6 # A votre se(r)vice
Lorsque l'on est handicapé, on a le droit de faire intervenir chez soi ce que l'on appelle des auxiliaires de vie. Pour faire simple, ce sont des personnes qui vous aident à avoir un cadre de vie propre et décent, mais qui peuvent aussi vous épauler pour certains gestes du quotidien, notamment en ce qui concerne l'hygiène des soins particuliers. J'ai donc tout naturellement le droit à cette aide, en ma « qualité » (on a vu mieux comme qualité haha, enfin bon). Si sur le papier cela paraît absolument génial, en réalité, il y a beaucoup de choses qui ne se passent pas comme prévu...
Cela fait plusieurs années que je bénéficie d'une auxiliaire de vie. L'administration m'a alloué six heures par semaine, ce qui doit permettre à l'intervenante de faire plusieurs choses : le ménage, des repas à l'avance, les courses, des aides à l'hygiène, etc. Bien sûr, je décide de ce qu'il y a à faire tant que cela ne dépasse pas le cadre fixé. Mais par exemple, si ponctuellement j'ai besoin d'un shampooing, je suis en droit de le demander. Aussi, je peux demander à mon auxiliaire d'aller me chercher un colis dans un point relais s'il se situe près de chez moi. Bref, c'est vachement utile ! Voilà pour la théorie.
En pratique, les choses sont toutes autres. Hormis la première intervenante que j'ai eue chez moi, une femme exquise et très humaine répondant au nom de Diana, j'ai toujours eu des problèmes avec mes auxiliaires de vie. Il faut dire que Diana avait mis la barre très haut : toujours de bonne humeur, très sympa, dotée d'une grande empathie et surtout très respectueuse. J'insiste sur ce point car malheureusement, c'est loin d'être le cas la plupart du temps. Mais je vous expliquerai ça plus tard.
Vous allez me dire, « pourquoi ne pas avoir gardé Diana ? ». Tout simplement parce que l'entreprise qui l'engageait a déposé le bilan, et que j'ai dû me tourner vers une autre boîte. Diana, elle, a trouvé un autre emploi chez un particulier.
Je me retrouve donc à devoir m'organiser avec une nouvelle auxiliaire de vie, ce qui implique des choses pas forcément évidentes. Tout d'abord, il faut renouer une relation de confiance, car je ne vais pas donner un double de mes clés à n'importe qui (c'est quand même bien pratique quand je suis absent). Et la confiance, ça demande du temps pour être testé. Depuis que je suis avec cette nouvelle entreprise, je peux vous dire que j'en ai vu passer des intervenantes. Certaines très rapidement, d'autres moins, mais aucune ne m'a jamais donné satisfaction comme la première.
Imaginez la situation suivante : vous avez des courses à faire mais, handicapé, vous ne pouvez pas les effectuer vous-même. Vous devez donc confier une liste de courses à la personne en charge. En toute logique, vivant en France, vous ne vous dites à aucun moment que l'intervenante pourrait ne pas savoir lire le français, ni même le parler. Et bien ça m'est arrivé. Une personne très gentille, mais qui bafouillait le français et était incapable de le déchiffrer. Elle se retrouvait donc dans l'impossibilité de faire mes courses, mais en plus de cela, rien que lui donner des instructions quand elle était chez moi était très compliqué. Je ne sais pas dire « Il faut nettoyer la salle de bain » en portugais (oui ça fait extrêmement cliché de dire qu'elle est portugaise, mais c'est la stricte vérité...) ! Bien sûr, ce n'était en rien de sa faute, mais je ne l'ai pas gardé plus de trois semaines...
Là, je dois avouer que c'est un cas extrême et unique. Mais les cas plus fréquents ne sont pas forcément plus enviables pour autant. Il y a des auxiliaires qui ont la fâcheuse tendance à établir une espèce de relation mère fils simplement parce que vous avez l'âge d'un de ses enfants. Je suis désolé Mesdames mais je ne suis en aucun cas votre fils, je suis un adulte qui a des besoins et qui sait exactement ce qu'il veut, comment le demander et pourquoi. Comme on dit, « l'enfer est pavé de bonnes intentions ». Pour le coup, le sol était jonché de commentaires décalés et déplacés sur tout et n'importe quoi. Comment prendriez-vous un jugement actif d'une cinquantenaire maquillée comme une voiture volée qui qualifie un Enki Bilal encadré de décoration pour enfants ? Ou encore, celle qui se fend d'un conseil hilare et moqueur en me disant que mon salon faisait beaucoup trop geek et que les filles ne devaient pas aimer... ma chère Madame, vous avez le double de mon âge et ne semblez pas comprendre les gens de ma génération, aussi, votre avis, je le roulerais bien en boule et vous l'enfoncerais jusqu'au fond du duodénum.
Dans un autre style, j'ai pu faire connaissance avec des auxiliaires de vie qui confondent handicap physique et handicap mental. Pour une professionnelle, ça la fout mal... être en fauteuil ne signifie pas avoir des capacités intellectuelles réduites. Sur le même schéma, être handicapé ne signifie pas être dépressif, même si, sur ce point, je peux un peu plus comprendre leur cheminement de pensée. Il est clair que la plupart du temps, les auxiliaires de vie doivent composer avec des personnes plus ou moins isolées et seules, des personnes qui voient la venue de leur intervenante comme l'attraction du jour, comme l'un des rares moyens de se socialiser. En cela, les auxiliaires ont un rôle psychologique assez déterminant. Seulement, moi, j'ai la chance de ne pas avoir de problèmes de ce genre. Et au fond, même si ça me saoule toujours un peu d'être amalgamé dans la dépression, je suis quand même soulagé qu'elles tiennent à remplir leur rôle comme il se doit.
Pendant que j'y pense, il y a quelque chose qu'on ne peut pas prévoir avec les auxiliaires de vie : elles peuvent être l'instrument de blagues vaseuses de la part de mes amis. L'une des plus honteuses s'est produite avec Diana. Un de mes potes avait délicatement déplié une affiche porno dans ma salle de bain et l'avait punaisé tout en haut du mur, largement hors de ma portée. Et bien sûr, il est parti en laissant son œuvre à la vue de tous. Le lendemain, je n'étais toujours pas parvenu à décrocher cette plantureuse femme aux cuisses humides. J'avais cours ce jour-là, et Diana devait venir pendant que j'y étais. Lorsque je suis rentré, l'appart' était nickel. J'avais peur qu'elle ait laissé un mot négatif, mais non, pas du tout. Elle s'est simplement contentée de décrocher la pornstar mouillée du mur et de la replier pour finalement la ranger sur mon bureau, près de ma lampe de travail. Sans un mot, sans une remarque. Quand j'ai revu Diana, à aucun moment elle n'en a parlé. Mais elle savait, et je savais qu'elle savait, et elle savait que je savais qu'elle savait. Bref, nous savions.
Il y a les auxiliaires de vie qui profitent de vous sans aucun état d'âme. Mariam de son prénom était pourtant très sympathique, excellente cuisinière et très attentionnée. Cela faisait un an qu'elle venait chez moi, et il n'y avait pas de problème. Simplement, au fil du temps, elle a comme on dirait « prit la confiance » : de plus en plus souvent en retard, prétextant régulièrement qu'elle devait partir en avance car son planning était très serré, elle s'est permis beaucoup de choses que naïvement je n'ai pas vu venir. À cette époque, je n'avais pas encore de fauteuil électrique mais simplement un fauteuil manuel. J'avais calé mes séances de kinésithérapie sur les heures où elle devait intervenir, comme ça elle pouvait m'accompagner et me ramener (je n'avais pas la force de me pousser moi-même, et ce manuel me servait à patienter pendant le financement de l'électrique), le cabinet se situant à quelques pas de chez moi. Cependant, comme elle se décalait elle-même de plus en plus, elle n'était plus en mesure de m'aider sur le retour. Au début, je la plaignais plus qu'autre chose d'être surchargée. Et puis, à force de devoir faire des pieds et des mains pour assurer mon retour moi-même (à tel point que j'ai parfois annulé des séances), j'en ai eu assez et j'ai téléphoné au bureau chargé des plannings. Et là, quand je leur dis que Mariam est censée venir de 12h30 à 14h30 selon ses propres dires et que cela ne va pas avec mes besoins, la secrétaire m'assure que les horaires sont de 13h à15h. Nous en arrivons tous les deux à la conclusion que Mariam se fout bien de notre gueule. Inutile de vous dire qu'elle n'est plus jamais revenue chez moi... ça a l'air de n'être qu'un détail, mais je peux vous assurer qu'au quotidien, c'est terriblement épuisant, limite humiliant.
Pour finir, voici une dernière catégorie d'auxiliaire sans morale : la voleuse. Celle-là, si vous lui donnez 100 € en liquide pour aller faire vos courses, vous pouvez être sûr que non seulement elle va égarer le ticket de caisse, mais qu'en plus de cela, les produits auront subi une hausse spectaculaire de leurs prix et que les 100 € que vous aviez jugés largement suffisant n'ont en fait couvert qu'à quelques euros près les dépenses. Ça m'est arrivé une fois, pas deux. La voleuse se change parfois en aguicheuse, et se met à tortiller du cul devant vous pour accéder à des facilités (ça va d'un décalage des horaires à une demande mielleuse pour échapper à un ménage contraignant). Si la plupart du temps je trouve cela plus rigolo que dérangeant, il y a des fois où c'est quand même très gênant et où je dois en venir à recadrer les choses. C'est jamais agréable car quand quelqu'un vient six heures par semaine chez vous, vous avez plutôt intérêt à vous entendre avec, sinon il risque d'y avoir un gros malaise dans l'air. Pire, elle pourrait chier sous votre lit et abandonner son méfait pendant tout le week-end, qui sait ?
Cela fat plus d'un an que j'ai maintenant la même auxiliaire de vie, avec qui il y a eu des hauts et des bas mais qui fait son travail comme elle doit le faire, etc'est bien là l'essentiel.
Dans l'ensemble, je suis très reconnaissant qu'il y ait des personnes prêtes à faire ce métier très difficile. Néanmoins, je suis consterné de voir qu'il y en a qui profite de leur supposée position de force pour tirer quelques bénéfices au détriment des personnes qu'elles sont censées aidées. Il y a les handicapés physiques, les handicapés mentaux, mais il y a aussi les handicapés de la morale... et ceux-là sont sûrement les plus à plaindre.
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Merci à tous ceux qui me lisent et me suivent depuis le début ! Vous êtes comme les moteurs de mon fauteuil électrique : vous m'aidez à aller toujours plus loin !
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