Chapitre 23
Au départ, Stiles eut bien du mal à verbaliser ce qu'il ressentait. Pour lui, rien n'avait de sens et... Il trouvait particulièrement difficile le simple fait de donner une consistance à quelque chose qu'il ne sentait que partiellement et qu'il ne voyait pas. Il n'y avait pas à dire, la cécité avait changé son monde, l'avait remodelé de telle sorte qu'il ne se voyait pas s'en sortir en y évoluant seul. Et Stiles se fit la réflexion que ce qu'il faisait chez lui n'avait vraiment pas de chance. Dans quel monde réapprendre les choses tout seul l'aiderait à progresser alors qu'il souffrait de n'avoir plus aucun repère ? Il était persuadé que d'autres que lui y arrivaient sans problème, parce qu'ils n'avaient pas le choix. En ce qui le concernait, c'était tout autre chose. Il avait son père, parfois. Lorsqu'il ne travaillait pas et qu'il le prenait avec lui, comme ces deux derniers jours, ils partageaient des choses et Stiles savait qu'il l'aiderait à réapprendre à se débrouiller s'il le lui demandait. Puis... Derek était là aussi. C'était même chez lui qu'il logeait depuis un moment – et de ce qu'il en savait, cette situation risquait fortement de durer. Mais Stiles avait ce petit truc en lui qui lui disait de se taire. Pas pour tenter de se montrer plus fort que tout le monde : juste parce qu'il ne voulait pas déranger.
Il s'agissait là d'un des plus grosses difficultés auxquelles il avait à faire face. En effet, Stiles avait l'habitude de se débrouiller seul pour tout. Or, son handicap l'avait rendu complètement dépendant d'une présence tierce – ce qu'il détestait ça ! Devoir se laisser guider, attendre qu'on le dirige, qu'on lui fasse à manger, qu'on le serve, qu'on le fasse se coucher...
Demander de l'aide, tout simplement.
Alors Stiles coopéra. Décrivit tout ce qu'il sentait et remarquait à Derek, qui l'écoutait religieusement. Parce que son hôte s'occupait de lui depuis le départ et qu'il ne lui avait, jusqu'à maintenant, rien demandé. Ainsi, pourquoi refuser quelque chose d'aussi simple et qui ne lui demandait, en soi, pas un grand effort ? Parler, il savait faire. Très bien, même. C'est ainsi qu'il s'efforça d'être le plus précis possible dans ses observations aveugles, uniquement faites à partir de son toucher. De ses pieds, si l'on voulait se montrer précis. Parfois, Derek lui demandait de frôler des choses avec l'une de ses mains, l'autre tenant toujours fermement les siennes. Et Stiles constatait des choses qu'il ne comprenait pas, mais qu'il disait, formulant à voix haute ses pensées les plus basses. Impossible toutefois de se leurrer quant au fait qu'il continuait de se trouver stupide : il se faisait l'impression de passer pour un idiot qui ne savait rien – ou qui avait tout oublié.
Il se faisait honte.
Et le pire, c'est qu'il savait qu'il ne le devrait pas, tout simplement parce que Derek se montrait d'une patience exemplaire. Il l'encourageait régulièrement – pas à chaque pas, mais presque –, le poussait à verbaliser chacune de ses remarques, à lui faire part du moindre de ses ressentis. Pour lui, tout était important et... Stiles avait envie de le croire. Ces précautions-là ne devaient pas cacher d'intentions mauvaises, d'autant plus que Derek était l'homme le plus honnête qu'il connaissait. Stiles le savait. Or, tout en lui s'était ébranlé dès lors qu'il avait refait surface à Beacon Hills, pour ne pas dire que la quasi-intégralité de ses certitudes s'étaient envolées.
C'était bien beau d'avoir conscience des choses, restait maintenant à ne pas les oublier.
- On va revenir sur nos pas. Continue de me parler, de me faire part de ce que tu sens.
Stiles articula un pauvre « oui » rendu particulièrement mou à cause... De cette douceur ferme, cette caresse pour ses oreilles. Dès leur rencontre, il avait accolé au nom « Derek Hale » quantité de qualificatifs et de caractéristiques en tous genres. « Voix douce » et « patience légendaire » ne figuraient pas sur son carnet de note mental. Et c'était... Bien. Bizarre, mais agréable – Stiles devait avouer que ce Derek-là, il l'aimait beaucoup. De façon générale, il l'avait toujours apprécié. Simplement, son handicap et cette proximité quelque peu forcée lui montraient l'alpha sous un angle si différent que ça lui faisait quelque chose. Bien sûr, tous les éléments qu'il relevait le concernant, il les avait déjà plus ou moins remarqués avant. Mais ne s'y était jamais attardé, ne s'était pas dit qu'ils existaient vraiment. Si on lui avait dit que le simple son de la voix de Derek aurait l'effet d'une caresse sur lui, jamais Stiles n'y aurait cru. Il aurait par contre éclaté de rire en ajoutant que le loup-garou ne parlait pas parce qu'il passait son temps à grogner.
Mais rien n'était immuable, tout n'était que croyances enchevêtrées et Stiles s'en rendait bien compte. C'était peut-être pour ça qu'il acceptait de coopérer, finalement. Peut-être parce qu'il commençait doucement à comprendre que Derek n'était pas là pour le juger, qu'il ne le prendrait pas pour un fou, ne se moquerait pas non plus de lui. Stiles repensa longuement à cette idée alors qu'ils continuaient de progresser à l'intérieur du loft.
Cette patience douce, bizarrement, ça allait bien à Derek. Elle lui ressemblait alors que Stiles ne l'avait jamais véritablement connu comme ça.
Stiles ne se sentait toutefois pas complètement à l'aise mais ça, son hôte n'y pouvait rien. Se déplacer dans le noir, pour lui, c'était... Toujours aussi dur. Tant et si bien que le jeune homme se disait d'ores et déjà qu'il ne s'adapterait peut-être jamais complètement à cette situation, ce handicap arrivé si soudainement dans sa vie. Mais étrangement, faire un peu plus attention à ces différences qu'il constatait chez Derek lui firent, l'espace d'un instant, voir les choses sous un autre angle.
Tout n'était peut-être pas forcément inatteignable.
Mais cette vision, aussi positive puisse-t-elle être, disparut rapidement de sa conscience. Pas parce que Stiles s'était soudainement mis à déprimer : plutôt parce qu'il mettait toute son énergie dans ses observations aveugles.
- Je... Sais pas si tu comprends quelque chose à ce que je dis mais si jamais... C'est dur, c'est vraiment dur de décrire ce que tu vois pas. Je suis naze en toucher et j'ai jamais été très... Fort pour me repérer les yeux fermés. Faut aussi dire que l'idée de le faire ne m'est pas souvent venue... J'en voyais pas l'intérêt.
Et voilà que sa concentration s'envolait. Sa concentration s'était fait la malle, décidant de dévier son attention vers quelque chose qu'il connaissait, dont il avait l'habitude et qui le rassurait : parler. Dire ce qui lui passait par la tête, pas ce qu'il était censé sentir.
- Tu vas t'habituer, entendit-il.
Si Stiles détestait ce genre de phrase – à raison –, il ne laissa pas l'agacement s'emparer complètement de lui. Il se permit toutefois une remarque... Qu'il n'aurait de toute façon pas réussi à retenir en lui :
- C'est plus facile à dire qu'à faire, tu penses pas ?
Son ton était légèrement piquant et à peine incisif.
De longues secondes passèrent et ils continuèrent de se mouvoir dans une direction que Derek avait décidé de prendre. Stiles crut qu'il ne lui répondrait pas... Et se ficha de la raison. Peut-être l'avait-il vexé ou tout simplement agacé. Désireux de ne pas s'attarder là-dessus, il décida de se concentrer sur ce qui était important : ne pas se foutre la honte en perdant l'équilibre parce qu'il aurait mal posé son pied. Et cette situation, il l'avait très souvent connue avant de perdre la vue. Désormais aveugle, le risque de la reproduire ne pouvait que se décupler. Stiles n'avait jamais eu un très bon équilibre.
Mais il ne se débrouillait pas trop mal pour suivre. Pour s'aider un peu et rendre ce moment un peu moins gênant pour lui-même, Stiles s'imagina que Derek ne l'aidait pas à marcher, mais qu'il le faisait, quelque part, danser. Une valse sans exagération, un rythme complexe par sa lenteur, riche par son exécution et toutes ces données qu'il lui apportait sans qu'il s'en rende compte.
Plus que de le détendre en lui donnant envie de rire d'imaginer Derek en tant que danseur, cette idée trouva le moyen de l'apaiser en profondeur. Ainsi, son avancée dans les ténèbres semblait gagner en sens.
- Si, bien sûr.
Stiles manqua de frémir tant il n'attendait plus de réponse de la part de son hôte. Il l'avait presque oublié, tiens.
- C'est toujours plus facile à dire qu'à faire, mais tu vas y arriver, termina le loup-garou.
Son ton, sans se départir de cette douceur si étrange, était devenu si ferme que Stiles ne ressentit pas la moindre envie de le contredire – parce qu'il avait malgré lui lu entre les lignes. Derek ne cherchait pas à minimiser son ressenti en le laissant, quelque part, se noyer dans son problème.
Non, il lui faisait juste confiance, croyait en lui. Et le lui faisait comprendre à sa manière.
Stiles, même s'il n'y voyait rien les yeux ouverts, laissa ceux-ci se fermer, parfaitement détendu.
La valse pouvait reprendre.
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