Chapitre 11
La nuit de Stiles ne fut pas des plus agréables, tout simplement parce qu'il enchaîna les cauchemars. Au beau milieu de la nuit, son père, à qui il n'avait rien dit de la visite de Derek, avait dû venir pour le calmer. Toutefois, il ne se douta pas que ses sombres rêves avaient un rapport avec sa cécité : des cauchemars, il en faisait déjà de manière régulière bien avant son enlèvement. De plus, Stiles avait eu assez de jugeote et de lucidité – il ne remercierait jamais assez sa rapidité d'esprit – pour lui raconter un tout autre rêve que celui qu'il avait fait. Ainsi, il préservait son père de l'horrible vérité, à savoir que Stiles était très loin d'accepter son nouvel handicap, même s'il faisait de son mieux pour s'adapter. L'une de ses craintes s'était d'ailleurs confirmée : à l'intérieur de son songe, les couleurs commençaient déjà à s'en aller. Pas complètement, mais elles avaient perdu leur vivacité.
Ainsi, ce matin-là, Stiles se leva avec un manque de motivation évident. Ses doigts tâtonnèrent jusqu'à trouver son téléphone sur la table de nuit, téléphone à qui il demanda l'heure et prit connaissance de la météo. Pour être honnête, l'hyperactif se trouvait l'air débile à énoncer toutes ses demandes à voix haute alors même qu'il était seul chez lui, son père étant déjà au travail. Il semblait demeuré, surtout que ledit cellulaire comprenait parfois ses mots de travers tant il parlait vite. Il se retrouvait alors à répéter ses différentes demandes en articulant de manière exagérée. Et puis entendre un androïde parler à une vitesse aussi lente qu'elle l'était actuellement lui foutait le cafard. Si seulement il existait dans ce satané machin une option pour accélérer le débit de parole de cette chose ! Ah et puis la voix enregistrée n'était pas agréable, un peu trop nasillarde. D'humeur maussade et réalisant qu'il allait devoir passer sa vie à utiliser cette chose immonde, Stiles sortit à tâtons de sa chambre. Il savait à peu près où se trouvait la porte, mais il lui arrivait de se prendre le mur d'à côté. C'était là que le « à peu près » avait son importance. Il songea qu'il allait falloir qu'il demande à son père de lui fournir une canne, histoire qu'il anticipe mieux les obstacles ordinaires et physiques, que ce soit de la maison ou de l'extérieur.
Stiles se figea un instant.
L'extérieur, oui.
Parce qu'il n'allait pas passer sa vie dans cet endroit, même s'il était pour lui un refuge, la maison dans laquelle il vivait depuis tout petit. Il faudrait bien qu'il sorte, à un moment ou à un autre. Qu'il revoie ses amis, qu'il tente de retrouver un semblant de vie, quelque chose de calme, de... Normal. Oui, techniquement. Après, entre penser à ces idées et à les réaliser, il y avait un sacré gouffre qu'il n'était pas sûr de pouvoir remplir, du moins pas avant un bon moment. De manière générale, il était partagé entre la sécurité toute relative de son foyer et du côté rassurant de sa solitude, et ce besoin de revenir à une existence un peu plus habituelle. Ce n'était pas que le regard des autres lui faisait peur, mais... Dans un sens si, un peu. Déjà qu'il ne faisait pas grand-chose au sein de la meute et que l'on n'écoutait pas la plupart de ses plans... Pas besoin de faire un dessin pour décrire son inutilité grandissante. C'était aussi pour cette raison qu'à la base, il ne voulait pas revoir les gens de la meute avant un bon moment. Parce que tout ça... C'était vachement compliqué à gérer séparément, alors ensemble... C'était tout autre chose. Pour être honnête, il avait besoin de temps. Il faisait déjà semblant devant son père alors il aimerait ne pas avoir à redoubler ses efforts devant ses amis. Une partie était capable de voir au travers de ses mensonges, mais il avait tant l'habitude qu'on fasse peu attention à lui que ce détail ne serait pas particulièrement gênant. La comédie fonctionnerait donc particulièrement bien.
Mais pas aux yeux de Derek Hale.
Il était venu le voir, restant avec lui des heures, discutant longuement. Stiles avait manqué de le blesser en lui tirant dessus, avant de tout lui raconter. Tromper les autres était possible, mais pas lui, surtout qu'il n'était pas du genre à faire l'autruche. C'était quelqu'un de franc qui ne s'embarrassait d'aucun artifice. Pour lui, seule comptait la vérité, qu'importe qu'elle soit plaisante ou non. Ainsi, il risquait de ne pas accepter sa comédie. Enfin, tout était possible. De manière générale, si Stiles continuait de passer son quotidien seul chez lui, le problème était réglé. Il ne leur manquait sans doute pas tant que ça, de toute façon. Il pouvait alors repousser leurs retrouvailles sans aucun problème.
Stiles soupira. Que faire, aujourd'hui ? Chaque activité potentielle lui paraissait être une épreuve à elle toute seule. Petit-déjeuner, c'était difficile. Se déplacer sans trop se cogner, c'était difficile. S'occuper – de manière générale –, c'était difficile. Sans doute s'habituerait-il à ce quotidien un jour, mais pour l'instant... Pris d'un élan triste, Stiles s'assit doucement sur le sol. Peu lui importait qu'il soit ridicule, recroquevillé sur lui-même au milieu de... Un soupir passa la barrière de ses lèvres alors que sa gorge se serrait. Il ne savait même pas où il était et ne savait pas s'il avait descendu les escaliers ou non. Il n'y avait pas fait attention, alors... Peut-être l'avait-il fait et si c'était le cas, il avait oublié tant il était ailleurs. Désemparé, l'hyperactif ramena ses jambes vers lui et les entoura de ses bras. Dans la maison, le silence régnait.
Sa solitude le faisait hurler intérieurement.
Mais allait-il s'en plaindre ? Non. Il était libre, alors... C'était tout ce qui devait compter. Il avait retrouvé son père, n'avait plus à angoisser, parce qu'il était... Plus ou moins... En sécurité. Il fallait qu'il arrive à son convaincre et il allait y arriver. Oui, à force, il allait y arriver.
Mais c'était si dur de se rassurer lorsque son monde était noir. Enfin, plutôt gris anthracite. La cécité n'était pas toujours faite de ténèbres de jais. Elle jouait parfois avec des nuances de gris, sans qu'il arrive toutefois à distinguer quoi que ce soit dans cet immense et sombre brouillard.
Stiles souffla. Soupirer, c'était déjà fait. Se motivant comme il le pouvait, il décida de s'activer. Se plaindre mentalement quant à sa solitude et sa condition n'allait pas le faire avancer d'un iota. Il avait perdu la vue, oui, mais la vie ne s'arrêtait pas là. Quoi qu'il en pense, il se devait de faire face. Sauf qu'au final, il ne fit pas grand-chose et sembla ce matin-là avoir perdu toute maîtrise de son environnement. Elle n'était que partielle mais les repères qu'il avait pris au fil des jours avaient l'air de s'être fait la malle. C'était comme s'il avait tout oublié, si sa maison lui apparaissait comme un nouvel endroit inexploré. Alors, il avança à tâtons et sursauta au moindre bruit, au moindre coin de meuble que frôla son pied. Il mit sa main dans sa poche et serra fort son cellulaire entre ses doigts. Ne pas le rappeler. La voix de Derek avait quelque chose d'apaisant, de rassurant, mais Stiles se refusa à le déranger comme il l'avait fait la fois dernière. Il ne pouvait pas l'embêter chaque fois qu'une angoisse sourde lui serrait les entrailles ou que la solitude lui donnait de drôles d'idées. Et puis d'abord, pourquoi lui nécessairement ? Penser à lui était un réflexe et pourtant... Ils n'étaient pas extrêmement proches. Pourquoi ne songeait-il pas plutôt à contacter Scott ou même son père, en cas de souci ? Pour le premier, il avait honte. Quant au second... Il devait continuer de maintenir son jeu pour le bien du shérif. Que ne ferait-il pas pour lui ?
Abattu mais ne s'autorisant pas la moindre expansion larmoyante, Stiles finit par se retrouver mollement affalé sur le canapé du salon. Techniquement, au vu de ses lacunes encore présentes quant à la connaissance de son environnement, Stiles devrait continuer de réapprendre la localisation de chaque pièce, chaque obstacle de sa maison. Il fallait que cela devienne un automatisme, jusqu'à ce qu'il sache à l'instinct combien de pas il lui fallait pour atteindre telle ou telle partie de son foyer, sans se prendre le moindre meuble. Un véritable défi qu'il devait relever, mais qu'il ne se sentait pas la force d'accomplir pour l'instant. Nouveau soupir. S'adapter était un joli, très joli mot. Le mettre en application, c'était une toute autre histoire. Les journées n'étant pas infinies, Stiles savait qu'il devait commencer à se mettre au travail avant que son père ne rentre. S'entraîner en son absence était rassurant, parce qu'il pouvait faire des erreurs sans aucune pression. Noah ne lui en voudrait pas de se prendre un coin de meuble dans la hanche, au contraire : il avait toujours été du genre patient, d'autant plus qu'il l'aiderait sans aucun problème, mais... Stiles refusait cela. Il ne devait pas paraître plus faible qu'il ne l'était. Pas devant son père en tout cas. S'efforçant de faire quelque chose de sa vie et, par la même occasion, de soulager son hyperactivité, Stiles prit sur lui et se leva.
Là, il se figea.
Parce qu'il n'avait aucune idée de ce par quoi il pouvait commencer, de ce qu'il était censé faire. Y avait-il une méthodologie à adopter ? Un guide pour l'adaptation à son nouveau handicap ? Est-ce que ce qu'il avait commencé à faire dès son retour chez lui était bien ? Ne s'y prenait-il pas à l'envers ? Son souffle se coupa alors que la bouffée de stress l'envahissait avec une lenteur suffocante. Son cœur s'emballa et Stiles ressentit le besoin de... Toucher quelque chose. Avoir un repère physique. Puis, le désir de retourner dans son lit le prit. Que ne donnerait-il pas pour s'enrouler dans sa couette et rester là, toute la journée ? Il n'était pas obligé de faire tout ça, de se forcer à réapprendre la géographie de sa maison, encore moins de connaître par cœur chacun de ses recoins.
Il avait le droit à l'erreur.
Mais son père... Je ne peux pas le décevoir. Noah pensait qu'il s'en sortait. Il lui faisait confiance. Stiles déglutit. Oui, il avait droit à l'erreur... En son absence. Lorsqu'il rentrait, il se devait d'être irréprochable. Néanmoins... Comment l'être alors que son moral, déjà plus qu'instable, était littéralement en train de s'effondrer ? L'on ne pouvait même plus parler de motivation à ce stade-là. Il n'en avait pas vraiment. Il survivait, sauvait les apparences.
Clac, clac. Clac.
Stiles se figea. Se retrouver privé de la vue l'obligeait à faire un peu plus attention à ses autres sens – ici, l'ouïe. A défaut de pouvoir la développer, il y accordait davantage d'importance et... Il s'affola. Parce qu'il avait reconnu le bruit de la serrure de la porte d'entrée, qu'on venait de déverrouiller. Merde, son père était-il déjà rentré ? Comment ? Pourquoi ? Mais enfin... Avait-il pris un jour de congé pour rester avec lui ? Stiles ne fut pas heureux de cette possibilité, alors qu'il aurait dû l'être. Retrouver son père était en général un plaisir, quelque chose qu'il adorait. Mais il n'était pas prêt. Si Noah arrivait, là maintenant, il découvrirait le pot-aux-roses, verrait que Stiles n'allait pas aussi bien qu'il le prétendait. Il remarquerait alors ses gestes maladroits, un peu hasardeux et constaterait qu'au final, il n'avait pas si bien mémorisé la maison que cela. Alors, il comprendrait et s'effondrerait lentement, mourrait à petits feux. Stiles connaissait parfaitement les fragilités de son paternel et savait que son moral pouvait ne tenir qu'à un fil. C'était pour lui qu'il essayait, pour lui qu'il faisait tout ça. Alors, il se rasséréna comme il le put et passa une main dans ses cheveux. Il suffisait qu'il contrôle ses émotions, qu'il ne laisse pas entrevoir son trouble. S'il arrivait à faire illusion à ce niveau-là, le reste irait. Il le fallait.
Stiles entendit les bruits de pas, les entendit tout autant qu'il les sentit se rapprocher. Sa bouche s'assécha, sa gorge se serra. Il devait tenir bon sachant que son père avait pénétré dans le salon, mais... Bordel, l'envie d'exploser restait là, tenace. Il n'était pas prêt à ce qu'il rentre aussi tôt, bordel ! Il n'avait pas eu le temps de réellement se mentaliser, de... Attends une minute. Il était là, dans le salon, mais il n'avait encore rien dit, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Stiles fronça les sourcils et la confusion chassa un instant le tumulte de ses émotions, avant que la peur ne naisse, doucement.
- Qui est là ? Articula-t-il.
Et en même temps, poser la question était idiot. Seul son père possédait les clés de la maison. Stiles gardait le double dans sa chambre.
- Détends-toi.
Le cœur de l'hyperactif rata un battement. Quoi ? Qu'est-ce que... Le soulagement l'envahit avec une puissance folle, à tel point qu'il manqua de chanceler.
- Mais comment t'es entré ? Souffla Stiles, incrédule, la peur retombant doucement. J'ai entendu la clé... Mon père est là, avec toi ?
Poser la question lui semblait complètement stupide et pourtant il savait qu'elle était légitime. Aveugle, il devait se reposer sur son ouïe, uniquement son ouïe. Il avait beau avoir l'impression d'entendre mieux, ce n'était pas encore ça et il peinait parfois à distinguer certains bruits d'autres nuisances. Ainsi, il n'avait pas réussi à deviner si les bruits de pas étaient ceux d'un seul homme, ou de deux. Ils avaient été si légers... Et il devait garder la face. Au cas-où. Juste au cas-où le shérif apparaitrait derrière Derek, ce qu'il était incapable de voir. Être dans l'inconnu... Il détestait ça. Ne pas savoir ce qu'il pouvait hypothétiquement se passer autour de lui. Être ignorant, impuissant, dans une position de vulnérabilité extrême.
Il était terrifié.
- Ton père travaille. Il m'a passé un double de vos clés, répondit Derek.
Stiles l'entendit faire quelques pas et se rappela, dans le même temps, qu'ils possédaient effectivement un troisième exemplaire. Un troisième qui, autrefois, servait, et qu'ils gardaient... Au cas-où, pour ne pas dire qu'ils refusaient de s'en séparer. Savoir que Derek le détenait fit tout drôle au jeune homme qui ne sut pas réellement quoi en penser. Néanmoins, cela n'effaça pas sa peur, n'atténua pas les frissons glacés cachés par sa veste. A nouveau, il entendit des pas se dirigeant dans sa direction. S'empêchant de reculer à cause de cette terreur injustifiée, Stiles demanda :
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
Ce qu'il détestait ne pas voir ce qui l'entourait... Bordel, Stiles savait qu'il pouvait avoir confiance en Derek, néanmoins... Il donnerait beaucoup de choses pour voir l'expression de son visage, juste pour avoir une idée de ce qu'il pensait. La vue, c'était tout ce qu'il avait pour analyser ses comparses. Maintenant, ne lui restait plus que l'ouïe, pour se situer et entendre Derek se rapprocher, encore... Stiles sentit très distinctement une main se poser sur son épaule et même s'il était au courant qu'il s'agissait de celle de Derek, il ne put s'empêcher de se crisper. Son cœur s'emballa. Il détestait définitivement ne pas pouvoir voir ce genre de choses arriver. C'était... Sympathique, agréable, mais... Il en était chaque fois surpris.
- Détends-toi, entendit-il à nouveau.
Comment tu veux que je me détende dans ces conditions ? S'insurgea mentalement Stiles qui, malgré tout, fit des efforts pour l'écouter et... Se décrisper. S'il y avait bien une chose qu'il savait, c'est que Derek ne lui voulait pas de mal malgré leur passif un peu... Tumultueux. L'alpha avait un bon fond. A vrai dire, l'hyperactif avait toujours su qu'il n'avait jamais été mauvais. Ses manières étaient juste un peu brutes, parfois maladroites. Un peu comme lui, dans un sens. Pouvait-on dire qu'ils se ressemblaient ? Oui, d'une certaine manière. Et d'un coup, juste comme ça, Stiles eut envie de se laisser aller malgré tout ce qu'il s'était dit. Sans même qu'il s'en rende compte, son souffle redevint normal et les battements de son cœur, calmes, réguliers.
- T'es venu me rendre visite ? S'entendit-il demander.
Que la réponse du loup soit positive ou négative, peu lui importait. Il était là et c'était très gentil de sa part. A sa manière, il le stabilisait, lui permettait de penser à autre chose et de lâcher un peu la bride. Après tout, Stiles avait déjà pleuré dans ses bras : il lui avait notamment fait le récit de son mois infernal et fait part de ses ressentis. Si Derek était revenu, c'était super, quel que soit son motif. Au moins, son cerveau se reposait pendant ce laps de temps incertain et Stiles ne pouvait que lui en être reconnaissant. La main de Derek, toujours sur son épaule, se déplaça légèrement. Stiles retint inconsciemment son souffle. La voix du loup, presque irréelle, parvint à ses oreilles avec une clarté des plus nettes.
- Je suis venu te chercher.
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