13 # Normes énormes
Dans la vie, quand vous quittez le domicile parental et que vous cherchez un appartement, ce n'est pas toujours évident. Ça l'est encore moins quand vous êtes handicapé...
A l'âge de 20 ans, divers événements (dont je ne parlerai pas ici car ils n'ont rien à voir avec mon handicap) m'ont poussé à chercher un nouveau chez moi. Sans travail, étudiant, avec seulement mes allocations adultes handicapé comme revenus et un peu d'argent de côté en banque, il est toujours difficile de signer un bail. À cette époque, je n'avais pas besoin de fauteuil et je marchais encore. J'étais plus ou moins dans l'urgence de trouver un appartement, et j'en ai finalement obtenu un charmant, avec vue sur l'Oise mais au premier étage.
Sur le coup, cela ne m'a pas gêné outre mesure : j'étais capable d'utiliser les escaliers et j'étais très heureux d'être enfin indépendant ! Qui n'a pas rêvé, à l'aube de ses 20 ans, d'être libéré des menottes parentales pour festoyer les vendredi samedi et dimanche, quitte à faire de ses voisins ses ennemis jurés ? Franchement, je peux bien le reconnaître maintenant que je suis un peu plus adulte, mais je m'aurais eu comme voisin, j'aurais eu envie de me buter tous les week-ends. L'alcool coulait à flots et nous étions toujours au moins une quinzaine dans mes 30 m². Bref, c'était bien funky !
Seulement, les années passant et mon handicap s'aggravant, les escaliers sont devenus un problème de plus en plus délicat à gérer, à tel point qu'il a fallu que je déménage principalement pour cette raison. Mon kiné de l'époque m'avait conseillé de m'adresser à la mairie pour obtenir un logement social adapté, aux normes pour les personnes handicapées. Ce même kiné connaissait d'ailleurs le maire de ma ville, puisque ses enfants et les siens étaient scolarisés dans la même école privée. Coup de pouce du destin, ça fait du bien ! Ni une ni deux, nous organisons un rendez-vous « hors agenda » afin d'accélérer le processus administratif qui, comme on le sait tous, est absolument gerbant de lenteur.
Le matin du rendez-vous, le maire arrive chez moi mais il ne rentre même pas dans l'appartement. Il n'en a pas besoin : je l'attendais en bas, et quand il voit l'escalier en colimaçon affublé en plus de marches inégales, il comprend immédiatement la situation et « prend en charge personnellement le problème ». Sur le coup, je suis un peu dubitatif, car je ne crois pas trop au miracle encore plus quand ils dépendent de l'administration. Mais cette fois-ci, j'ai eu tort, puisque trois mois après, on m'avait attribué un appartement social au rez-de-chaussée, dans la même ville, et selon le service social de la mairie, répondant aux normes pour l'accessibilité aux personnes handicapées.
Je vais le visiter, pour le principe. Hélas, je me rends compte que l'on m'a « survendu » l'aspect accessible du logement. Pour commencer, les dimensions des portes ne répondent pas du tout aux normes exigées. Ensuite, les volets des fenêtres sont manuels et sont de surcroît très peu maniables même pour une personne en pleine possession de ses moyens. Et pour finir, le pire du pire (et non le peer-to-peer) : la salle de bain. Celle-ci ne possède pas une douche mais une baignoire, ce qui est extrêmement compliqué pour moi. Que ce soit pour y entrer ou en sortir, ce sont des gestes bien trop dangereux à exécuter seul.
Je souligne ces problèmes à la mairie mais l'on m'assure que des travaux seront effectués, que c'est juste une question de temps. D'accord, je ne suis pas à quelques mois près, surtout avec le passe-droit dont j'ai bénéficié. C'est comme ça que ça marche dans la vie, quand on connaît les bonnes personnes, tout est plus facile.
Bien sûr, je n'ai pas l'argent à mettre dans les travaux, car ma situation ne me le permet pas. Il faut donc passer par des financements soit au niveau du conseil régional ou départemental, soit en partenariat avec le bailleur. Ce bailleur qui va au final se révéler être un véritable enfoiré.
Nous sommes en 2011, avec l'aide de la maison départementale des handicapés du Val-d'Oise (MDPH), je monte un dossier pour financer les travaux de ma salle de bain afin de remplacer la baignoire par une douche à l'italienne (car il est très difficile pour moi d'enjamber les bords de la baignoire que ce soit pour en sortir ou pour y rentrer), mais aussi pour obtenir des volets électriques. On ne va pas se mentir, je savais pertinemment que cela prendrait du temps. Mais ma voisine, une personne très âgée, m'avait dit que pour son propre cas, tout cela avait été relativement rapide (entre un et deux ans). Vous allez me dire, ce n'est pas rapide du tout, mais n'oubliez pas que nous sommes à l'échelle de l'administration française. Il faut donc relativiser.
Dès le début du montage du dossier, j'ai été pris en charge par une ergothérapeute de la MDPH, au demeurant très sympa et très compréhensive vis-à-vis de ma situation. Elle m'explique que normalement, dans ce genre de cas, le financement se fait d'une part par le conseil régional et de l'autre par le bailleur. Le seul inconvénient est que cela prend du temps, car il faut passer par des commissions, commissions qui valident ou non les dossiers, etc.
J'ai emménagé dans cet appartement en mars 2011. J'ai obtenu une douche utilisable en juin 2015.
Qu'est-ce qu'il s'est passé durant ces quatre années ?
Tout d'abord, il y a la lenteur chronique de l'administration. Je ne vais pas spécialement m'attarder dessus, mais c'est une véritable plaie, d'autant plus quand il s'agit de traiter des affaires qui portent sur le confort sanitaire ou plus globalement sur la santé de personnes. Lorsque l'on a une maladie évolutive comme la mienne, imaginez obtenir des aménagements qui sont urgents seulement quatre ans après les avoir demandé, aménagements qui deviennent obsolètes étant donnés qu'entre-temps, votre pathologie a fait son office et exige de nouveaux aménagements. Pour faire simple, là où il faut de la réactivité, il n'y a rien d'autre que des délais administratifs causés par des organisations qui devraient vraiment se remettre en question.
Mais ce n'est pas la seule explication. Ça, à la limite, je m'y attendais. Le pire de tout ça vient de mon bailleur. Mon bailleur, c'est le logis social du Val-d'Oise (LSVO). Mon bailleur, c'est une société privée qui gère des logements sociaux. Mon bailleur, il n'a de social que le nom puisqu'il est là pour faire du fric et seulement du fric. Et surtout pas pour en dépenser.
Quand nous montions le dossier mon ergothérapeute et moi, nous établissions des plans de financement. Plusieurs devis ont été faits, afin que nous puissions avec clarté définir quels serons les dépenses et comment elles pourraient être couvertes. Le LSVO était d'ailleurs parfaitement au courant, puisqu'il était prévu dès le début qu'il participerait.
Vers le milieu de l'année 2013, j'étais toujours dans l'attente du dossier. Je téléphonais régulièrement à mon ergothérapeute, et celle-ci me disait qu'elle n'avait toujours pas de nouvelles à chaque fois de mon bailleur. Et nous avons fini par en avoir.
Celui-ci a finalement décrété qu'il n'avait pas les finances nécessaires pour participer à l'aménagement d'une douche pour handicapé.
Je ne sais pas pourquoi il lui a fallu tant de temps pour s'en rendre compte, ni pourquoi il a tant attendu avant de nous faire parvenir sa décision ô combien altruiste et généreuse... mais bon, je me mets à sa place, c'est énorme 4500 € de participation dans une salle de bain quand on a un chiffre d'affaires de plusieurs dizaines de millions d'euros...
Du coup, me revoilà à la case départ, sauf que deux ans se sont écoulés entre-temps, et qu'entretenir une hygiène digne de ce nom de façon autonome est de plus en plus difficile et dangereux. Je suis obligé de m'en remettre aux passages trois fois par semaine de mon auxiliaire de vie pour qu'elle m'aide à me laver (non, je ne restais pas tout nu, je mettais un maillot de bain et je la faisais sortir quand je me lavais les balloches !).
Alors, je vais le dire en toute honnêteté, quitte à passer pour un crado : il m'est arrivé plusieurs fois de passer deux trois jours sans me laver. Mettez-vous à ma place : vous n'avez pas prévu de sortir voir quelqu'un ou d'inviter quelqu'un, et le risque de se casser la gueule en grimpant soi-même dans la baignoire ou en en sortant est très gros. Vous vous résolvez en toute logique à vous contenter d'une toilette au lavabo, et encore, même ça ce n'est pas pratique pour moi car cela induit de rester debout (et quand on est en fauteuil, c'est bien parce qu'on ne peut pas rester debout). Mais pendant ces quatre étés, pendant les jours les plus chauds, ceux durant lesquels vous avez envie de prendre une douche toutes les heures, c'était un calvaire absolu. J'ai parfois même dû demander à ma mère ou à mes propres amis de m'aider à me laver...
Cela fait parti des moments où la dignité humaine en prend un sacré coup. La fierté aussi. J'ai beau savoir que ma famille ou mes amis ne me jugent absolument pas dans ces situations là, en mon for intérieur, je rage à mort, je peste contre mon impuissance à faire des gestes du quotidien, et je maudis encore plus les enfoirés qui ne font rien pour m'aider, le LSVO en tête de file.
Depuis juin 2015, le problème est enfin réglé puisqu'avec mon ergothérapeute nous avons réussi à trouver des financements en passant par divers fonds de compensation, en grattant un petit peu partout, en cherchant dans le fond de tous les tiroirs. Tout ça parce que ce bailleur dit social n'a pas jugé utile ou même simplement humain de participer à hauteur de 4500 € dans une salle de bain aux normes handicapés, salle de bain qui en plus servira aux locataires qui me suivront. À ce niveau-là, on est en droit de se demander si le LSVO ne nous a pas purement et simplement enfler puisqu'il reste totalement bénéficiaire d une installation qu'il n'aura même pas payée. Et quand je dis nous, c'est non seulement moi en tant que locataire, en tant que personne humaine et handicapée, mais aussi les organismes auxquels on a été obligé de ponctionner de l'argent qui aurait pu servir ailleurs si le bailleur avait fait ce que ce pourquoi il s'était engagé.
D'ailleurs, s'il y a bien une chose positive à retenir, c'est la volonté qu'ont démontrée les différentes ergothérapeutes que j'ai pu croiser durant cette affaire. Elles étaient aussi atterrées que moi de la situation, car si elles font ce métier, c'est par vocation, et se voir saborder de la sorte, c'est extrêmement frustrant.
En conclusion, et puisque j'ai le projet de déménager à moyen terme, je me pose la question suivante : puisque mon bailleur n'a pas acheté la douche, dois-je repartir avec et réinstaller une baignoire des années 70 ?
Et on ne parlera même pas des volets électriques, qui sont portés disparus depuis plusieurs années et dont je ne cherche même pas à avoir de nouvelles...
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