Chapitre 14


Stiles aimait bien la compagnie, mais celle-ci pouvait être perturbante lorsqu'il ne savait pas où elle se trouvait. Son hôte ayant toujours été quelqu'un d'extrêmement silencieux... Autant dire que ça ne l'aidait pas. Alors, il essayait de se concentrer sur son ouïe qui, si elle était humaine, semblait doucement se développer au fur et à mesure. C'était très lent et à vrai dire, il ne faisait pas vraiment attention à ses progrès. En fait, il mettait à profit tous ses neurones pour s'éviter de déranger Derek. Dans son cas, c'était extrêmement difficile et pas seulement parce qu'il avait autrefois l'habitude de l'asticoter.

Son principal problème restait celui qui lui pourrissait la vie depuis des années et qui le rendait si souvent agaçant aux yeux des autres : son hyperactivité. Sa cécité semblait même l'avoir empirée, dans le sens où il avait réellement du mal à s'empêcher de bouger alors que l'obscurité sans fin que ses yeux lui renvoyaient continuait de le terrifier. Alors forcément, Stiles n'arrivait pas à différencier les moments durant lesquels il devait se tenir à carreau de ceux où il avait le droit de se laisser un peu aller. De tapoter un objet quelconque à outrance. De bouger les jambes sans limite. De manière générale, il évitait de bouger, de se déplacer. Parce que, forcément, il ne connaissait plus vraiment le loft et marcher impliquait forcément le fait de déranger Derek. Alors, il le faisait le moins possible et se concentrait sur... Le peu de sons qui parvenait à ses oreilles. D'ailleurs, il trouvait complètement fou le fait qu'un si grand appartement soit aussi silencieux. Parfois, il arrivait à capter les pas de Derek. Et encore, ce n'était pas souvent. Stiles se fit la réflexion que l'expression « marcher à pas de loups » n'avait jamais aussi bien correspondu à une personne... Dans une autre vie, l'alpha avait dû être un fantôme, l'hyperactif ne voyait pas d'autre explication à cette discrétion infinie.

Alors forcément, Stiles sursauta lorsqu'il l'entendit l'appeler... De loin. Lui dire qu'ils allaient bientôt manger. Si partager un repas avec Derek Hale était inédit, cela ne le dérangeait pas. Non, le souci, c'était surtout... Enfin, Stiles était aveugle et même s'il savait toujours à peu près repérer ses membres dans l'espace – on lui avait au moins laissé ça –, ses gestes continuaient toutefois de se révéler plus imprécis qu'autrefois, donc forcément... Il eut rapidement peur de se ridiculiser. Naturellement, il se demanda brièvement s'il ne ferait pas mieux d'éviter de manger avec lui. D'attendre un peu. De prétexter une absence de faim ou une douleur passagère quelconque. Puis, il se souvint de la nature lupine de son hôte et de sa capacité à pouvoir percevoir et démanteler les mensonges. Sachant que n'importe lequel de ses stratagèmes serait réduit à néant par cet homme, Stiles ravala sa honte et s'empêcha de trouver un moyen plus plausible d'éviter le repas. Puis... Derek cuisinait pour lui, pour eux. Il le logeait chez lui gratuitement. Il s'était montré fort gentil à son égard. Définitivement, essayer de l'entourlouper serait lui manquer de respect et ça, Stiles ne le voulait pas. Mais alors, comment le remercier ? En se faisant tout petit et en essayant au mieux de ne pas attirer l'attention sur lui et donc, par extension, éviter au maximum de faire une bêtise quelle qu'elle soit. Ainsi, Stiles eut l'intelligence de ne pas essayer de se lever et de trouver la cuisine par lui-même. De toute façon, il ne savait même pas où situer le lit que le loup lui avait gracieusement installé et sur lequel il avait demandé à rester un moment, pour se reposer... Alors il indiqua vaguement à Derek qu'il avait besoin de son aide et attendit. Certes, il se voyait obligé de le déranger mais au moins... Il ne prenait pas le risque de casser quoi que ce soit – autant dire qu'il s'en voudrait s'il faisait quelque dégât que ce soit ici.

Au bout d'un temps qui lui parut court, Stiles sentit une certaine chaleur entourer doucement ses mains... Et il sursauta malgré lui. Parce que, comme toujours, il ne l'entendait pas venir.

- Tu pourrais... Faire un peu plus de bruit ? Histoire que je puisse te situer... Fit Stiles, gêné, alors que le loup l'aidait à se lever.

- Tu vas finir par m'entendre, répondit simplement Derek.

Un refus clair et simple à la Derek Hale qui parut si normal au jeune homme qu'il ne le releva même pas. En fait, il laissa simplement l'alpha le guider à travers ce qui était pour lui un agréable lieu de vie qu'il connaissait par cœur. Mais le loft n'avait plus de connu pour lui que le nom. Dans sa tête, des souvenirs, à la différence que les pièces ne s'agençaient plus aussi logiquement qu'autrefois. En fait, il n'arrivait plus à s'imaginer leur place précise : elles semblaient se mélanger petit à petit jusqu'à se mixer les unes dans les autres, semblables au reste de ses pensées particulières.

Stiles ne fut plus très sûr de ses appuis lorsqu'il trébucha comme un idiot. Evidemment, la poigne de Derek était si ferme qu'il n'eut pas à se soucier d'une quelconque chute : il eut tout juste à souffrir d'un léger déséquilibre.

- Doucement, tu cherches à aller trop vite.

- Oui ben... Je suis toujours hyperactif, maugréa le châtain, gêné.

Il sous-entendait par là le fait qu'il ressentait le besoin de bouger avec la même vivacité qu'autrefois. En soi, il le pouvait. Cependant, sa méconnaissance l'empêchait de se mouvoir à sa convenance et surtout, avec confiance. Alors oui, il forçait un peu les choses malgré lui, sans toujours s'en rendre compte.

- Laisse-toi le temps, entendit-il encore.

Bon conseil, songea ironiquement l'hyperactif, mais trop difficile à appliquer. Ne rien y voir, c'était... Trop particulier. Stiles avait toujours conféré une valeur précise au temps. Il faisait tout en fonction de ce seul concept mais sans la vue... Il ne savait plus ce que valait une minute, une heure. Ne distinguait plus le jour de la nuit. Même son sommeil ne lui paraissait plus naturel... D'autant plus qu'il avait l'impression de ressentir le poids de la fatigue en permanence. Sans doute ne dormait-il plus vraiment bien parce que son cycle de sommeil était complètement perturbé... Et qu'il ne s'était lui-même pas accordé énormément de temps pour se reposer réellement et en profondeur. En même temps... Il s'ennuyait. Il ne faisait plus rien. Le peu qu'il essayait de faire, eh bien... Cela ne suffisait pas à l'occuper suffisamment pour taire les immenses vagues de réflexions qui déferlaient sans arrêt sur lui. Alors, il s'épuisait tout seul. Mentalement. Stiles se savait-il victime d'un cercle vicieux qu'il était incapable de briser seul ? Pas vraiment. Tout ce qu'il essayait de faire, c'était juste... D'avancer malgré tout.

Mais comment faire un réel pas en avant sans accepter sa propre situation ? Parce qu'il était bien là, le problème. Le véritable problème.

Une agréable odeur de poulet parvint à ses narines et réussit à distraire l'hyperactif, assez pour couper momentanément ses réflexions intérieures.

- Tu vas aimer.

Était-il possible d'entendre un sourire dans la voix d'une personne ? Stiles eut envie de se dire que oui, histoire de ne pas se penser complètement dingue. Et en même temps... Pourquoi Derek sourirait ? De manière générale... Avait-il cuisiné pour lui ? Pour lui faire plaisir ? Oui parce que Stiles était un féru de poulet et il aimait autrefois le répéter à tort et à travers. Toutes les recettes pouvaient descendre avec une aisance folle dans son estomac tant il vénérait cela. Qu'importe la sauce, qu'importe l'accompagnement. Le poulet, ça passait toujours.

Alors évidemment, il suivit plus aisément Derek qui le guida avec lenteur et patience jusqu'à l'aider à s'assoir à table. L'odeur se fit plus forte et happa complètement l'hyperactif... Qui entendit alors un souffle de nez. Léger. Quasi inaudible. Mais il n'y fit pas vraiment attention.

- Tu as besoin d'aide ou tu peux t'en sortir seul ?

La question, un peu abrupte, ramena brutalement Stiles à la réalité. Et même s'il eut soudainement peur de se ridiculiser, il baragouina quelques mots, faisant comprendre à Derek qu'il pouvait fort bien se débrouiller tout seul. Alors, il fut extrêmement précautionneux et limita ses gestes au maximum.

Et la saveur si particulière du poulet au curry accompagné de riz collant suffit à réchauffer son cœur l'espace d'un instant qui s'étendit encore et encore. En mangeant, Stiles s'imagina manipuler le temps, l'étirant à sa guise pour faire durer ce repas beaucoup trop bon pour ses papilles gustatives.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top