tasse de thé encore bien chaude enserrée entre ses deux mains bien pâles, il lui semblait déjà bien effacé. Stiles était en fait l'ombre de celui qu'il était et Derek n'était pas sûr de le préférer ainsi. Il était peut-être agaçant autrefois, mais là... Le changement n'était pas bien mieux. Il préférait presque ce moment où il pleurait dans ses bras : il était expressif, montrait des émotions claires.
Il était vivant.
Seuls de légers sillons humides sur ses joues et ses yeux encore bien rougis témoignaient de son émotion passée. Ses iris ambrés étaient vides, complètement éteints, son visage entier figé dans une impassibilité totale. Même son odeur parut fade à Derek, qui décida de s'assoir sur la chaise à sa gauche. Et il vit tout autant qu'il entendit Stiles sursauter et même si le mouvement était léger, il l'avait constaté. Douloureusement.
Oui, il comprenait les mots qui étaient sortis de la bouche de Stiles un peu plus tôt. Pour autant, il n'avait pas encore réalisé leur ampleur à leur juste mesure. Cela viendrait, à force. Pour l'instant, il ressentait une tristesse simple, lente à venir, lente à agir. Il comprenait, sans se prendre l'impact des informations en pleine face. C'était sa manière à lui de se protéger de la violence réelle de la nouvelle.
- Vous m'avez cherché ?
Derek manqua de légèrement sursauter et se rattrapa juste à temps, comme s'il avait peur que Stiles voie son sursaut avorté. Même si sa conscience savait que c'était impossible, son inconscient essayait de faire en sorte qu'il garde la face. Vieux réflexe.
La question l'avait tellement surpris qu'il mit quelques secondes à la comprendre. De quoi Stiles parlait-il ? Puis, lentement, il fit le lien et sut finalement que l'hyperactif faisait référence à ce mois durant lequel il avait brillé par son absence. La réponse était évidente.
- Bien sûr qu'on t'a cherché, répondit Derek. Malgré ta lettre, on t'a cherché.
Il vit Stiles froncer les sourcils et remarqua ces changements dont il commençait lentement à prendre conscience. Stiles semblait avoir vieilli, un peu. Il avait de légères rides au niveau de ses yeux et de son front et son regard, bien que vide, semblait comme... Dur. La rougeur du blanc de ses yeux atténuait cette impression, sans l'effacer pour autant. Et puis, il ne le regardait pas, pas vraiment. Il avait tourné la tête vers lui, mais fixait la commode derrière Derek sans même le savoir.
- Ma lettre ? Répéta-t-il. Je n'ai jamais écrit de lettre.
Son visage s'éclaira brièvement d'un éclair de compréhension.
- Ou ils m'ont drogué, ou ils ont imité mon écriture, lâcha-t-il avant de reprendre une gorgée de thé.
A nouveau, peu d'émotion dans cette voix enrouée, cassée, brisée. Il avala lentement le doux breuvage et ferma les yeux, appréciant à sa juste valeur la chaleur réconfortante et le goût réconfortant du thé. Il avait froid et pourtant, ne frissonnait pas. Il se sentait glacé et il raffolait de cette chaleur artificielle qui réchauffait son cœur par intermittence. Il garda les yeux fermés et ses doigts se resserrèrent sur la tasse. Comment se sentait-il ? Aucune idée. Sans doute entre la frontière entre la mort et le vivant, une frontière dans laquelle son esprit flottait, sans trop savoir vers où se diriger. Il avait pleuré, s'était accroché à Derek, avait touché son visage et voilà déjà qu'il avait l'impression de l'oublier. Ses émotions, si puissantes quelques minutes avant, n'avaient plus aucun effet sur sa psyché... Pour l'instant. En réalité, il s'agissait d'une pause qu'il s'accordait sans le savoir, tout comme il ne savait pas non plus si elle était bénéfique ou à l'inverse, maléfique. Il y avait parfois des dangers à ne pas ressentir correctement ses émotions.
- Comment c'est arrivé ? S'entendit demander Derek.
Les mots avaient franchi sa bouche avant même qu'il leur en donne l'ordre.
Les doigts de Stiles se crispèrent sur la tasse qu'il n'avait qu'à moitié vidée de son contenu, tant il voulait la faire durer. Finalement, peut-être que son désespoir de se sentir mieux subsistait encore. La chaleur, c'était quelque chose d'agréable. Les bras de Derek, aussi. Mais il ne pouvait pas avoir les deux et en était affreusement conscient. Si la question du loup ne l'embarrassait pas réellement au sens propre du terme, elle remuait des choses en lui. Des choses qu'il voudrait tout autant oublier que de raconter. C'était frais – sa situation, mais aussi la surprise teintée de terreur que lui avait faite Derek en venant chez lui – et à vrai dire, être en présence d'un membre éminent de sa meute n'était à la base pas dans ses projets, mais il avait envie de parler. Atrocement.
Le mensonge sur lequel son père se reconstruisait le tuait, lui.
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