Chapitre 4


- Tu es sûr de ce que tu me demandes, Stiles ? Demanda Noah.

L'inquiétude se lisait dans son regard. La requête de son fils n'était pas banale : celui-ci voulait qu'il lui laisse une arme ou lui donne l'autorisation de garder un gros couteau de cuisine en permanence avec lui.

- Certain, papa, répondit l'adolescent sans sourciller.

Des rides de fatigues apparurent sur le visage du shérif.

- Ecoute Stiles, si tu as si peur que cela que je te laisse seul à la maison, je peux ne pas aller travailler, tu sais ? Ou bien faire venir quelqu'un de la meu...

- Non, le coupa rapidement Stiles. Ne t'inquiète pas, être seul me va, simplement... J'aimerais pouvoir me défendre au cas-où. Je sais pas si t'es au courant, mais je suis aveugle.

Et Stiles s'en voulut aussitôt. Sans voir son père, il devina sans peine la douleur du rappel de cet horrible fait se peindre sur son visage tanné par les nombreuses heures passées sur le terrain. En entendant le souffle légèrement haché de son géniteur, l'hyperactif regretta tout de suite ses paroles et sa voix un peu sèche. Il tenta d'un ton plus doux :

- Je veux dire... Je n'ai plus mes yeux pour m'aider, alors si je peux dissuader un potentiel agresseur ou un membre de la meute de venir, je n'ai qu'à... Tu vois ? Faire comme si j'étais toujours le même.

- Stiles, soupira Noah, inquiet, tu as peur qu'ils reviennent te chercher ?

Ignorant sciemment sa légère évocation de la meute, le shérif imaginait sans mal la peur de son fils de se faire à nouveau enlever. Il ne lui avait pas dit, mais il faisait en sorte que des patrouilles passent régulièrement près de la maison et avaient pour ordre d'intervenir au moindre mouvement suspect. Parce que Noah n'avait toujours pas digéré le retour de son fils, dans le sens où il lui était revenu la vue en moins, avec des marques de mauvais traitements sur le corps. En plus des ecchymoses à ses poignets et son cou, l'on avait retrouvé quelques bleus sur ses jambes et sa maigreur était si marquée que les premiers jours, Noah avait fait des efforts en cuisine : il voulait que son fils se remplume et mange avec plaisir. Par conséquent, puisque Stiles n'avait pas su lui dire grand-chose à part qu'il avait été enlevé il ne savait où, il ne savait quand, par il ne savait qui, le shérif restait sur ses gardes. Si on avait kidnappé le lycéen et laissé partir, c'était sans doute pour le reprendre plus tard. Enfin peut-être. Après tout, il n'en avait aucune idée et ça le tuait. Heureusement que Stiles était fort et supportait bien cette épreuve ! Autrement, il n'y arriverait pas... C'était dur, très dur, trop dur...

- Non, répondit toutefois Stiles avec une étrange assurance qui laissait entendre la vérité...

... Mais qui était en fait un semi-mensonge.

- J'ai simplement envie de... Tu vois ? Avoir de quoi me défendre, peu importe la situation. Imagine y a un voleur, comment je fais ? Bah je le plante, vite fait. Mais dans un endroit qui tue pas, genre l'épaule... Eh, l'air de rien, j'suis précis, j'te fais ça les yeux fermés ! Continua Stiles en riant légèrement de sa propre plaisanterie.

- Je ne suis pas sûr qu'un couteau soit très efficace, surtout si le voleur comprend que...

- Dans ce cas, t'as un flingue en trop, non ?

xxx

Même si la situation était cocasse et commençait mal, Stiles était toujours certain d'obtenir ce qu'il voulait, surtout si la partie adverse n'était autre que son père. Il trouvait toujours les bons mots, si bien qu'il avait réussi à le convaincre alors qu'au fond... Il n'avait pas de réels arguments, puisqu'en soi, tout devrait bien aller étant donné qu'un véhicule de police dépêché par son père faisait régulièrement des rondes dans le quartier, y compris près de la maison des Stilinski. Mais quand Stiles voulait quelque chose, il l'obtenait, surtout s'il y tenait vraiment. Et le pistolet était là, près de lui.

Oui, Stiles était terrifié à l'idée qu'on revienne le chercher. C'était grandement possible, il le savait. Sinon, pourquoi l'aurait-on lâché dans la forêt de Beacon Hills, où il était facile à retrouver ? Pour lui donner l'illusion qu'il était sauvé, libre, avant de le reprendre par la suite.

Il y avait un détail dont Noah Stilinski n'avait pas connaissance parce qu'il paraissait insignifiant, à tel point que les infirmiers qui s'étaient occupés de Stiles ne l'avaient pas relevé.

789. C'était le nombre tatoué sur sa cheville gauche. Les jeunes qui se tatouaient des choses sans queue ni tête étaient chose courante, si bien que ce n'était pas la peine d'en parler. Alors non, le shérif ne savait rien puisqu'en sa présence, Stiles s'était toujours débrouillé pour porter des chaussettes ou bien des pantalons de jogging assez longs et larges pour dissimuler ce détail...

... L'identité qu'on lui avait donnée ou plutôt retirée.

Durant un mois, « Stiles » avait laissé la place au « Sujet 789 ».

Alors oui, il était terrifié mais ne pouvait pas parler. Qui le croirait ? Comment décrire un endroit qu'il n'avait jamais vu de l'extérieur ? Comment décrire des gens qu'il n'avait jamais vus ? Ils portaient toujours des masques, c'était à peine s'il avait pu apercevoir leurs yeux avant... Avant de perdre la vue. Comment... Comment porter des accusations alors que la seule preuve qu'il avait, c'était quelques bleus, une cécité soudaine... Rien de probant, rien qui pourrait le sauver.

Stiles était marqué comme du bétail, repérable à ce simple tatouage discret et bien réalisé. Une expérience sommaire mais qu'il faudrait bien récupérer un jour ou l'autre. L'hyperactif aurait bien aimé espérer que cela puisse ne pas être le cas, mais... Pourquoi se faire des illusions ? Autant rester sur ses gardes, prêt à se défendre au cas-où, le tout sans inquiéter son père outre mesure. Il avait bien assez subi comme cela.

Et la meute ? Stiles était encore plus terrorisé à l'idée de penser à ses amis. Ceux qu'il avait délibérément ignorés. Mis de côté. Il savait de par son père que Scott et Derek avaient essayé de le voir une fois, sans succès et pour ça, il pouvait le remercier. Il n'était pas prêt, vraiment pas prêt. Comment leur dire qu'il ne servait définitivement plus à rien ? Qu'il était relégué au rang de meuble, incapable de faire quoi que ce soit pour la meute à part... Réfléchir ? Mais cela, tout le monde pouvait le faire, alors...

... Stiles retardait au maximum le moment où on allait l'écarter de la meute. Ça allait arriver, c'était certain. Qui voudrait d'un aveugle comme stratège ? Le terrain, c'était clairement fini pour lui et c'était dommage, parce que c'était ce qu'il préférait. Au moins, il avait l'impression de se sentir un peu utile, il aidait parfois à sauver la vie de certains, c'était... Agréable. Savoir que revoir ses amis allait signer la fin de leur collaboration bien sympathique, c'était... Non, il ne voulait pas y penser. Survivre mentalement à cette situation c'était bien assez difficile, ce n'était pas le moment de se rajouter de quoi complexifier sa guérison psychologique à peine entamée. C'était vraiment dur. Il ne fallait pas que la meute le voie, ni même qu'elle découvre ce qui lui était arrivé. Il avait bien intuité en demandant discrètement à Melissa McCall de ne rien dire concernant sa cécité forcée à Scott, autrement... Sans doute serait-on déjà venu lui annoncer en personne son éviction de la famille. Et ça, il n'était pas encore capable de l'entendre.

Depuis qu'il était aveugle, Stiles avait arrêté de passer ses journées en musique, chose qu'il avait pourtant l'habitude de faire autrefois. Lorsque son père partait au travail, l'hyperactif connectait son téléphone à son enceinte bluetooth et montait le son à son maximum avec un plaisir non dissimulé et peu lui importaient les plaintes des voisins ! Il connaissait la loi, savait qu'il avait le droit de faire tout le bruit qu'il voulait de huit heures et demi à vingt-deux heures trente.

Mais c'était fini. Stiles ne pouvait plus compter que sur son ouïe, qui commençait à se développer. Ou alors, il y faisait simplement plus attention qu'auparavant mais désormais, c'était son seul moyen de défense avant l'attaque.

Que faisait-il pour passer le temps ? Pas grand-chose. Ses activités étaient au nombre de deux, qu'il faisait toujours dans un ordre précis.

Ce jour-là, il en était à la première. Sa main accrocha le tissu rêche du canapé. Salon. Parfois, lorsqu'il passait trop de temps à ne rien faire, il lui arrivait d'oublier la nature de la pièce dans laquelle il se trouvait. C'était pour cela qu'il faisait cette activité, qu'il avait nommé pour lui-même le repérage. Il réapprenait à vivre dans cette maison qui était la sienne et s'amusait à compter le nombre de pas qui séparaient certains meubles. Il fallait qu'il retrouve cette connaissance intuitive pour se sentir à l'aise. Il fallait qu'il le soit au moins chez lui, autrement... Où pourrait-il se sentir tranquille ? Ses longs doigts passèrent sur le tissu qui, dans son souvenir, était gris clair. Bientôt, il oublierait cette couleur, comme il oublierait les autres. Le violet, il ne savait déjà plus ce que ça donnait...

La deuxième activité à laquelle il s'adonnait, c'était la réflexion. Oui, à part s'entraîner à reconnaître sa maison et à réfléchir, que pouvait-il faire ? Ecouter de la musique restait une option, même s'il n'était pas question qu'il le fasse. Et puis, comment ferait-il pour la mettre ? Faudrait-il déjà qu'il arrive à déverrouiller son téléphone tactile et rien que ça, ce n'était pas une mince affaire...

Stiles effectua trois pas avant que son tibia droit rencontre un peu vite le bois de la table basse. Il grimaça légèrement et se traita d'idiot à haute voix. Il fallait toujours qu'il aille un peu vite, qu'il oublie qu'il ne pouvait pas appréhender les obstacles de la même manière qu'autrefois. Ce temps était révolu et il fallait qu'il s'en souvienne réellement. Rien ne sera plus jamais pareil, Stiles, rentre-toi ça dans le crâne. Malheureusement, c'était encore un peu difficile à accepter. Mais il allait y arriver, n'est-ce pas ?

Stiles se tendit soudainement au moment où ses oreilles perçurent un bruit sourd au-dessus de lui, sans doute en provenance de l'étage. L'adolescent resta complètement immobile durant une longue minute. La terreur s'empara rapidement de lui alors que la paranoïa, elle, était déjà là depuis le début. Mais Stiles la maîtrisait comme il pouvait, refusant de céder le peu de sang-froid qu'il avait à cette pulsion horrifique qui lui donnait envie d'hurler de peur et de fuir, loin, très loin... Dans un endroit où on ne risquait pas de lui faire du mal. Tap... Tap... Tap... Tap... Son rythme cardiaque s'accéléra d'un coup et son souffle se coupa. Il n'était pas dingue, il entendait bien quelque chose et ce qu'il identifiait clairement comme des bruits de pas lui glaça le sang. Avec le peu de lucidité qu'il avait encore, il sortit le pistolet qu'il avait calé contre sa hanche. Le métal froid serré contre sa peau à cause de l'élastique de son boxer ne le rassurait pas du tout mais c'était ce qu'il avait de mieux pour se défendre en cas de problème. Et de problème, il y en avait bien un. Les pas, il les entendait se déplacer, lentement, sûrement... Et bien vite, ce furent les marches des escaliers qui le perturbèrent. Il aurait bien aimé se cacher, mais comment faire ? Il ne connaissait même pas encore son propre salon par cœur, il ne savait pas où aller et d'un coup, c'est comme s'il avait oublié tout ce qu'il avait appris concernant sa maison. Il ne savait plus rien et plus rien n'avait de sens, pas même cette arme qu'il tenait fébrilement entre ses mains. Où viser ? L'intrus approchait du salon, il l'entendait. Concentre-toi, Stiles ! S'ordonna-t-il. Mais sa terreur était toujours là. A vrai dire, elle gagnait même du terrain. Et ses doigts tremblaient. Bordel. En réalité, c'était tout le corps de l'hyperactif qui tremblait !

L'individu s'arrêta sur le seuil du salon et un masque de stupeur se peignit sur ses traits. Qu'est-ce que... ?

Paniquant plus que de raison parce qu'il avait entendu les pas se stopper à quelques mètres de lui, l'hyperactif leva son arme dans la bonne direction et cracha :

- Ne bougez pas !

Mais sa voix n'était pas assurée, loin de là. Elle trahissait clairement son angoisse et sa peur. C'était comme un cri faible, venant d'un petit animal apeuré. Stiles ne doutait pas de ce qu'il avait entendu, il était devenu trop prudent pour préférer croire qu'il s'agissait d'œuvres de son imagination et non de la réalité. Et même s'il n'y voyait rien, il ne devait pas montrer sa faiblesse. Qu'il ait peur et qu'il ne le cache pas, c'était une chose. Que l'intrus sache qu'il ne pouvait pas compter sur ses yeux, c'en était une autre.

Tap. Un pas en avant.

- Bougez pas, bordel, ou je tire !

- Stiles, c'est...

Mais l'hyperactif avait des sueurs froides, il était terrorisé, à tel point qu'il ne chercha pas le moins du monde à reconnaître cette voix qui venait de s'élever avec hésitation. Ne me touchez pas. Ne vous approchez pas. Ne me faites pas de mal ! Ses pensées actuelles étaient les échos du passé, de ces paroles qu'il avait prononcées, hurlées, soufflées. Une fois. Six fois. Quinze fois.

Sa mémoire s'implantant dans le présent, il sut qu'il aurait tiré s'il avait eu une arme sous la main. Et c'est ce qu'il fit sans avoir réellement conscience de son hésitation sans savoir si ce qui l'animait était la colère d'avoir subi toutes ces choses dans le plus grands secret ou bien la peur d'être à nouveau attrapé et torturé, réduit à l'état de cobaye sans importance, quelque chose de facilement remplaçable en cas de pépin. Le sujet 789 avait justement remplacé le sujet 578 à son arrivée au complexe, n'est-ce pas ?

Stiles se perdit dans ses pensées qui furent toutes soufflées par le gros « BAM » provoqué par l'arme à feu entre ses mains. Elle tomba soudainement. Stiles perdit momentanément l'ouïe et tout s'embrouilla.

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