Chapitre 6


Trente minutes. Cela faisait trente minutes que l'hyperactif était lové contre Derek, en plein milieu du salon. Il tremblait moins mais n'allait pas beaucoup mieux, c'était un fait et même si le loup n'était pas très à l'aise avec toutes ces conneries de démonstrations d'affection et toutes ces choses dont il n'était pas coutumier, il essayait. Jamais il n'avait vu l'hyperactif dans un tel état de détresse, tout comme il ne l'avait jamais vu le viser ni lui tirer dessus. Même au début de toute cette histoire de lycanthropes, Stiles l'avait toujours aidé – parfois contre son gré, il est vrai, n'empêche qu'il ne lui avait jamais sincèrement voulu du mal, encore moins le tuer. Là, ce qu'il avait fait était clair : le but n'était pas de faire du mal à Derek, pour la simple et bonne raison... Qu'il ne l'avait pas reconnu. Il n'avait jamais, ô grand jamais semblé voir qu'il s'agissait de lui, tout comme il ne pointait pas réellement l'arme dans la bonne direction. Derek l'avait vu, cette déviation qui n'aurait pas dû être. Sans réellement être très précis, Stiles aurait dû voir qu'il pointait l'arme un peu trop vers la droite.

Mais quand il y repensait, Stiles n'avait pas eu l'air de voir grand-chose.

Derek eut un flash rapide, qui souleva d'autant plus cette question qu'il commençait réellement à se poser : pourquoi Stiles n'avait-il pas semblé le voir ?

« - C'est... C'est vraiment toi ?

- Evidemment que c'est moi. Enfin, tu le vois que c'est moi, quand même !

- Non... »

Mais le loup se rendit compte, en raffermissant son étreinte sur le plus jeune, qu'il n'avait peut-être pas bien compris ce que signifiait réellement ce « non ». Au départ, il avait pensé que Stiles répondait à côté, qu'il... Ne l'avait pas vraiment écouté. Puis, il s'était dit que Stiles n'en avait pas cru ses yeux, au point de ne pas voir qu'il s'agissait de lui. Selon Derek, c'était en soi une forme de déni.

A cet instant précis, Derek eut un doute. Une hypothèse pour le moins sordide naquit en lui. Elle était si morbide qu'il refusa d'y croire et s'accorda le bénéfice du doute tant qu'il n'avait pas de preuve irréfutable de ce à quoi il pensait. Mais pour cela, il n'allait pas brusquer Stiles, loin de là. Le jeune homme paraissait déjà bien assez effrayé, ce n'était pas la peine de lui rajouter du poids sur les épaules avec un interrogatoire qui ne ferait que le braquer. Dans cet état, l'hyperactif n'avait pas besoin de ça et aussi impatient soit-il, le loup savait qu'il ne gagnerait rien en voulant aller trop vite. S'il n'appréciait pas réellement l'adolescent au plus profond de lui-même, jamais il n'aurait eu cure de son bien-être mental. Il n'était pas un monstre mais quand il lui fallait une information, on se devait de la lui donner dans les plus brefs délais. Alors il se fit violence et ne dit rien, gardant simplement Stiles dans ses bras. Le jeune homme était si fermement accroché à lui qu'il serait inutile de chercher à le déloger. S'il avait besoin de contact, d'une présence rassurante aussi près de lui... Soit. Derek pouvait bien faire une exception et ne pas râler pour cette fois, même s'il n'était pas particulièrement friand du toucher d'autrui. Et puis, ce qu'il faisait semblait porter ses fruits, puisque Stiles se calmait peu à peu. C'était lent, graduel, mais c'était là.

L'odeur de Stiles se déchargea petit à petit de ces senteurs piquantes et âpres qui la rendaient si désagréable à respirer. Elles ne disparurent pas pour autant. Toutefois, elles diminuèrent assez pour que Derek se dise qu'il était en train de réussir à tranquilliser Stiles. Celui-ci, se sentant un peu mieux, cala sa tête dans le cou du loup sans même se soucier du fait qu'il s'agissait de lui : Derek Hale, loup-garou grognon, bourru, aigri, sec, parfois violent... En fait, il s'en fichait. Il avait besoin d'une épaule sur laquelle se reposer. Cette intrusion, il... Il la vivait mal. Pas parce qu'il s'agissait de Derek, simplement... Ne pas le reconnaître l'avait terrifié. Comment aurait-il fait si cela n'avait pas été lui ? Si c'était l'un d'eux ? Resserrant ses doigts sur le haut de l'ancien alpha, Stiles eut soudain envie de quelque chose. Envie qui se transforma soudainement en besoin.

Il voulait voir Derek. S'assurer que c'était bien lui-même s'il le savait déjà. S'en assurer pour se rassurer. Pour rendre plus tangible cette réalité.

- Derek, je... Je sais que ça va te paraître bizarre mais... S'il te plaît, me repousse pas, commença-t-il, fébrile.

La demande qu'il comptait lui faire n'était pas banale, bien au contraire. En fait, les chances que le loup se moque de lui et le rejette étaient énormes, mais il devait tenter. Il en avait vraiment besoin. Ne pas voir, c'était hautement perturbant et tout son monde se concentrait maintenant dans sa perception du toucher. Ainsi, il pouvait reconstruire son environnement de manière mentale, relier les formes aux images d'autrefois. C'était une manière de se rassurer comme de compléter son tableau habituel, en rajoutant une personne dans le lot. Derek.

Par une caresse au creux de sa nuque, ce dernier lui fit comprendre qu'il pouvait se lancer sans crainte.

Et puis de toute manière, Stiles lui aurait quand même parlé, quand bien même il aurait dit non. Il en avait bien trop besoin pour garder cette demande au fond de lui. Tant pis s'il comprenait, qu'importe si sa vision de lui changeait. Tant pis s'il savait déjà, qu'il avait pitié de lui au point de ne pas vouloir le blesser en le rejetant. Il fallait qu'il ouvre la bouche, qu'il parle, qu'il lui fasse part de cette demande qui lui serrait déjà l'estomac.

- Est- ce que tu penses que je peux... Te toucher le visage ?

Si sa voix était auparavant fébrile, la voilà qui devenait carrément tremblante au possible. Au fond il avait peur, il était terrifié, si bien qu'il pria alors qu'il était athée, juste pour que Derek ne l'envoie pas bouler. Ou du moins, pas de manière trop violente. Il ne pleurait plus, ses sanglots s'étaient taris à force, cependant, Stiles était encore bien instable émotionnellement. Il pouvait basculer à tout moment. Ce qui le maintenait dans cet état transitoire, mélange de crainte, de faiblesse et en même temps plus calme que le précédent, c'était bien l'étreinte et l'attention de Derek. Si celui-ci décidait de s'en aller brusquement, Stiles pouvait d'ores et déjà chercher des mouchoirs. Ses joues étaient encore mouillées et on pouvait toujours voir la plupart des sillons qu'avaient empruntées ses larmes, mais ça allait. Ce n'était rien comparé au torrent qui ruisselait sur sa peau quelques minutes plus tôt.

Stiles sentit à peine Derek se crisper que son cœur à lui se serra. Ok, peut-être qu'il n'aurait finalement pas dû formuler cette demande à voix haute, mais c'était trop tard. Et dans tous les cas, il l'aurait fait. Parce que même aveugle, même détruit, il restait Stiles Stilinski, l'hyperactif qui parlait de tout à tort et à travers, qui sortait des anecdotes gênantes en plein repas au lycée, qui n'hésitait pas à poser des questions osées ou débiles et là...

C'était vraiment débile. Mais c'était lui, et il ne pouvait rien y changer. De petites vagues de stress prirent possession de lui, traversèrent son corps sous la forme d'une sensation de picotements indolores mais pas le moins du monde agréables. Ils allèrent de ses orteils à ses doigts, avec une prédisposition et une forte concentration au niveau de son ventre. Il soupira douloureusement alors que le silence régnait. Il détestait ça. Pourquoi Derek ne disait-il rien ? Pourquoi ne lui faisait-il pas au moins savoir son refus ? Cela serait direct et aurait le mérite d'être honnête. Et puis, Derek était censé être quelqu'un d'honnête. Lorsqu'une chose ne lui plaisait pas, il était toujours le premier à montrer son désaccord. Pourquoi n'était-ce pas ce qu'il faisait ? Dans sa paranoïa, Stiles commença à imaginer que son cerveau lui jouait des tours et qu'en réalité, ce n'était pas Derek qui l'étreignait. Mais cette odeur qu'il sentait... Elle était inimitable. Il l'avait toujours sentie avec clarté, même sans être un loup-garou. Dans sa situation actuelle, son odorat était légèrement plus développé et ne pouvait pas vraiment le tromper. Il l'aimait bien, cette odeur, un mélange de musc et de senteur boisée qui lui donnait l'impression de se trouver en plein milieu d'une forêt à l'aurore, lorsque le frais de la nuit était encore là, que les rayons du soleil se battaient pour s'imposer.

Une odeur réellement inimitable qui lui faisait voir tout un monde qu'il ne pouvait plus admirer. A cet instant, Stiles regretta d'avoir été un gros flemmard. S'il avait su ce qui lui tomberait dessus, il aurait saisi sa chance de graver bien plus d'images dans sa mémoire, des images qu'il se serait repassées en boucles dans sa tête de sorte à ne pas les oublier. Parce que c'était certain que tout ce qu'il avait vu se brouillerait, pour n'être plus que de vagues souvenirs imprécis. Alors oui, il se serait levé tôt pour observer le lever du soleil, se gorger de toutes ces couleurs qu'il ne verrait plus qu'en rêve, avant de les oublier à leur tour. Il serait sorti plus souvent, serait allé se balader en forêt et pas juste pour chercher un cadavre, non. Pour observer la nature changer, évoluer, vivre. Juste pour voir un écureuil un peu perdu, un oiseau fatigué de son vol, une abeiller butiner ces plantes bizarres qui poussaient non loin du Nemeton. Il aurait plus souvent regardé les entraînements de la meute, se serait un peu plus intéressé à la représentation physique de leur forme semi-animale, aurait observé leurs mouvements surhumains avec minutie. Et puis il aurait demandé à Derek de se métamorphoser, de lui montrer cette évolution lupine qu'il n'avait vue qu'une fois. Juste pour graver sa tête de loup dans sa mémoire.

Oui, s'il avait su, Stiles aurait bien plus profité de cette chance qu'il avait eu de voir. Il aurait découvert le monde tel qu'il était sous ses yeux. Il aurait fait attention à tous ces détails qui faisaient la différence.

Mais c'était trop tard, impossible de revenir en arrière. Si une machine à voyager dans le temps existait, cela se saurait. Stiles laissa doucement ses doigts se desserrer alors qu'un sentiment étrange, mélange de douleur et de regrets, prenait possession de lui. Tout ça, c'était de sa faute. Mais comment aurait-il pu savoir qu'on allait le briser ?

- Vas-y.

Stiles sursauta, toujours contre le loup, en sécurité dans ses bras chauds. Le silence lui avait semblé durer si longtemps qu'il ne s'attendait pas à réentendre la voix de Derek de sitôt, à part pour le traiter d'idiot, d'adolescent incompréhensible aux idées étranges. Oui, il s'attendait à tout sauf à cela. Une acceptation pure et simple, tant et si bien qu'elle lui paraissait presque choquante. Une invitation à l'accès de sa requête.

Une boule de chaleur naquit dans son ventre et les larmes qui s'apprêtaient à couler à nouveau refluèrent.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top