Chapitre 12
Les doigts de Stiles étaient collés au siège sur lequel il était assis. Jamais auparavant il ne s'était attardé sur le cuir de la Camaro. Ce qu'il aimait bien dans cette voiture, c'était sa forme, son design, ses lignes finement pensées. En réalité, il appréciait le véhicule en lui-même, sans jamais prêter une attention démesurée à son intérieur. Ce qu'il en retenait autrefois, c'était simplement que tout était bien agencé et épuré. Mais là, il se rendait compte que les sièges étaient agréables à toucher, le tableau de bord aussi. En fait, il passa son trajet à redécouvrir la voiture sous un autre angle. Redessina chaque forme de ce à quoi il avait accès. Tâta chaque texture, la détailla dans sa tête, essayant d'en retrouver l'image parmi ses souvenirs. Et c'est là où il sut que les choses ne seraient pas faciles. Parce que déjà, ce n'était plus aussi net qu'avant. Stiles se concentra. Fit de son mieux pour se représenter l'intérieur de l'habitacle aussi précisément que possible. Son cœur se serra.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
La voix de Derek, qu'il s'avait pourtant installé à côté de lui au poste de conduite, lui semblait venir d'ailleurs, de nulle part. Stiles eut l'impression d'avoir un vertige et se cramponna à son siège. Il savait qu'il n'allait pas tomber, néanmoins... Il y avait des moments où sa cécité lui faisait perdre tout repaire dans l'espace. Cette fois-ci en faisait partie. C'était comme s'il ne savait plus où il était, où devait initialement se trouver Derek, la Camaro, et tout le toutim.
- Je suis juste... Nostalgique, éluda l'hyperactif.
Pas qu'avouer son ressenti le dérangeait réellement. Disons qu'il ne voulait pas plomber Derek plus que nécessaire alors que le loup se montrait des plus adorables avec lui. L'alpha avait eu l'excellente idée de parlementer avec son père pour le prendre au loft, histoire qu'il ne soit pas seul la journée. Noah avait accepté, pour la simple et bonne raison qu'en ce moment au poste, c'était le rush et il rentrerait le soir de plus en plus tard. Alors, le shérif avait jugé bon d'accepter la proposition du loup d'héberger l'hyperactif... Pour une durée pour l'instant indéterminée.
- Triste, le corrigea Derek. Tu es triste.
Stiles ne desserra pas sa prise sur le siège et serra la mâchoire. Oui, forcément. Derek ne pouvait que sentir ses émotions. L'hyperactif ne put alors s'empêcher de demander :
- Vous, les loups, ça vous arrive d'ignorer ce que vous sentez dans les odeurs des autres ? De choisir de ne pas y faire attention ?
Il y avait là de la curiosité avec une pointe d'agacement. Stiles n'aimait pas être aussi transparent, surtout en se retrouvant ainsi diminué. Il attendit, un peu trop à son goût, puis la voix du loup surgit à nouveau :
- Dis-moi, quand tu entends quelque chose, est-ce que tu t'en prives ?
Stiles comprit ce qu'il voulait dire juste en entendant sa propre question reformulée par Derek, qui explicita :
- Pour nous, la perception des émotions est une extension de l'odorat. C'est un sens. Si tu choisis de te priver de l'un, tu te prives de l'autre. En somme, tu diminues ton champ d'observation et par là même, ton champ d'action. C'est pareil dans ton cas : si tu entends un bruit et que tu en déduis quelque chose, ne pas l'interpréter te garde enfermé dans une case. Tu te prives de potentielles informations qui pourraient te servir à tout et n'importe quoi.
Stiles dut reconnaître la pertinence de ce raisonnement qui se tenait... Mais autre chose le turlupinait, n'entrait pas dans le moule de sa logique particulière.
- Ok, bon ça je peux comprendre. Par contre, en quoi sentir mes émotions te sert, concrètement ? Je veux dire, sentir que je suis triste, c'est pas une information capitale, un truc que tu pourrais utiliser donc ça, tu pourrais en faire abstraction.
Il venait de croiser ses bras sur son torse, lâchant enfin le pauvre cuir de la Camaro qu'il maltraitait de ses doigts depuis le début du trajet. A savoir depuis quand ils étaient partis... Aucune idée. Ne pas avoir l'occasion d'observer le paysage déformait sa perception du temps et de l'espace. Techniquement, la route entre la maison Stilinski et le loft ne devait pas durer plus d'un quart d'heure. Beacon Hills n'était pas une ville titanesque, mais le trafic y était important. Feux tricolores et stops y étaient monnaie courante.
Encore une fois, la voix de Derek lui sembla sortir de nulle part.
- Sentir tes émotions me permet de savoir ce que tu ressens, de te comprendre.
Cette déclaration, si simple dans son idée, perturba Stiles qui, à nouveau, voulut enchaîner avec une question supplémentaire : « pourquoi faire ? » tant il y voyait peu d'intérêt, mais Derek ne lui laissa pas le temps de prendre la parole.
- Tes émotions m'aident à me mettre à ta place. Pas par rapport à ton handicap, s'empressa-t-il de préciser, juste au niveau du ressenti. Je peux comprendre par quelles étapes tu passes.
Stiles fronça les sourcils. Il pensa directement au statut d'alpha de Derek et une lumière s'alluma dans son cerveau : pas forcément la bonne, mais elle restait cohérente.
- Tu me considères vraiment comme un membre de ta meute, laissa-t-il échapper, troublé.
Pas qu'il en ait douté, en soi, mais... Si. En fait, il s'était toujours vu comme à part, une sorte de consultant au service de la meute. Ce n'était pas très reluisant, mais il fallait avouer que Stiles n'avait jamais réellement songé à son statut dans cette bande particulière. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il était là et qu'il apportait son aide à chaque fois qu'il le pouvait. De l'histoire ancienne, pensa-t-il amèrement. En tant qu'humain, il ne pouvait pas faire grand-chose, mais il apportait sa contribution au groupe. Et maintenant ? Maintenant qu'il était aveugle ? Il était inutile.
- Tu l'as toujours été, entendit-il.
Stiles eut alors un rire timide, mais amer. On ne le lui avait jamais dit et tout ce temps, il s'était cru un pied dans la meute, un pied en dehors. Sur un fil entre deux mondes : l'humain et le surnaturel. Mais le plus triste à ses yeux, c'était de l'apprendre maintenant seulement.
- Pour combien de temps encore ? Demanda-t-il, tournant la tête vers la vitre qu'il ne voyait pas.
Son monde était gris. Gris foncé, opaque. Aucune lumière ne passerait plus jamais au travers de ce brouillard éternel. Stiles n'éprouva pas la moindre haine envers ceux qui lui avaient fait cela : il était trop amer par rapport à la meute, et trop fatigué de n'avoir pas encore réellement accepté sa condition. Il était encore dans cette phase où il savait que sa vie avait pris ce tournant, mais qu'une partie de lui était persuadée qu'en attendant un peu... Les choses changeraient.
Au silence de Derek, il explicita :
- Je ne peux plus rien faire. Je ne suis plus utile à rien.
Au fond de sa gorge, une boule. Et dans sa voix, une hargne étouffée.
Soudain, la voiture s'arrêta. Le mouvement ne fut pas brusque mais Stiles, ne s'y attendant pas, sentit une angoisse sourde monter en lui. Il sentit du mouvement à sa gauche, entendit le claquement caractéristique de la portière. Il y eut le même genre de choses de son côté.
- Défais ta ceinture.
Stiles comprit doucement que Derek était passé de son côté et avait ouvert sa portière. Le cœur au bord des lèvres, il s'exécuta. Deux mains saisirent les siennes et le guidèrent pour le sortir de la voiture. Stiles était complètement crispé : il n'aimait pas ça. Il ne savait pas où il était, ni où Derek l'avait arrêté, s'il comptait le laisser là, sur un bord de route parce qu'il avait osé dire tout haut ce qu'il pensait tout bas... Mais ça serait idiot, réellement stupide de sa part dans la mesure où il avait discuté avec le shérif.
- Attends une seconde, lui intima le loup en le lâchant.
Et d'un coup, Stiles sentit un vide l'envahir. Il était debout il ne savait où, dans l'inconnu le plus total. Nouveau bruit de portière, des frottements, des pas. Les mains saisirent à nouveau les siennes. Il avança malgré lui.
- Ce qui fait d'une meute ce qu'elle est, c'est la cohésion entre ses membres, pas leur utilité, entendit-il enfin.
Au départ, Stiles ne réagit pas : il était concentré sur sa marche, qu'il essayait de garder droite et régulière. Puis, il fronça les sourcils, mais ne dit rien, car il avait l'impression que ce point de vue n'était pas censé s'appliquer à sa personne. A lui, un simple humain désormais complètement aveugle.
- Fais attention, il va y avoir des marches. Là, attention.
Ce que ne comprenait pas non plus Stiles, c'était patience dont Derek continuait de faire preuve. Outre le fait qu'il parlait sensiblement plus que d'ordinaire, il semblait... Doux avec lui, dans un sens. Ne se sentant pas à l'aise dès la première marche qu'il monta péniblement et presque à tâtons, Stiles resserra ses doigts sur les mains de Derek. Dans cette situation, il était vulnérable... Plus encore que ces derniers jours. Parce que cette fois, il devait le laisser le guider complètement et il détestait ça. Sur un terrain plat, ça passait encore, mais des marches... ?
- Doucement, lui intima Derek. Je te tiens.
Stiles réprima une remarque sarcastique, se concentrant sur ce qu'il sentait. Une nouvelle marche. Il montait, doucement. Chez lui, il arrivait à monter les escaliers, seul, car c'était différent. Puisque personne ne le voyait, il y allait soit à une vitesse démesurément lente, soit à quatre pattes. Pour descendre, il s'asseyait sur les marches... Toute une histoire. Ses doigts se resserrèrent à nouveau sur les mains chaudes de Derek.
Enfin, Stiles sentit que le sol était à nouveau plat et en déduit qu'ils avaient simplement monté les marches pour atteindre l'accueil de l'immeuble. Dans ses souvenirs, le hall s'ouvrait sur l'ascenseur qui leur permettrait d'atteindre l'étage vertigineux du loft. Il eut raison : Derek le guida et Stiles perçut un sol différent, ainsi que des bruits mécaniques. Alors que la cabine commençait à s'élever, l'hyperactif se crispa et ne lâcha définitivement pas les mains de l'alpha. Si ses yeux fonctionnaient encore, il aurait vu la peau du loup blanchir tant il les serrait fort à cause de son angoisse.
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