Chapitre 3

Scott en avait assez. Deux semaines s'étaient écoulées et il n'avait toujours pas pu voir Stiles. Lydia et Liam commençaient également à s'impatienter, inquiets pour leur ami. Personne ne savait ce qui lui était arrivé. Personne ne savait qu'il avait perdu la vue. Derek leur avait simplement expliqué que lui et Scott avaient trouvé l'hyperactif perdu en pleine forêt ce qui était, en soi, la vérité, et que le shérif ne leur avait encore fourni aucune information.

Scott avait bien tenté de s'infiltrer dans la chambre de son meilleur ami : il avait eu la surprise de trouver la fenêtre complètement verrouillée, ce qui ne pouvait se faire que depuis l'intérieur et n'était clairement pas dans ses habitudes. Stiles savait que la majorité de son cercle se composait presque exclusivement de loups-garous qui, par conséquent, ne passait par la porte d'entrée qu'en de rares occasions. Pourquoi donc barrer l'accès que constituait sa fenêtre en toute connaissance de cause ? Après sa disparition, il avait forcément besoin d'être entouré par son père, mais aussi par ses amis. Il avait une meute, n'était-ce pas assez pour lui ? Une meute, ça prenait soin de chacun de ses membres, qu'ils soient loups-garous ou non. Stiles avait beau vénérer son statut d'humain, il comptait beaucoup pour les autres et il n'avait plus à prouver son utilité : le nombre de fois où il avait sauvé la mise de ses amis poilus et son ancien béguin à la voix discordante ne se comptait plus sur les doigts d'une main.

Alors pourquoi ? Scott avait parlé de ses interrogations à Derek. Il avait beau ne pas être son alpha sur le papier, il l'était pourtant déjà dans son cœur. Le loup de naissance se montrait calme face à la situation et s'il avait joué la désinvolture au début, il fallait avouer qu'il commençait lui aussi à avoir de sérieux doutes. Etant quelqu'un de solitaire par nature, Derek pouvait comprendre le fait que Stiles puisse vouloir être seul, mais... A ce point ? L'hyperactif qu'il connaissait aurait au moins envoyé un message à son meilleur ami, histoire de le tenir au courant et de le tenir consciemment à l'écart. Il aurait eu sa solitude tant désirée, tout en rassurant les autres. Ce silence radio, Derek ne l'aimait pas. Il ne lui disait rien de bon.

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Stiles grimaça. Ce qu'il pouvait être con ! Couper des tomates, ce n'était pas si compliqué... Quand on y voyait. Bien sûr, l'adolescent aurait pu attendre le retour de son père, qui travaillait mais, en bonne tête de mule, il avait fait fi de sa raison qui lui dictait de remettre cet exercice à plus tard. Alors qu'il s'ennuyait comme un rat mort dans sa chambre à ne pas savoir quoi faire, il s'était dit qu'il serait peut-être intelligent d'apprendre à cuisiner. Il savait bien le faire lorsqu'il y voyait et s'amusait même à concocter de délicieux petits plats – sains, faut pas déconner – pour son paternel tant aimé qui avait repris le travail tant bien que mal quelques jours après son retour. C'était un homme courageux qui avait manqué de mettre son devoir de shérif de côté, ce que lui avait rappelé Stiles à de maintes reprises.

« Je vais bien, papa. Et tu sais, je fais des progrès. Bientôt, tu ne reconnaîtras même plus la maison tellement je m'en serai bien occupé ! Tu vas voir, tu vas être fier de moi ! » C'était ce que Stiles avait dit au shérif, un soir où il était rentré et lui avait parlé de son hésitation à prendre de nouveaux congés. Pour lui. Parce qu'il n'y voyait plus rien. Stiles savait être convaincant quand il le voulait, si bien qu'il avait réussi à rassurer son paternel en quelques mots et ruses bien placées. Si sa plaidoirie reposait principalement sur son bagout légendaire, Stiles fut toutefois heureux que son père ne soit pas là pour constater son échec actuel. Trouver une tomate avait été difficile en soi, parce que Stiles n'avait jamais été réellement doué pour reconnaître les choses au toucher. Ce qui l'avait aidé à identifier la chose, c'était son nez et l'hyperactif imaginait très bien à quel point il avait dû être ridicule durant sa recherche. Et à quel point il l'était, actuellement, après s'être lamentablement coupé, tel un piètre débutant en cuisine.

- Merde, jura-t-il.

Ce n'était pourtant pas si compliqué. Il suffisait qu'il place correctement ses mains et son couteau, mais non. Comme toujours, il fallait que Stiles n'en fasse qu'à sa tête et ne prenne pas ses précautions correctement. Avec un dégoût évident, l'hyperactif suçota son pouce tandis que sa main libre tâtonnait sur le plan de travail, à la recherche de quelque chose à mettre sur sa petite plaie. Mais bien sûr, Stiles, muni de sa chance légendaire, couina tandis qu'une nouvelle petite blessure se mettait à colorer sa paume vierge quelques secondes avant. Bien évidemment, il avait fallu qu'il fonce, sa main droite sur le couteau laissé là ! L'hyperactif grogna aussi bien qu'un humain pouvait le faire et chercha ce dont il avait besoin à l'aveugle.

Après avoir maladroitement épanché son sang, Stiles réessaya de couper cette fichue tomate – il avait eu envie d'une petite salade avec tomates, concombres, oignons et laitue – avant d'arrêter le massacre, rageur. Il n'y arrivait pas. Son échec, le plus gros depuis sa cécité, l'énerva plus qu'autre chose, si bien qu'il se laissa tomber au sol et retint comme il le put ses larmes de rage tandis qu'il serrait les poings.

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Stiles accueillit son père avec le sourire ce soir-là. La cuisine était impeccable ou du moins, aussi propre qu'elle pouvait l'être grâce à ses soins.

- Bonsoir fils, fit le shérif en l'étreignant. Comment était ta journée ? Tu ne t'es pas trop ennuyé ?

- Non, du tout, j'ai fait plein de choses et je me suis entraîné. Je progresse, petit à petit.

Ce n'était pas faux. Il avait fini par réussir à se la faire, sa salade. Il l'avait mangée sans en profiter, juste pour faire disparaître ce qu'il avait fait. Parce que c'était moche et il le savait. Idem pour le plan de travail : à force de chercher, il avait fini par trouver sopalin, produits, et nettoyé le tout en tremblant. Heureusement qu'il avait été seul. Autrement, l'humiliation aurait été immense. Stiles cacha ses mains dans son dos. Ses plaies n'étaient pas nombreuses mais elles étaient là, et il n'avait pas eu le courage de remonter à l'étage et de chercher la salle de bain, puis les pansements. Ses déplacements étaient simples et répétitifs, Stiles faisait toujours les mêmes trajets, dans les mêmes directions, si bien qu'il n'était pas aussi à l'aise dans la maison qu'il ne le laissait penser. Il allait bien à la salle de bain pour se laver, chaque matin. Néanmoins, il avait bien du mal à retenir le chemin et chaque fois qu'il y allait, il se perdait dans ce long couloir menant à sa chambre, celle de son père, la salle de bain, les toilettes, le bureau et la chambre d'amis.

Le shérif ébouriffa affectueusement les cheveux châtains de son fils en souriant.

- Je suis fier de toi mon fils, tu te débrouilles bien mieux que moi alors que j'ai tous mes sens ! J'ai toujours su que tu étais exceptionnel.

Si tu savais, tu ne serais pas aussi fier de moi. Stiles sourit, encore, comme si tout allait bien, comme si ses « progrès » l'enchantaient réellement. Ses émotions intérieures bouillonnaient. Il devait être fort, pour son père, et ne jamais lui montrer ses échecs cuisants. Seule la réussite comptait. Déjà qu'il avait un fils hyperactif, Noah ne devait pas penser que celui-ci était devenu impotent, auquel cas... Il trouverait sa vie encore plus triste qu'elle ne l'était déjà. Perdre sa femme avait été suffisant, fallait-il maintenant que son fils devienne un assisté ? Non, le shérif n'avait pas besoin de ça. Il méritait une petite vie tranquille, sans embûches. Apprendre que Stiles avait perdu la vue avait été un choc, si bien que l'hyperactif avait un moment cru que c'était son géniteur qui se laisserait plonger et pas l'inverse. Autant dire qu'il ne laisserait pas faire une chose pareille. Stiles connaissait très bien la faiblesse de son père : l'alcool. S'il pouvait éviter d'en rappeler le souvenir à son père après son long combat contre son alcoolisme, il le ferait.

- J'ai un père exceptionnel, répondit tout naturellement Stiles en lui faisant un câlin.

Pour la première fois depuis que son paternel était rentré, l'hyperactif faisait preuve d'un peu de sincérité. Oui, son père était unique, exceptionnel, un héros sans cape. Ce serait bête de lui briser les ailes à cause de sa propre faiblesse, celle qui lui faisait broyer du noir à chaque heure.

Les bras entourant son père, Stiles ferma les yeux – précaution inutile puisqu'il n'y voyait rien – et lui répéta à quel point il était heureux de l'avoir dans sa vie. Et pourtant, alors que son géniteur lui parlait et lui racontait sa journée, Stiles pensait à autre chose. S'il était honnête, il devait bien avouer qu'il se sentait seul. La présence de son père lui faisait du bien, oui, mais il avait l'habitude d'être entouré dans une plus large mesure même si on ne s'intéressait pas à lui directement. Non, Stiles, ne pense pas à la meute.

Noah se détacha de lui et l'informa qu'il allait aller préparer le repas.

- Tu peux aller t'allonger un peu en attendant, si tu veux. N'oublie pas, Stiles, progresser c'est bien, mais tu dois avant tout te reposer !

Stiles sourit une fois de plus sincèrement. Son père, c'était la gentillesse incarnée, il n'était même pas surpris qu'il ait choisi de faire sa carrière dans le domaine de la justice. Noah Stilinski aimait l'humain et avait toujours fait ce qu'il pouvait pour aider son prochain. Il était d'un altruisme à la fois fort et réfléchi. Être gentil, ce n'était pas être bête pour autant. Noah savait faire la différence entre amabilité et manipulation. Sauf lorsque son fils entrait dans l'équation. Stiles avait le chic pour brouiller les pistes, comme il le faisait actuellement. Il y avait des fois où Noah le prenait la main dans le sac et lui faisait regretter ses mensonges de manière sympathique. Mais l'hyperactif avait cette fois-ci un avantage sur lui.

Noah avait été profondément impacté par ce qui lui était arrivé. Il était, par conséquent, affaibli mentalement et avait tendance à baisser sa garde. Stiles profitait de la brèche qui lui était offerte sur un plateau d'argent. Il n'en avait pas honte. Après tout, c'était pour son bien qu'il camouflait ses propres faiblesses, pour lui, qu'il apprenait dans l'ombre.

C'était pour lui qu'il s'en remettrait.

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