Chapitre 10
Stiles souffla un bon coup. Ça y est, il était seul. La sensation qui parcourait son corps était étrange. Dès le départ de Derek, la maison lui avait semblé perdre deux pauvres degrés qui le faisaient frissonner depuis déjà une bonne heure. Avant cela, ils avaient longuement discuté et pour être honnête, l'hyperactif n'aurait jamais cru se livrer, surtout se confier à Derek, encore moins sur le sujet de sa captivité. Mais en soi, ce n'était pas si surprenant. C'était même complètement logique. Cette histoire qui avait complètement bouleversé sa vie le détruisait à cause du silence qu'il s'était s'imposé. S'il n'en parlait pas à son père, c'était pour ne pas le détruire, mais Derek... Était capable de beaucoup plus de recul. Noah était policier et avait certes assisté à beaucoup d'horreurs dans sa vie, horreurs qui lui avaient fait plonger le nez dans nombre d'affaires sordides, mais... Là, il s'agissait de son fils. Stiles était objectif et ne pouvait être qu'au fait de l'évolution de la santé mentale de son père, qu'il savait fragile en un sens. Pour l'instant, elle était plutôt stable, mais demain ? Après-demain ? Dans un mois ? Chaque jour qui passait pouvait le faire basculer et replonger à nouveau dans les affres de l'alcool, des ténèbres qui l'attendaient toujours. Noah n'était pas guéri de son addiction, il était en quelque sorte en rémission. Le fait qu'il n'ait pas eu l'air de craquer le mois de sa disparition – selon les dires de Melissa, qui l'avait surveillé – l'avait passablement surpris et il reconnaissait là la droiture de son père qui avait, de lui-même, tout fait pour résister. Alors, Stiles ne ferait rien qui pourrait aggraver la situation, le pousser dans ce gouffre d'où il serait difficile de le faire sortir. Chaque rechute rendait le chemin de la guérison plus difficile à emprunter, moins praticable.
Ainsi, lorsqu'il rentrerait, Stiles ferait comme si de rien n'était, avec toute fois le cœur un peu plus léger. Parler n'allait pas effacer ce qui lui était arrivé, mais cela lui avait quand même fait du bien parce que... Merde, c'était sorti de lui et son histoire semblait plus... Concrète. Ce n'était pas juste quelque chose dont il se souvenait. C'était quelque chose qui était arrivé et ça changeait tout. Ce qui l'aidait également à se détendre, c'était de savoir que Derek l'avait cru. Honnêtement, Stiles n'avait pas de doute quant à ce fait : l'alpha était du genre franc et l'avait toujours été. Si quelque chose tiquait à ses yeux ou le dérangeait, il le disait. Alors oui, son côté ronchon donnait l'impression d'un homme renfermé qui n'écoutait que lui-même mais l'hyperactif savait que ce n'était pas le cas le moins du monde. Derek faisait partie de ces gens qui parlaient peu, s'exprimaient peu, montraient peu. Par-derrière, ils voyaient, observaient, analysaient. Stiles s'amusa en songeant au fait qu'il s'agissait d'un loup avec des yeux de lynx tout en sachant que Derek n'apprécierait pas être comparé à un félin.
Tout en réfléchissant longuement à tout cela, Stiles marchait, explorait sa maison comme il commençait à en avoir l'habitude, tout en faisant attention. Il continuait de mémoriser l'emplacement des meubles, de se souvenir autant que possible des couleurs de chaque objet. Couleurs qui s'affadiraient progressivement dans son imaginaire avant de complètement disparaître. Comment se ferait-il l'image des choses, après ? Il n'en avait aucune idée et n'était pas pressé de le découvrir le moins du monde. Toutefois, il était conscient de devoir s'y habituer. La vie ne s'arrêtait pas là pour lui, même si l'avenir lui paraissait flou, voire difficilement surmontable.
Ses doigts prenaient leur temps, touchaient chacun des meubles, s'imprégnaient de la texture du bois, du papier peint des murs, de matières qu'il avait à cœur d'identifier. Stiles avait toujours eu la fâcheuse tendance de vouloir tout faire et surtout, trop vite. Il avait l'impression de n'avoir jamais assez de temps, que chaque seconde perdue serait irrattrapable, qu'il paierait un jour le prix de son oisiveté. Son handicap le forçait à considérer les choses différemment, à les considérer sous un autre angle, un peu différent. Il se devait d'accepter que le temps perdu le serait indéfiniment, mais que ce n'était pas grave, sa vie n'allait pas s'arrêter du jour au lendemain à cause de ça et que le monde ne s'arrêterait pas de tourner pour si peu.
Parfois, il arrivait que des évènements changent, voire bousculent notre vie, et nous obligent à nous adapter. C'était exactement ce que vivait Stiles. Toutefois, il jouait un double-jeu qui pouvait s'avérer dangereux s'il ne dosait pas. Lorsque son père était là, il se devait de faire comme si tout allait bien, qu'il avait accepté d'avoir perdu un sens. Cela donnait une image particulière de lui, l'image de quelqu'un de courageux, un jeune homme en pleine construction qui faisait preuve d'une abnégation impressionnante. Mais il n'en était rien. Stiles était terrifié. La vue, c'était tout ce qu'il avait et le sens qui, à son avis, était le plus important. Sans lui, il n'était rien. S'il ne voyait pas le danger arriver, comment faire pour l'éviter ? Ce n'était pas possible. Il poussa un soupir tremblant. Si tout à l'heure, cela n'avait pas été Derek... Oui, et si quelqu'un d'autre que lui s'était introduit dans la maison, qu'aurait pu faire l'hyperactif ? Rien.
Cette pensée le terrifia. S'il avait toujours été du genre à imaginer le pire et à avoir peur de pas grand-chose, sa nouvelle condition le plaçait ans une position légèrement différente, parce qu'il... N'avait plus vraiment les moyens de se défendre. En soi, avoir une arme à disposition – celle que son père lui avait laissé – le rassurait déjà un peu, mais pas suffisamment.
Et d'un coup, il éprouva une envie, si forte qu'elle se transforma un besoin et tâtonna dans la poche de son pantalon, en sortit un téléphone, lui dit de s'allumer. Son père avait brûlé ses économies dans cette technologie pour faire en sorte que la vie de son fils soit plus facile, plus agréable et ce, le plus tôt possible. Il savait que son petit hyperactif devait s'ennuyer, seul, la journée, alors il avait assez rapidement fait en sorte d'égayer un peu son quotidien. D'une voix tremblante d'appréhension, Stiles prononça un nom et donna vocalement à son téléphone l'indication de l'appeler.
Les sonneries qui retentirent par la suite furent interminables. Enfin, elles ne durèrent pas tant que cela, mais l'hyperactif eut bien du mal à tenir en place et à patienter. Il ne pouvait qu'imaginer les secondes qui s'écoulaient et puisqu'il peinait à avoir une mesure du temps exacte, elles étaient soit trop longues, soit trop courtes. Puis, il imagina quelque chose. Et s'il ne répondait pas ? S'il choisissait d'ignorer son appel ? Pire : en voyant son nom s'afficher sur son écran, ne se mettrait-il pas à douter de l'histoire qu'il lui avait racontée ? Stiles manqua de se ronger les ongles, mais se rappela qu'il avait toujours mis un point d'honneur à ne pas le faire dans sa vie. Il n'avait jamais trituré ses ongles de la sorte, alors ce n'était pas maintenant qu'il allait commencer. Toutefois, il fallait avouer qu'il avait bien du mal à gérer son stress montant, si bien qu'au final, il se demanda pourquoi la simple action d'appeler Derek le mettait dans un tel état. Le loup n'allait pas le manger, bien au contraire. Oui, il était parfois du genre à montrer les crocs, mais rarement à les utiliser tant qu'il n'en avait pas foncièrement besoin. Il se donnait un genre juste pour être tranquille mais au fond, il ne mordait pas, enfin pas vraiment.
Lorsqu'une tonalité inédite stoppa les sonneries, Stiles sentit son souffle se couper. S'il ne se trompait pas, cela voulait dire que...
- Stiles ?
La voix l'emplit de soulagement et il sentit son corps se détendre. Sans doute un peu trop, car il se laissa glisser contre un meuble, qu'il avait déjà repéré au préalable. Les tremblements qui parcoururent son corps étaient certes inaudibles, mais Stiles fut étrangement certain que Derek savait qu'il tremblait.
- Stiles, tout va bien ?
Ah. Il était vrai qu'il avait mis un peu de temps à réaliser... Et un peu plus à répondre. Un peu confus tout de même, il ne réussit qu'à balbutier ceci :
- Oui, oui je... Tout va bien.
Stiles eut envie de se gifler mais ne fit bien évidemment rien. Il était ridicule. Stressait pour un rien. Avait la voix qui tremblait. Et pourtant c'était juste... Derek. En plus, c'était lui et uniquement lui qui avait choisi de l'appeler, et non l'inverse. Alors pourquoi se sentait-il submergé par une forme d'angoisse.
- Comment tu as... Pu m'appeler ?
Derek ne cachait rien de sa surprise et Stiles s'en voulut : il avait oublié de lui parler de ce détail. Il prit d'un coup peur. Et si à cause de cet appel, le loup se mettait à douter de lui, de son histoire ? Mu par sa soudaine panique, l'hyperactif s'empressa de lui expliquer la particularité de son nouveau téléphone en lui expliquant de façon aussi détaillée que possible ce dont il était capable et la manière dont il fonctionnait. A la fin, Derek fut obligé de le stopper tant il l'abreuvait de détails parfois... Incompréhensibles. La technologie, ça n'avait jamais été son truc. Le jargon technique qui l'accompagnait, encore moins.
- Ne t'en fais pas, je ne remets pas ta parole en doute, si c'est ça qui t'inquiète. Je me demandais simplement comment tu avais pu te débrouiller, tenta de le rassurer le loup.
- Ouais, je... Pardon, balbutia l'hyperactif.
Il se confondit en excuses. L'angoisse avait été telle qu'il mettait un peu de temps à redescendre, à se calmer et son cœur commençait déjà à ralentir un peu. Ses tremblements continuèrent de secouer un peu son corps, mais avec moins de violence. Sans doute était-ce parce que Derek l'avait rassuré, ou bien parce qu'il avait une voix... Naturellement agréable à entendre. Son timbre grave et chaleureux l'aidait beaucoup sans même qu'il s'en rende compte, et avait peut-être participé à ses confessions un peu plus tôt dans la journée. Derek... Était un bon alpha. Un loup qui, malgré les apparences, connaissait son rôle et ne se vantait pas de sa puissance. Et malgré son statut d'humain, Stiles se sentait en sécurité lorsqu'il était là. Juste l'entendre... C'était déjà beaucoup.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Demanda le loup.
L'hyperactif ferma les yeux tant sa voix l'apaisait. Elle n'était pas seulement grave, elle avait ce truc qui l'apaisait avec une facilité stupéfiante. Était-ce une caractéristique spécifique aux alphas ?
- J'avais juste besoin d'entendre ta voix, répondit-il du tac au tac.
Parce que c'était vrai et qu'il n'avait pas le cœur à mentir. Il était dans une période où il ne s'embarrassait pas d'excuses, il préférait être honnête, sauf avec son père. Avec lui, c'était différent : il ne cherchait qu'à le protéger. Noah, accablé par le malheur tout au long de sa vie, n'avait pas besoin de soucis supplémentaires. Stiles persistait à croire que malgré ses progrès, le shérif avait son mental affaibli. L'enchaînement d'affaires surnaturelles, avec notamment son fils possédé par une entité durant quelques semaines, n'avait pas dû l'aider outre mesure...
- Tu voulais entendre ma voix, répéta Derek comme s'il n'avait pas compris.
- Oui, et si tu trouves ça bizarre, je m'en fiche, lâcha Stiles avec une franchise folle. C'est juste que... C'est pas rassurant d'être seul ici et... Je sais pas, de te parler, j'ai l'impression d'être en sécurité.
C'était étrange. Autrefois, faire ce genre de confessions au loup-garou lui aurait coûté, beaucoup coûté. Parce que Stiles n'était pas du genre à faire étalage de ses émotions, encore moins de ses problèmes. Il était toujours ce mec prêt à faire des blagues, à user du sarcasme comme d'une arme, éloignant ainsi l'attention de ses potentiels problèmes et préoccupations. Mais aujourd'hui... C'était si simple et libérateur...
- Ton père te laisse souvent seul ? Lui demanda Derek d'un ton qu'il ne chercha même pas à décrypter.
- Faut bien qu'il travaille, répondit tout naturellement Stiles.
- Et tu passes toujours tes journées de cette façon ?
- Ben oui, qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
Le loup, face à cette réponse, laissa un silence de plomb s'installer. Silence que Stiles s'empressa de briser, par peur que Derek ne trouve la situation trop inconfortable et qu'il mette prématurément fin à l'appel.
- Après, je ne m'ennuie pas. Enfin... Evidemment, c'est un peu flippant. Parfois, je ne sais pas si les bruits que je peux entendre sont le bois qui travaille, les canalisations qui sont bruyantes ou autre chose. Alors, j'essaie de pas y faire attention. D'un autre côté, j'apprends à me repérer, ouais, j'essaie de... D'apprendre la maison par cœur, en quelque sorte. De me débrouiller, aussi. L'autre jour, j'ai essayé de couper des tomates et...
Stiles se mit alors à lui raconter ses journées, pas des plus joyeuses, mais auxquelles il essayait de donner un côté gai, en lui faisant part de ses progrès, de ses différentes découvertes. Il fit de son mieux pour doser ses paroles, ne pas parler trop vite, histoire de ne pas perdre Derek. Se confier sur son quotidien sans avoir honte de ce qui dirigeait sa vie lui faisait du bien, vraiment.
Le fait que Derek ne cherche pas à l'interrompre le toucha énormément. Mais s'il savait qu'à l'autre bout du fil, un léger sourire avait pris place sur le visage habituellement dur de l'alpha, Stiles aurait pu affirmer sans problème qu'il s'agissait du plus beau jour de sa vie.
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