Chapitre 16


Stiles avait toujours plus ou moins fait confiance à Derek et il savait que la chose était réciproque. S'il avait parfois été capable de lui confier sa vie pour la simple raison qu'il n'avait pas eu le choix, lui confier son existence... C'était une autre histoire et oui, pour lui, il y avait une nuance. Stiles dépendait littéralement de Derek pour tout, ou presque. Il devait faire appel à lui pour se déplacer, pour aller dans la cuisine, la salle de bain, où encore aux cabinets – à ce moment-là, Derek avait la présence d'esprit de sortir, Stiles se débrouillait. Les repas ? C'était toujours Derek qui s'en occupait : avec sa cécité, Stiles avait l'impression d'avoir oublié l'intégralité du loft et de son arrangement, alors même qu'il connaissait pourtant autrefois la localisation de chaque objet du quotidien, chaque placard. L'hyperactif cachait sa frustration comme il le pouvait. En essayant de relativiser. En faisant davantage attention à ses propres sens. En faisant de son mieux retenir le nombre de pas adéquats pour aller de telle pièce à telle pièce. En tentant de reconnaître les pièces en elles-mêmes. Pourquoi était-ce aussi difficile ? Stiles n'avait pas l'impression d'avoir autant ramé chez lui. Alors pour quelle raison peinait-il autant à mémoriser l'organisation du loft de Derek ? Pourquoi ses souvenirs étaient-ils si flous ? Bordel, il y passait un temps pourtant monstrueux, avant de perdre la vue ! Alors voilà, c'était stupide. Stiles se sentait stupide. Mais pour éviter de devoir faire subir à Derek une discussion qu'il jugeait personnellement inutile, l'hyperactif choisit de tout simplement redoubler d'efforts. Se renfermer sur lui-même, dans un sens. Tout en restant « ouvert » ou du moins, en ayant l'air de continuer d'avancer sur le chemin de l'acceptation. Nul doute que Derek finirait par s'en rendre compte mais à ce moment-là, Stiles commencerait sans doute déjà à aller mieux. Ce n'était qu'une question de temps.

Puis il y avait autre chose qui l'énervait. Il n'arrêtait pas, lors de ses essais en solitaire, de se prendre chaque putain de coin de meuble. Et comme un meuble, ça avait des coins en angle, il se faisait toujours quelque chose. Stiles ne voyait rien, mais il sentait les bleus légers qu'il se faisait. Comble de la honte et de la frustration, Derek finissait toujours par débarquer et avorter ses tentatives d'apprentissages. Il lui disait de l'attendre et de prendre le temps au lieu de se précipiter comme un idiot. Stiles hochait la tête et rétorquait qu'il n'était pas stupide : juste têtu, opiniâtre.

- Tu restes idiot, lui répétait Derek sans aucune retenue.

Stiles ne le prenait jamais mal. En un sens, il voyait en l'ancien alpha l'image de cet homme qui ne changeait pas et restait le même malgré sa condition à lui. Il ne le traitait pas avec pitié, ni déférence. Il l'aidait, tout en le recadrant lorsqu'il considérait qu'il en faisait trop. Qu'il se montrait inconscient. Forcément, l'hyperactif y voyait là un certain repère. Quelque chose qui restait constant. Derek n'imaginait pas à quel point son caractère de merde était rassurant. Parce qu'il râlait – souvent – après Stiles. Parce que celui-ci ne faisait pas assez attention. Parce qu'il se lançait parfois dans des tâches rendues ardues dans son état sans demander d'aide. Parce qu'il avait essayé de prendre les escaliers et qu'il avait manqué de tomber. Parce que, merde, cet humain stupide lui faisait peur lorsqu'il s'approchait du bloc rassemblant ses différents couteaux de cuisine. Pas que Stiles ait une quelconque idée morbide derrière la tête : en fait, il essayait souvent de couper fruits et autres aliments pour « faire gagner du temps à son Sourwolf national ». Sauf qu'il finissait toujours par saigner. Parce qu'il n'y voyait plus. Parce qu'il y allait sans réfléchir. Sa maladresse et son empressement ne lui apportaient rien, sauf des blessures.

Cette fois-là ne fit pas exception et Stiles, transporté dans la salle de bain, n'eut pas l'audace de tenir tête à Derek. Il n'en avait pas envie. Puis il fallait avouer que la paume de sa main le piquait réellement. A quel point s'était-il coupé, cette fois ? Le profond soupir que poussa Derek fut sans équivoque. En tout cas, c'était suffisant pour qu'il l'emmène directement devant l'armoire à pharmacie plutôt qu'il amène celle-ci à lui.

- C'est pas si profond que ça, finit-il par lâcher d'une voix rauque.

La voix d'un jeune homme qui ne parlait plus beaucoup. Qui se faisait discret... Ou qui essayait. Parce que ses nombreuses tentatives d'indépendance brillaient par leur indiscrétion. De toute façon, comment comptait-il faire pour se donner l'air invisible alors que son hôte n'était rien de moins qu'un loup-garou ? Si cette espèce surnaturelle n'était pas dotée d'un odorat surdéveloppé, d'une ouïe surdéveloppée, d'un instinct... Surdéveloppé, Stiles aurait pu faire illusion et réaliser ses petites tentatives dans son coin.

- Stiles, tu ferais mieux de te taire, le prévint gentiment Derek.

Comme pour se venger du fait que l'hyperactif continuait d'essayer de faire le chaud alors qu'il n'y voyait rien, le loup-garou choisit de ne tout simplement pas le prévenir lorsqu'il désinfecta sa plaie. Stiles grimaça et poussa un couinement pitoyable : Derek l'ignora et ne fut pas des plus doux avec lui. Pas qu'il ressente quelque rancune que ce soit, simplement... Il avait à cœur de commencer à lui faire comprendre qu'il devait commencer à agir selon sa condition. Il était humain, il pouvait se blesser et c'était d'autant plus vrai depuis qu'il avait perdu la vue. Logiquement, ses gestes étaient plus gauches, plus imprécis et Stiles n'était pas aveugle depuis assez longtemps pour avoir acquis une nouvelle maîtrise de son espace et de ses membres. Le problème avec lui ? Il cherchait à aller plus vite que la musique – comme toujours. La patience de Stiles était relative et frôlait le zéro lorsque le souci le concernait lui. Cet humain manquait cruellement de sens. D'instinct de survie également – mais ça, ce n'était pas nouveau.

- Je ne sais pas faire, ça, rechigna l'hyperactif alors que Derek désinfectait consciencieusement sa plaie.

Elle était au creux de la paume de sa main et l'alpha se demandait encore comment l'hyperactif s'était débrouillé pour se blesser là alors qu'il essayait de couper des concombres. En entendant les mots du châtain, Derek haussa un sourcil. Stiles avait définitivement changé – sur quelques points du moins. Il venait à peine de prononcer ces quelques mots qu'il s'était déjà tu et laissait ses yeux décoratifs fixer le vide. Il ne parlait plus vraiment, et il disait ne pas savoir se taire ? Tout ce qu'il faisait, c'était tenter de meubler grossièrement le silence de temps à autres. Il ne faisait rien de plus. Et Derek commençait, au fil des jours, à comprendre ce que cela signifiait.

Le jeune homme était complexe, mais pas si difficile à comprendre, au final. Pressé, impatient. Hyperactif, hypersensible – Stiles ne l'avouerait jamais de lui-même, mais Derek n'avait pas besoin de ses mots pour savoir que son instinct lupin avait vu juste. Nerveux, apeuré. Le châtain peinait à s'adapter à son nouvel environnement et ça lui faisait peur. Par là, Derek n'entendait pas que le loft : Stiles tentait d'avancer comme il le pouvait alors même qu'il n'était clairement pas habitué à sa condition actuelle. Combien de fois l'avait-il entendu se plaindre concernant sa cécité ? Pas une fois. Et pourtant, il ne l'acceptait pas encore – le loup en était certain. De manière générale, il trouvait que Stiles brûlait les étapes. Cela ne faisait que quelques semaines et pourtant, il agissait comme si cela faisait des mois, sans le recul qui allait avec. Il était là le hic.

- Tu sais Stiles, si tu veux apprendre à te débrouiller, tu dois prendre ton temps, lâcha-t-il comme une évidence. Te laisser le temps.

Il s'agissait d'un conseil qu'il lui avait donné... Et que Stiles ne semblait pas encore prêt à appliquer.

L'hyperactif sembla réfléchir, ouvrit la bouche et déclama une dizaine de secondes plus tard :

- C'est long.

Clair et concis. Net et précis.

- Tout me paraît long, trop long.

Derek attrapa un rouleau blanc et commença à bander la main de Stiles. La blessure, bien que suffisamment profonde pour nécessiter des soins, n'était pas grave pour un sou. L'hyperactif pourrait continuer de bouger, ouvrir, fermer sa main sans problème, elle le piquerait juste un peu de temps à autres.

- J'ai plus la même perception du temps que toi, Derek, fit Stiles.

Le susnommé haussa un sourcil et le regarda, tout à fait conscient du fait que le châtain ne le voyait pas en retour. A nouveau, l'hyperactif comblait le silence parce que le loup-garou avait jugé bon de ne rien dire. Qu'aurait-il pu répondre à cela, de toute façon ?

- Comme tout est long, j'estime que le temps qui passe est suffisant, continua le fils du shérif. Pourquoi s'en laisser plus alors qu'il est étiré au possible ?

- Parce que tu en as besoin, répondit Derek du tac au tac.

Et il n'ajouta rien de plus car pour lui, c'était parfaitement clair. Beaucoup de choses se résumaient à cette simple affirmation. Stiles allait devoir s'y faire. Sa situation était rendue difficile par sa condition, et c'était exactement pour cela qu'il devait y aller en douceur, au lieu de foncer sans réfléchir. Ça passait encore quand il y voyait, mais plus maintenant que l'immonde voile anthracite avait élu domicile derrière ses paupières. Les choses étaient un tantinet différentes... Et Stiles devait commencer à faire attention à lui. A ce qu'il faisait. A ses gestes.

Stiles garda le silence et laissa Derek lui mettre un petit sparadrap pour éviter que le bandage ne se défasse, tout comme il le laissa le conduire à l'étage inférieur.

Par la suite, l'hyperactif fit tout ce que le loup-garou demanda en prononçant le moins de mots possible. Et s'il ne voyait toujours rien, il sentit aisément le regard du loup lui brûler la peau tout le reste de la journée. S'inquiétait-il pour lui ? Pas la peine.

Il était juste silencieux, il n'y avait pas à s'affoler pour ça.

xxx

Si Derek n'esquissa pas le moindre sourire, quiconque le verrait en cet instant saurait que ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Techniquement, il pouvait laisser ses lèvres s'étirer pour laisser le contentement s'afficher clairement sur son visage. Mais il n'en avait plus l'habitude depuis longtemps et ses sourires, mêmes légers, étaient rares. Toutefois, la journée commençait bien et le plan qu'il avait en tête promettait de fort bien se dérouler.

Le loup-garou avait eu le plaisir d'apprendre que Noah avait réussi à obtenir deux jours de congés, deux jours qu'il voulait bien évidemment passer avec son fils. Sans rien dire à Stiles qui dormait encore, Derek lui avait préparé un petit sac. Si l'hyperactif ne se plaignait pas de son séjour ici, le loup savait que son père lui manquait. Et il le comprenait. C'était pour cela qu'il avait demandé au shérif si celui-ci pouvait se libérer un peu. Il avait justifié sa demande par le peu qu'il avait réussi à déduire par rapport à l'état de Stiles et Noah, bien que perplexe, n'avait pas hésité une seule seconde. De toute manière, il savait que quelque chose clochait avec Stiles et Derek ne faisait que lui confirmer le fait qu'il avait raison de penser cela.

Alors il s'était libéré et allait arriver d'une minute à l'autre. Peut-être arriverait-il à faire parler l'hyperactif et à le convaincre de se laisser ce fameux temps qu'il ne s'accordait toujours pas – mais dont il avait pourtant toujours cruellement besoin. De son côté, il était certain que Derek allait profiter de l'absence de Stiles.

L'alpha jeta un coup d'œil au bel endormi et à son t-shirt légèrement relevé qui laissait entrevoir une hanche légèrement bleuie. Cette ecchymose-là, c'était à cause de l'angle de la table de la cuisine.

Pas de doute, Derek avait du pain sur la planche.

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