Chapitre 21


Une solitude immense s'empara de Stiles, qui eut soudainement l'impression qu'un froid des plus intenses s'emparait de lui. La séparation lui était brutale : étonnamment plus qu'il l'aurait imaginée, et maintenant... Maintenant, il se sentait perdu. Car même s'il se savait devant l'entrée du loft, il ne la voyait pas. Ne voyait rien tout court.

S'habituerait-il un jour à cette cécité qu'il peinait à accepter ? Elle lui faisait toujours l'effet d'une blague, de quelque chose d'éphémère. Il s'imaginait souvent se réveiller, un matin, et de voir que les rideaux noirs s'étaient levés... Tout en sachant que cela n'arriverait sans doute jamais. Stiles était au fait de la façon dont on l'avait mutilé. C'était physique. Du reste, on ne pouvait rien faire pour lui.

Mais sa conscience des choses ne le privait pas pour autant de la peur viscérale qui croissait de façon exponentielle en lui. Pourtant, Stiles n'était pas de ce genre-là : malgré son humanité, il savait se montrer brave et mettre toute terreur potentielle de côté. Or, il avait perdu un de ses sens – le plus important, à ses yeux. Il n'avait plus aucun repère.

- Derek ? L'appela-t-il sur un ton craintif.

Pas de réponse. Mais deux mains attrapèrent doucement les siennes, y diffusèrent leur chaleur à une rapidité stupéfiante. Stiles, même si cela ne changeait rien pour lui, ferma les yeux et laissa échapper un souffle si léger que lui-même ne s'en rendit pas compte. C'était dingue ce que sa cécité le rendait vulnérable... Et apeuré. Il n'aimait pas ça... Tout simplement parce qu'il ne se reconnaissait pas.

Derek le guida sans un mot et l'aida à passer la marche d'entrée avec une patience infinie. Etrangement, Stiles avançait moins assurément qu'avant ce petit interlude de deux jours avec son père : c'était comme s'il avait perdu le peu de repères qu'il avait péniblement réussi à acquérir.


Mais déjà, un frisson léger le parcourut : il avait l'impression que quelque chose était différent, sans pouvoir dire quoi. Et alors qu'il allait faire un pas de plus, Derek le stoppa.

- Enlève tes chaussures.

Si la formulation de sa phrase laissait penser à un ordre, sa voix n'avait rien de sec. Stiles n'y voyait toujours que cette chaleur retenue, mais bien présente. Il savait qu'avec lui, Derek faisait un effort pour faire davantage entendre ce côté humain qu'il avait, tout en retenant sa propre dureté. Stiles n'en avait pas besoin.

Mais ce que l'hyperactif ne savait pas, c'est que l'analyse de Derek allait bien plus loin que cela. Parce qu'elle ne s'arrêtait pas à ce simple fait : elle se servait de tout ce qu'elle trouvait, y compris son odeur et... Tout ce qu'il avait observé jusqu'alors. Stiles pensait que Derek n'utilisait et n'avait à faire que le strict minimum avec lui – jamais il n'avait eu aussi tort. Et si la vue lui revenait, il verrait la façon dont l'alpha le regardait. Remarquerait son sérieux presque solennel et cette tension particulière qui marquait désormais les traits de son visage. Derek appréhendait... Mais ça, Stiles ne pouvait pas le savoir.

En revanche, même si la demande lui parut étrange, il n'eut pas l'intention de faire autre chose que de l'exécuter.

- Est-ce que je peux... M'appuyer sur toi ? S'enquit-il, légèrement craintif de la réponse.

Malgré sa maladresse, Stiles avait autrefois un équilibre tout à fait normal. S'il tenait aujourd'hui debout sans problème, tenir sur un pied lui était devenu impossible. La privation de la vue lui avait véritablement arraché tout ce qui lui avait permis d'avoir de se construire des repères en ce bas monde. Evidemment, tout était possible et Stiles pouvait réapprendre tout ce qu'il ne savait plus faire – dans la mesure du raisonnable. Mais son handicap, de par sa fraîcheur, avait détruit la confiance qu'il pouvait avoir envers lui-même, ses propres gestes, son équilibre...

- Tu ne devrais pas avoir à me poser ce genre de questions, Stiles.

Les mots ne formulaient pas le reproches qu'ils avaient pourtant l'air d'esquisser. En tout cas, c'était de cette façon que l'hyperactif le voyait, le sentait... Peut-être se trompait-il, mais... Il ne percevait aucune once d'agacement dans le ton plutôt lisse de Derek. Qu'à cela ne tienne, il allait s'appuyer sur cette hypothèse-là : question de simplification. De toute manière, c'était en hésitant encore qu'il risquait de lui faire perdre patience. Et Stiles, à l'égard de sa situation, n'avait pas envie de l'embêter davantage. Il considérait d'ores et déjà sa présence comme une gêne, une irrégularité dans le quotidien de Derek. Alors, il partait du principe que l'écouter... Était ce qu'il fallait faire pour ne pas le déranger. C'est ainsi que l'une de ses mains se libéra de celles de Derek et remonta son bras du bout des doigts jusqu'à trouver son épaule et s'y accrocher aussi fermement que possible. Il retint un soupir. Se repérer de cette façon... Ce qu'il détestait ça ! Il savait que Derek n'était pas friand des contacts physiques, encore moins de ceux venant de gens comme lui. Des enquiquineurs, des gêneurs. De façon générale, Stiles ne l'avait déjà vu complètement ouvert et chaleureux qu'avec sa sœur : la meute n'avait jamais eu droit à un traitement particulièrement doux de sa part. Quoique Stiles n'avait pas l'intention d'être ingrat. Il ne pouvait pas nier les efforts que l'alpha faisait pour lui. Et s'il les appréciait, il avait peur que lesdits efforts finissent par le déranger et qu'il l'en prive. Sans eux, Stiles ne saurait quoi faire. Le loft... Il n'arrivait plus à en retenir l'agencement – se déplacer seul relevait donc pour le moment de l'impossible. Cuisiner ? Comment faire, lorsque l'on n'y voyait rien ? Stiles avait déjà tenté de couper des choses, mais c'était d'un difficile...

Le jeune homme s'efforça de ne pas laisser son esprit vagabonder davantage et se concentra sur sa tâche. Quelques instants plus tard, ses chaussures étaient au sol, posées à ses pieds. Il les prit dans sa main libre.

- Je les mets où ? S'enquit-il.

- Laisse-les là, je m'en occuperai.

Si Stiles fonça les sourcils, légèrement confus, il les reposa au sol sans lâcher Derek, dont il tenait à nouveau la main. Mais quand même, pourquoi lui faire enlever ses chaussures ? Au loft, on ne marchait que rarement sans. Parfois, il ne les mettait pas parce que c'était un exercice un peu difficile. Les enlever restait plus simple.

Sans rien lui dire, Derek reprit la marche et le guida. Sous ses pieds, Stiles perçut soudain quelque chose. Il y avait quelque chose de différent dans ce sol qu'il connaissait pourtant si bien. C'était plus doux, plus... Mou. Pas énormément, mais suffisamment pour qu'il le remarque. Dans sa situation, le toucher et les sensations prenaient une importance considérable.

- Tu... Il n'y avait pas de moquette quand je suis parti, ne put-il s'empêcher de lâcher.

Il avait besoin d'extérioriser ce qu'il remarquait péniblement, d'une part pour rendre ces éléments plus tangibles, et puis pour que Derek... L'éclaire. Lui dise s'il se trompait ou non.

- Ce n'est pas de la moquette.

Ils avancèrent, encore. Toujours pas à l'aise, Stiles serra les doigts du loup sans véritablement s'en rendre compte. Sans les rendre blancs, il y appliquait toutefois une pression certaine... Que Derek choisit de ne pas lui faire remarquer. Stiles n'était pas assuré dans sa démarche, en témoignait cette fameuse pression qu'il comprenait. Et l'alpha, dans sa magnanimité, n'avait pas la moindre intention de le brusquer outre mesure. Néanmoins, il continua de le faire avancer dans une certaine direction en faisant attention à bien l'aider à maintenir son équilibre. A chaque pas, Stiles vacillait un peu. C'était comme si le loft était devenu un autre endroit, dans lequel il ne savait plus comment marcher normalement. Qu'est-ce qui lui donnait cette impression ? Les sourcils légèrement froncés, il réfléchit.

Sous ses pieds, le sol lui sembla changer encore. Il était un peu plus dur cette fois, mais conservait cette douceur qui faisait que marcher dessus en chaussettes ou pieds nus ne posait aucun problème. C'était même agréable.

- Tu réfléchis tellement que j'ai l'impression de t'entendre faire.

- Excuse-moi, se rembrunit aussitôt l'hyperactif, pas serein pour un sou. Je ne fais pas exprès.

- Fais-moi part de tes réflexions, Stiles, quémanda doucement Derek.

- Je ne pense pas que mon ressenti par rapport à un simple sol puissent t'intéresser... Tu risquerais de me prendre pour un dingue.

Parce qu'il se faisait des idées. Forcément. Stiles se savait particulier et avait parfois tendance... A s'attacher à des détails qui n'avaient pas la moindre importance. Quelque chose avait changé, oui, peut-être... Mais pour le reste, il devait se faire des idées.

En attendant, il laissait Derek le guider sans savoir où il comptait le conduire. S'il savait qu'il ne pouvait rien faire pour briser cette dépendance pour l'instant, il continuait d'espérer qu'elle se terminerait au plus tôt – y compris pour Derek. L'alpha avait bien mieux à faire que de s'occuper d'un humain fraîchement aveugle...

Cette fois-ci, ce fut Derek qui serra un peu les mains de Stiles sans ralentir leur rythme. Au sol, nouveau changement, que notifia l'hyperactif sans un mot. C'était moelleux, cette fois.

- Est-ce que tu me fais confiance ? Entendit l'humain.

Stiles choisit de répondre honnêtement et sans attendre, après avoir laissé échapper un profond soupir :

- Par la force des choses, oui...

Il n'était pas gêné par ce fait, pas vraiment. Ce qui le dérangeait, c'était sa propre vulnérabilité... Qui obligeait Derek à s'occuper de lui. Une vulnérabilité qui le faisait se sentir lourd, infirme, inutile et qui semblait invalider la plupart de ses ressentis – il les jugeait, pour la plupart, stupides. Autant dire que cette impression que le sol ne cessait de changer... C'était le pompon.

Pourtant, Derek insista...

- Alors dis-moi ce que tu sens, ce que tu ressens. N'aie pas peur de me parler.

... Et la légère caresse de ses pouces sur le dos de ses mains poussa Stiles à cesser de résister.

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