CHAPITRE 92
Dans le bus, Pam observe la ville de Séoul défiler devant ses yeux. Elle est perdue dans ses pensées jusqu'au moment où son portable vibre dans la poche de son manteau. Machinalement, elle le sort pensant répondre à Young-sun, mais elle lit « Lieutenant Jung Il-wan ». Ses sourcils se froncent en décrochant.
— Yeoboseyo ?
— Mademoiselle Cosson ! Quel plaisir d'entendre votre voix. Je ne vous dérange pas ?
Pam se bouche une oreille pour mieux entendre. Le bus fait un de ces boucans !
— Aucunement. J'étais en route pour revenir à la Veille Bâtisse. Je faisais une petite pause.
— Vous pouvez venir au commissariat ? J'ai besoin de votre aide...
Son cœur tambourine dans sa poitrine. Est-ce qu'une nouvelle voiture a été retrouvée ? Elle n'espère pas. Elle ne supporterait pas une nouvelle histoire à régler...
— J'arrive dès que possible.
Elle raccroche, en espérant que sa voix ne tremblait pas trop. Un long trajet plus tard, elle se retrouve au commissariat. Elle passe la double-porte après avoir demandé l'autorisation à l'agent d'accueil, et pénètre dans les bureaux. Elle aperçoit le lieutenant Jung assis face à un couple. La femme et l'homme ont l'air tous les deux remontés. Pam se rapproche.
— Lieutenant Jung ? appelle-t-elle.
Ce dernier tourne la tête et se lève en la voyant. Un grand sourire se dessine sur ses lèvres.
— Merci d'être venue ! Je vous raccompagne après.
— Que se passe-t-il ? C'est à propos d'une nouvelle affaire ou...
— Pas exactement, dit-il en se tournant lentement vers le « couple » d'un air embêté.
Pam les observe à son tour. La femme lui ressemble physiquement. Elle est blonde et à l'air jeune. Quant à l'homme, c'est un brun, plutôt joli garçon, et en costume. Il a l'air riche. Les deux sont caucasiens. Pam fronce des sourcils en entendant la voix de la jeune femme. Elle croit percevoir un accent familier derrière son anglais approximatif...
— Pouvez-vous traduire, s'il vous plait ? La femme est française et ne parle pas un mot coréen...
— Et lui ? désigne Pam du menton.
À ces mots, l'intéressé lève le regard vers Pam.
— Il parle l'anglais et le coréen, répond le lieutenant Jung.
Pam acquiesce.
— Je vais voir ce que je peux faire.
Elle se rapproche de sa compatriote et pose une main sur son épaule pour attirer son attention.
— Bonjour, je m'appelle Pam, sourit-elle.
La femme tourne la tête et pousse un soupir de soulagement.
— Dieu merci, une concitoyenne !
— Comment vous vous appelez ?
— Sandy. Sandy Lefevre.
Pam attrape une chaise et vient s'asseoir à côté de Sandy.
— Ils ne comprennent pas ce que vous dites. Racontez-moi et je vais traduire.
— Merci beaucoup...
La femme passe une main dans ses cheveux et ferme les yeux pour prendre une grande inspiration. Pam remarque qu'elle se tient le ventre. Elle la trouve d'ailleurs assez pâlotte. Sandy les ouvre à nouveau et commence à raconter son histoire.
— Par où commencer ? Je suis en vacances ici, avec mon amie.
— Où est-elle ?
— Je ne sais pas, c'est pour ça que je suis stressée... On s'est quitté dans une rue. Elle est allée chercher de quoi manger, et moi, je suis entrée dans une boutique d'antiquité en attendant. Elle ne répond pas à son portable... Je pense qu'elle ne doit plus avoir de batterie. Elle va s'inquiéter !
Pam acquiesce, compatissante.
— Vous me donnerez son numéro après. Et ensuite, que s'est-il passé ? Pourquoi cet homme est avec vous ?
— C'est là on s'est folklorique. J'avais trouvé une magnifique bague. Je comptais l'offrir à ma mère en cadeau. Et cet abruti me l'a volé. J'avais beau lui dire que j'avais vu cette bague en première, il n'a pas voulu me la rendre.
— Et ensuite ?
Sandy se pince les lèvres et jette un regard noir à l'homme avant de revenir vers Pam.
— On a chahuté un peu... Pour récupérer la bague. J'ai fini par la cacher dans ma bouche. Il m'a bousculé, un peu trop violemment, et j'ai avalé la bague. Il a bien vu que c'était un accident ! Et pourtant, il n'a pas hésité à me dénoncer au propriétaire de la boutique en disant que je l'avais avalé exprès pour la voler !
Pam hoche la tête, comprenant la situation. Elle se tourne ensuite vers le lieutenant Jung pour lui traduire.
— Il y a eu un malentendu entre eux dans une boutique. Elle a avalé une bague par accident et, bien que monsieur l'ait vu, il l'a accusé d'avoir volé la bague... Tout ça pour une question de fierté.
Pam pose son regard sur l'inconnu.
— C'est un peu lâche, je trouve. (Pam revient sur le lieutenant). De plus, madame Lefevre a une bague dans son corps, ce serait bien qu'elle aille à l'hôpital pour voir si tout est OK dans son estomac, non ?
— L'audition n'est pas terminée, à ce que je sache, répond l'inconnu d'un air contrarié.
Pam hausse un sourcil.
— Personne n'est arrêté, ce n'est pas une audition. Et, qui êtes-vous, d'abord ?
L'homme se lève en ajustant sa cravate et sa veste avant de répondre.
— Je suis Lord Paul Hackett, cousin de la célèbre famille britannique Hawkins, pour vous servir, ma Dame.
Pam se fige.
— Britannique ? Hawkins ? répète-t-elle, comme partie dans un autre monde.
— La famille Hawkins ? Celle gérant les entreprises aéronautiques New Era ? Quel honneur ! lâche le lieutenant Jung.
Il se lève et vient serrer la main de Lord Hackett, sous le regard interloqué de Pam.
— J'ai voyagé une fois dans votre compagnie, et dans votre propre avion. J'ai adoré le service ! Ne changez rien, vous êtes parfait !
— Je suis heureux de l'entendre, répond Paul.
Pam fronce des sourcils. Pourquoi n'a-t-elle jamais entendu parler de cette compagnie ? Ou de la popularité de cette famille ? Qui plus est... Paul. Il parle coréen. Il est de la famille Hawkins... Son nom lui dit quelque chose. Paul Hackett. Où l'a-t-elle déjà lu ou vu ? Dans les descendances de Mary et de Jungsook, peut-être... Mais il y a quelque chose de louche, quelque chose de... Familier.
La culpabilité.
Que se passe-t-il ? Qu'essaye de lui dire son instinct ? Pam hausse un sourcil et interroge du regard le lieutenant Jung.
— Vous ne lui avez pas demandé son identité avant de l'emmener ici pour entendre son témoignage ? C'est votre boulot, pourtant.
Le lieutenant Jung se racle la gorge. Pam observe un instant Paul avant de revenir sur le lieutenant.
— Bref, je pense que le plus important, pour le moment, c'est d'emmener Sandy à l'hôpital. La fameuse boutique d'antiquité a-t-elle des vidéos de surveillance ? Cela pourrait affirmer qui ment et qui dit la vérité. Aussi, avez-vous noté la déposition que j'ai traduite ? énumère Pam.
Le lieutenant Jung revient à son bureau et observe l'écran d'ordinateur. Ses yeux confus se reposent sur Pam.
— Euh... Non. Vous pouvez répéter ?
Pam lâche un grand soupir. Une heure plus tard, et après qu'une ambulance soit passée prendre Sandy, Pam sort enfin du commissariat en compagnie du lieutenant Jung. Cette journée est riche en évènement. Elle a hâte de rentrer pour retrouver Young-sun et se reposer.
— Je vais rapprocher la voiture, indique le lieutenant en s'éloignant sur le parking.
Pam hoche la tête et replace une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle prend une grande inspiration et observe le ciel. Elle est déconcentrée par un bruit derrière elle. Quand elle pivote, curieuse, elle aperçoit Paul Hackett sortir en mettant des lunettes de soleil. Pam secoue la tête. Quel ringard ce type... Elle revient à sa position initiale.
— Je vous ai déjà vu quelque part, entend-elle.
Son sang ne fait qu'un tour et elle sent une bouffée de chaleur écraser sa poitrine. Elle revient vers lui, les sourcils froncés.
— Euh... Comment ça ?
Paul sourit en se mettant à sa hauteur. Il retire ses lunettes pour la regarder droit dans les yeux.
— Dans mes rêves les plus fous, mademoiselle.
Elle lâche un soupir exténué, roule des yeux et revient sur la vue du parking.
— N'importe quoi. Vous carburez aux disquettes démodées toute la journée ?
Paul sourit fièrement, remet ses lunettes de soleil et descend les marches. Pam l'observe s'éloigner. Mais... Elle a encore cette boule au ventre. Depuis qu'elle l'a vu. Et son allusion, qui voulait être une drague ringarde, lui a mis la puce à l'oreille. La culpabilité qu'elle ressent, c'est la même qu'à l'ambassade britannique, quand cette femme lui a conté la triste histoire de Peter Hawkins... Pourquoi ? Ses méninges tournent dans son esprit. Kim Yae, Kwan Young-sun. Poppy Clarke, Paméla Cosson. Les réincarnations portent les mêmes initiales.
Et si... ?
Ses yeux s'arrondissent en observant Paul Hackett arriver devant une voiture de luxe.
— Peter Hawkins ? appelle-t-elle, dans la panique.
Paul s'arrête et pivote vers elle. Il retire à nouveau ses lunettes de soleil et l'observe.
— Je vous demande pardon ?
— Euh...
Malaise.
Pam descend les escaliers pour le rejoindre devant sa voiture. Elle a deux secondes pour trouver une excuse.
— Je voulais dire... Vous lui ressemblez. À Peter Hawkins. J'ai vu une photo de lui dans un vieux magazine des années soixante-dix, ment-elle, et vous lui ressemblez comme deux gouttes d'eau.
Paul accroche lentement ses lunettes à son haut.
— Je pourrais dire la même chose de vous. Vous êtes son portrait craché.
Pam écarquille les yeux. Elle a mal entendu, n'est-ce pas ?
— De quoi parlez-vous ?
— Poppy Clarke. Ma grand-mère en aurait eu le souffle coupé.
— Votre grand-mère ?
— Mary Hawkins.
Encore un choc pour Pam.
— Votre grand-mère... Euh, et qui était cette femme, cette Poppy Clarke ?
— C'était la meilleure amie de ma grand-mère. Elle l'a mentionné jusqu'à son dernier souffle. Elle n'a jamais cessé de parler d'elle. Chaque année, elle nous ressortait le peu de photos qu'elle avait de son amie... Le peu de souvenirs qu'elle avait encore de Poppy Clarke, elle s'y accrochait.
Pam se racle la gorge, un peu gênée.
— Vous parlez comme s'il était arrivé malheur à cette Poppy.
— À vrai dire, personne ne sait ce qui lui est arrivé. Ma grand-mère disait qu'elle s'était enfuie avec un autre homme, tandis que mon grand-oncle, Peter, protestait en disant qu'elle avait été kidnappée et probablement tuée. C'est un débat connu dans la famille, et qui, hélas, les a séparés.
— Ils se sont disputés ? questionne Pam, les sourcils froncés.
— Le mot est faible.
Pam fait une moue triste. Le moment est peut-être mal choisi, mais elle doit écarter la piste de la famille Hwa une bonne fois pour toute, même si Young-sun a confirmé que ce n'était pas eux.
— Votre grand-mère... Vous pensez qu'elle avait des regrets ?
— Des tas. Ne le dites à personne, mais quand elle avait un coup dans le nez, disons-le poliment, elle répétait sans cesse qu'elle n'aurait jamais dû emmener Poppy avec elle... C'est ici, à Séoul, qu'elle a disparu, vous savez ? Je pense qu'au fond d'elle, elle a toujours su que son frère avait raison, mais elle ne voulait sans doute pas...
Il cherche ses mots.
— Avoir sa mort sur la conscience, reprend Pam d'un air sérieux.
Paul hoche la tête silencieusement. Un klaxonne les sort de cette atmosphère macabre. Pam se tourne. Le lieutenant Jung baisse sa vitre.
— On peut y aller, mademoiselle Cosson ?
Elle acquiesce, se retourne vers Lord Hackett pour le saluer, et se rapproche ensuite de la voiture du lieutenant. Elle ouvre la portière et observe Paul monter dans sa voiture. Il démarre et part en trombe. Pam s'assoit enfin sur le siège passager, claque la portière, et s'attache. Elle est perdue dans ses pensées et en pleine réflexion.
— Tout va bien, mademoiselle Cosson ?
Pam sort de ses pensées pour regarder le lieutenant Jung. Il a l'air inquiet. Elle sourit faiblement pour le rassurer.
— Il est encore trop tôt pour l'affirmer.
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"New Era" est entreprise fictive, inventée par moi-même
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