Chapitre 19


Isaac était très doué et faisait attention au moindre détail. En fait, il reprenait même Derek et n'hésitait pas à repasser après lui s'il considérait que le travail n'était pas parfait. S'il détestait tout ce qui touchait de près ou de loin au bricolage, lui-même devait avouer être particulièrement doué – oui, en fait, il le savait. Ce qui primait chez lui dans ce domaine, c'était sa capacité d'observation, cette façon qu'il avait de regarder et d'imaginer directement le résultat des travaux dans sa tête. Cette manière qu'il avait de se projeter, Derek l'admirait. Et bordel, il avait bien choisi son partenaire de travail. Pour Stiles, il fallait un résultat impeccable. A côté de l'aspect purement pratique des travaux qu'il réalisait en la compagnie de celui qu'il avait mordu, il y avait aussi son empathie qui comptait pour beaucoup dans son choix.

Isaac... Avait plus ou moins bien pris la nouvelle. Disons qu'il l'acceptait même si elle lui déchirait le cœur. Il n'arrivait toutefois pas à imaginer un Stiles aveugle, nécessitant aide et aménagements en tous genres pour se déplacer en toute sérénité. Et pourtant, c'était le cas. Derek lui avait tout raconté : de la façon dont Scott et lui l'avaient retrouvé à son début de vie ici, en passant bien évidemment par la découverte de son handicap lorsqu'il était venu le voir chez lui pour la première fois. L'alpha avait jugé cela nécessaire pour qu'Isaac comprenne bien l'envergure du problème ainsi que toutes ses facettes. Il désirait que Stiles se sente bien ici et qu'il n'oublie pas qu'il restait un membre de la meute. Et que dans la leur, on prenait soin les uns des autres.

Alors il tenait à ce que l'empathie soit de mise, et Isaac en avait à revendre. Parce que sans pouvoir imaginer sa situation, il essayait de la comprendre. Sans même que Derek lui souffle l'idée, le bouclé avait réalisé le même exercice que lui : traverser le rez-de-chaussée du loft les yeux bandés. Ainsi, il avait lui aussi expérimenté les difficultés que pouvait rencontrer une personne dont la vue s'était envolée. Il s'était senti perdu, l'espace de quelques minutes, s'était cogné, retourné, trompé dans son chemin.

Maintenant, lui aussi voyait ce qu'il fallait apporter comme changements. C'était d'ailleurs pour cela que, plusieurs heures après le début des travaux, il donnait des indications supplémentaires à Derek. Son cerveau débordait d'idées d'aménagements et l'alpha les prenait toutes sans aucun problème – et il se rendait compte du nombre de choses auxquelles il n'avait pas pensé.

La façon dont Isaac mettait du cœur à l'ouvrage le touchait, d'ailleurs. Parce que derrière son apparente concentration et son sens du détail presque maniaque, Derek sentait sa douleur. Il avait cru à cette histoire sans en douter une seule seconde parce qu'il la savait vraie, mais... C'était difficile. Difficile parce que... Parce qu'imaginer un Stiles complètement dépendant d'autrui était impensable et c'était inévitablement ce à quoi menait son handicap. Quoique les choses pouvaient changer et peut-être qu'avec le temps, il pourrait se débrouiller comme le faisaient déjà des tas de gens dans la même situation.

Mais Derek avait gardé pour lui un détail et pas des moindres. S'il avait rapidement expliqué à Isaac le pourquoi du comment de l'absence de Stiles et l'origine de sa mutilation, il ne lui avait pas fait part de ce qu'il pensait. Du fait qu'il était persuadé que ceux à l'origine de son handicap pouvaient revenir à tout instant. Le simple fait qu'ils l'aient privé d'un sens pour le relâcher par la suite avait un but – restait à savoir lequel. Cette inquiétude-là, il la gardait toutefois pour lui. D'une part, il trouvait qu'Isaac avait bien assez d'informations à avaler pour l'instant. D'autre part, ne pas tout lui dire lui permettait d'y réfléchir un peu plus posément et de garder à l'esprit que Stiles n'était pas ici juste parce qu'il se sentait seul. Derek devait se rappeler qu'il était aussi là pour être protégé et ce, même s'il n'en avait pas conscience. Or depuis son arrivée, c'était une chose à laquelle il savait ne pas penser assez. Ils se concentrait sur son bien-être, ce qui était une bonne chose, mais... Il ne devait pas baisser sa garde pour autant.

- Qu'est-ce que tu en penses ?

La voix d'Isaac ne trahissait pour ainsi dire rien de son ressenti. En fait, elle était si ferme et si clair qu'elle sortit efficacement Derek de sa torpeur. Ses yeux bleu-vert mirèrent la table que le mordu pointait. Il en inspecta les quatre angles qui venaient d'être arrondis, dans le but de traquer la moindre irrégularité, la moindre petite écharde. Si le résultat lui paraissait satisfaisant, il décida cependant de prendre quelques précautions supplémentaires en indiquant ceci à Isaac :

- Un peu plus et ce sera parfait.

Le jeune homme leva un pouce en l'air et se remit au travail. De son côté, Derek alla dans une toute autre partie du loft. Le matelas de Stiles ? Il l'avait poussé, déplacé un peu plus loin. A sa place, des planches et divers matériaux et outils dont il allait très vite avoir besoin. Il risquait d'avoir besoin de l'aide Isaac – c'était même certain – mais il pouvait déjà commencer de son côté, histoire de gagner du temps.

Un matelas seul, même épais, n'était pas des plus pratiques lorsque l'on n'y voyait pas. Il fallait avancer, tâtonner tout en sachant qu'il faudrait chercher à ses pieds et non à sa hauteur. Evidemment, il s'agissait d'une solution que Derek avait trouvée pratique pour le début... Tout simplement parce qu'il n'était au départ pas prévu que Stiles passe du temps chez lui. Mais Noah et lui avaient discuté et... Pour l'instant, c'était la meilleure chose à faire. Le shérif ne pouvait réduire ses heures et Stiles... Stiles était seul. Aveugle et, pour l'instant, dépendant de la présence d'autrui. Derek ne s'inquiétait pas : cécité pouvait rimer avec autonomie. Simplement, apprendre prendrait du temps et ça, il fallait que Stiles l'accepte. L'alpha, connaissant l'énergumène, savait que celui-ci arrivait toujours à ses fins. S'il voulait gagner en autonomie et à terme, se débrouiller complètement, il y arriverait. L'hyperactif était du genre têtu et, il fallait l'avouer, c'était quelque chose qui lui avait souvent rendu service. Pour le coup, c'était une chose que Stiles devait conserver tant elle pouvait lui être utile. L'entêtement était sans doute ce qui le sortirait de l'humeur mauvaise qui le guettait chaque jour. Au moins, cette parenthèse avec son père lui faisait du bien – de ce que lui en disait le shérif de temps à autres.

Si Derek n'était pas le plus doué qui soit en bricolage, il avait suffisamment de bases pour faire quelques petites choses, dont ce sommier qu'il savait on ne peut plus nécessaire au confort de Stiles. Disons qu'il continuait de vouloir rendre sa vie plus facile, de l'aider plus ou moins consciemment à s'adapter à une situation qu'il peinait lui-même à imaginer. Se retrouver privé de la vue du jour au lendemain... Il ne pouvait que se demander comment Stiles prenait véritablement la chose. En soi, il le savait grâce à son odeur, mais jamais il n'aurait l'occasion de se faire une idée précise de la chose.

Paradoxalement, cela le motiva.

Parce qu'il connaissait Stiles et si ce dernier n'acceptait probablement pas encore son handicap, il ne se laissait pas abattre pour autant. Alors oui, il cherchait à aller trop vite, à brûler les étapes : mais il avançait, déterminé à ne pas se laisser tomber dans un gouffre qu'il savait sans fin.

Et Derek pensa à ce courage, à cet entêtement qu'il trouvait autrefois si stupide.

Une bonne heure plus tard, Isaac vint l'aider sur le sommier.

Têtu à sa manière, Derek se donna à fond, écoutant la moindre remarque du mordu. Il comptait faire du loft un endroit pratique et agréable pour l'humain et si les raisons qui l'animaient étaient floues, elles étaient suffisantes pour garder sa motivation intacte.

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