Chapitre 7
La peau de Derek était chaude, plus que Stiles l'imaginait. Était-ce parce qu'il s'agissait d'un loup ou bien parce que Stiles... N'avait plus l'habitude ni de voir, ni de toucher qui que ce soit ? Même avec son père, l'hyperactif limitait au maximum les contacts qu'il avait avec lui. Lorsqu'il avait touché le visage de son paternel pour le graver dans sa mémoire, le jeune homme avait fait ça vite, ne pouvant supporter de faire durer l'opération. Parce que, l'air de rien, c'était difficile pour lui d'accepter de se dire que le toucher était sa seule façon de voir le monde. Et si Stiles se devait de s'y faire, il y peinait encore. La plupart du temps, il se disait que c'était déjà acté, mais la réalité, c'était qu'il était encore en colère. Triste. Empli de regrets. Il n'était pas prêt à ce qu'on lui retire la vue, qu'on le mutile, le prive de ce sens tant utilisé, si important, tellement précieux. On ne pouvait pas non plus dire qu'il y avait été préparé. Enlevé, séquestré, il avait passé le plus clair de son temps attaché à un semblant de lit, les yeux bandés. Puis, on l'avait endormi et à son réveil, si les bandages avaient déserté, libérant ses paupières de cette prison qui les avait longuement gardées closes, celles-ci s'étaient ouvertes sur une obscurité qui deviendrait alors son quotidien.
La paume de Stiles entra en contact complet avec la joue de Derek. Il sentit avec netteté chaque poil, rasé de près. Le loup devait sans doute prendre soin de sa barbe, car ses poils rugueux lui paraissaient tous plus ou moins de la même taille. Si les frôler le piquait tout en le chatouillant un petit peu, Stiles ne retira pas sa main, au contraire. Elle se décala doucement, pénétra en terrain miné. La douceur des lèvres du loup le surpris et même s'il le sentit très clairement se tendre à son contact, Stiles ne dit rien. S'il parlait, ce serait le mot de trop, alors même qu'il n'avait encore rien dit jusque-là. Derek le laissait étrangement faire, et ce n'était pas le moment de lui faire regretter son choix. Déjà qu'il avait sans doute dû lui accorder sa requête à contrecœur... L'hyperactif sentit sa gorge se serrer légèrement. Dire qu'ils ne s'entendaient pas, dire que Derek... Ne l'appréciait pas... Et il était là, acceptant pour une raison obscure de laisser ce jeune lycéen insupportable poser ses mains – qu'il croyait sans doute grasses – sur son visage. Qu'il se détrompe : les mains de Stiles étaient atrocement sèches, mais douces. Si ce qui s'était passé quelques minutes auparavant avait terrifié l'hyperactif, il n'était pas du genre à suer à grosses gouttes.
Les lèvres du loup n'étaient pas seulement douces, elles avaient un galbe, une courbe qui aurait pu lui paraître appétissante, follement attirante, s'il avait les idées tournées vers autre chose, vers un pan plus « normal » de sa vie. Stiles ne pensait plus à l'amour, la drague, la séduction, ses préférences, à plaire... Toutes ces frivolités étaient au placard, et sans doute faisaient-elles déjà partie du passé. Dans l'état actuel des choses, comment pouvait-il envisager de songer à une relation – amoureuse ou non – alors qu'il n'était même pas certain d'avoir un avenir et qu'il avait cru mourir quelques minutes auparavant ? Son autre main se posa sur l'autre joue de Derek, encore inexplorée et ses dix doigts inspectèrent en détail tout le bas du visage qui s'offrait à son expertise. Stiles s'efforça de mémoriser aussi rapidement que possible la forme de la mâchoire du loup, ainsi que la hauteur de ses pommettes, le galbe de ses lèvres... Puis il remonta doucement et sous ses doigts, le nez droit fit sa place.
- Pourquoi tu fais ça ? Entendit l'hyperactif.
La voix de Derek n'était pas sèche et Stiles fut légèrement soulagé en n'y sentant pas une once de reproches. De ce qu'il lui semblait, son ainé était juste... Confus, et il y avait de quoi. Toutefois, l'hyperactif s'attendait à ce qu'il l'arrête à tout moment, mettant un terme à son exploration. Derek devait sans doute redoubler de patience pour ne pas le stopper tout de suite et Stiles, tout en lui étant reconnaissant de ce fait, ne pouvait s'empêcher d'angoisser. Quelle réponse le loup attendait-il de lui ? Désirait-il la vérité – s'il ne l'avait pas déjà devinée – ou un mensonge inventé de toute pièce qui pouvait tout autant le sauver que le cramer ? Stiles ne répondit pas tout de suite, retardant le moment en traçant la courbure du nez de son vis-à-vis avec ses doigts. Il pouvait comprendre qu'une telle exploration de son visage soit invasive, mais il aimerait ne pas mettre de mots sur son acte, ne pas avoir à expliquer, avouer à Derek comme s'avouer à lui-même que sa vue était caduque. Dans son dos, il sentit les mains du loup se resserrer légèrement sur son haut et aussitôt, la boule dans sa gorge s'intensifia.
- Pour me souvenir, finit-il par lâcher d'une voix qu'il se découvrit faible, enrouée.
Parce que même si Derek n'était pas le loup de la meute dont il était le plus proche, Stiles tenait à garder son visage en mémoire aussi longtemps que possible. Il se devait de profiter de l'image qu'il avait encore de lui avant de l'oublier totalement et que celle-ci se retrouve remplacée par de simples sensations relatives au toucher. Il voulait garder en mémoire la couleur si changeante de ses iris particuliers, le teint légèrement doré de sa peau pas trop tannée, le noir corbeau de ses cheveux dont quelques-uns commençaient à s'éclaircir malgré son jeune âge... Parce que Derek Hale était marqué par son passé. Il avait grandi trop vite, obligé de mûrir très rapidement pour survivre, envoyant son adolescence aux oubliettes. Alors oui, quelques-uns de ses cheveux, isolés toutefois, blanchissaient prématurément et même s'il les cachait, Stiles les avait déjà remarqués. Mais s'en souviendrait-il encore dans quelques semaines, quelques mois, quelques années ? Sans ses yeux, il ne pouvait plus voir ces cheveux blancs si rares et ce n'était pas avec ses doigts qu'il les remarquerait. Stiles réalisa avec peine qu'il finirait par oublier, tout oublier, qu'il avait perdu bien plus que la vue.
De tout ce qu'il avait connu jusqu'à lors, plus rien ne serait pareil.
Ses doigts remontèrent, passèrent sur les yeux clos du loup, dont il sentit parfaitement les globes bouger. En d'autres circonstances, l'hyperactif aurait analysé ces mouvements qu'il aurait reliés à une certaine nervosité – plutôt surprenante, puisqu'on parlait de Derek Hale – mais là... Il mémorisa les légères rides, le grain de sa peau, la courbure de ses sourcils avant de remonter vers son front, y sentir la peau plissée par le souci et le poids des années.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Souffla Derek.
Il y avait une inflexion différente dans sa voix, comme si quelque chose avait changé, comme si le loup s'engageait sur le chemin de la compréhension. Lui non plus n'avait, semble-t-il, pas encore accepté de voir la vérité en face. Pourtant, elle était limpide, claire comme de l'eau de roche. Sans même le vouloir, Stiles avait laissé à Derek des indices que seul son inconscient avait commencé à capter. Si les informations – légères en nombre – étaient brutales par l'importance qu'elles recelaient, leur poids était tel que le loup refusait encore de voir l'évidence, au sens propre comme au sens figuré.
- Rien, murmura Stiles.
La gorge nouée, il était autant incapable d'augmenter le volume de sa voix que de faire l'effort de parler davantage. Toucher le visage de Derek était un piège : s'il lui permettait effectivement de mémoriser ses traits d'une autre manière pour éviter de les oublier trop vite, il remuait en lui la douleur de savoir qu'il ne verrait plus. Quelle idée perfide qu'il avait eue ! Le sadisme du regret coulait déjà dans ses veines, affectant très légèrement la fragrance salée qu'il dégageait. Ses larmes étaient déjà là, sans même qu'il le sache ou qu'il s'en soit même rendu compte. Elles ne coulaient point encore mais montaient graduellement, au fur et à mesure que l'émotion qu'il ressentait grandissait.
- Stiles, tu...
Mais la phrase de Derek resta en suspens alors que l'hyperactif reprenait l'exploration de son visage en reprenant du début, d'une manière plus globale. Maintenant, la taille, la forme générale...Concentre-toi, s'ordonna l'adolescent alors qu'il peinait à graver dans sa mémoire les traits du loup au toucher. Sa façon de faire, qui marchait au début, semblait perdre en efficacité à cause de cette souffrance qui le rongeait en profondeur. Devait-il continuer ou au contraire abandonner ?
- Je veux juste me souvenir de ton visage... Peina-t-il à articuler tant sa voix tremblait déjà. Si je peux plus le voir, comment... Comment je peux faire autrement ?
C'était le désespoir qui le guidait, l'avait poussé à lâcher un peu plus clairement cette bombe. Le désespoir, oui, mais la tristesse aussi. Avec son père, il n'en parlait pas, parce qu'il devait bien vivre cette épreuve, pour lui. Parce que sans l'ombre d'une forme d'acceptation de sa part, son père n'arriverait pas à s'y faire de son côté. Qu'importe que la sienne soit mensongère, si Noah la percevait comme réelle. Mais Derek, c'était...C'était différent. Et puis Stiles ressentait le besoin de se livrer, il s'en rendait compte. Ce n'était pourtant pas son genre : son truc à lui, c'était plutôt d'ignorer ses problèmes jusqu'à ce que ceux-ci s'en aillent. Celui-ci était différent de par son caractère permanent et son horreur, indicible. Oui, Stiles ressentait le besoin d'en parler parce que tout était faux, son « acceptation » tout autant que sa façon de vivre la chose. Il faisait tout pour se débrouiller, regagner son indépendance perdue, mais... Ce n'était pas vrai. Il n'avait pas peur, il était terrifié par bon nombre de choses. Outre la possibilité d'un potentiel retour de ses ravisseurs, c'était la peur de ne pas y arriver qui le chevillait au corps.
Et Stiles était sur une pente dangereuse parce que dans le fond, il savait déjà qu'à l'heure actuelle, il n'y arrivait pas.
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