CHAPITRE 91
18 Janvier 2024
— Désolé, mais je manque de temps en ce moment. Je fouille des cartons toute la journée, sans compter que j'ai un documentaire à monter et un papier à écrire à ce sujet.
— Mais vous savez que c'est important ! s'énerve le lieutenant Baek au téléphone.
Pam roule des yeux. Plusieurs regards curieux se sont tournés vers elle. La jeune femme se trouve dans une file d'attente pour s'acheter un petit en-cas chez un food truck.
— Ça ne sert à rien de s'emporter. Si c'était aussi urgent, il fallait me le dire avant. Et puis, je ne suis pas votre larbin ! Je suis une collaboratrice, il y a une nuance.
— Tout est urgent dans une enquête... (Elle l'entend soupirer) D'accord, je m'excuse, OK ? Est-ce que vous pouvez essayer de faire ça dans la journée ? Je suis persuadé que vous allez trouver la réponse aujourd'hui... S'il vous plait ?
— Vous m'amadouez et me suppliez en plus ? Ce n'est pas votre genre... Ça doit être vraiment important. Vous cachez quelque chose ? Non, mieux... Qu'avez-vous découvert ?
— Je ne vois pas ce qui vous fait penser ça. Bon, alors, votre réponse ? lâche-t-il sèchement.
Pam réfléchit un instant. Elle ne peut pas se rendre dans un commissariat et leur donner comme ça un numéro de série pour qu'il identifie le véhicule. C'est sans doute pour cette raison que le lieutenant Baek lui a demandé de s'en occuper. C'est pour ne pas éveiller les soupçons... Mais, elle n'a pas non plus envie de recontacter le hacker de Mapo. Ça fait déjà trois fois qu'il l'aide, et gratuitement en plus, et elle ne veut pas abuser de son temps... Ou le mettre en danger. Elle ne peut pas non plus se rendre chez un garagiste pour les mêmes raisons que le commissariat. Quelle plaie ! Elle lâche un soupir. Le lieutenant Baek lui a sauvé la vie, elle lui doit bien ça.
— Je peux essayer aujourd'hui, oui.
Elle raccroche et fouille dans son sac à main pour sortir le numéro de série de la voiture. Elle a appris qu'on appelait ça un « VIN » et que ça servait à beaucoup de choses. Quand une personne n'a pas de voiture, elle ignore l'existe de ce mot. C'est le cas de la jeune femme. Pour autant, elle a son permis de conduire...
Une idée nait soudainement dans son esprit. Elle sort de la file d'attente et s'éloigne, le portable en main. Elle se rend sur le moteur de recherche et tape « vin number car history south korea ». En étudiant la question l'autre jour, Pam a appris, qu'en France, il y a cinq ans, un nouveau service gratuit avait été mis en place : HistoVec, qui permet de regarder l'historique d'une voiture achetée d'occasion comme la date de première mise en circulation, la succession de propriétaire, les caractéristiques techniques, la situation administrative... Un site ou une application du même type existe forcément en Corée du Sud !
Bingo !
Elle trouve un premier site, Carhistory, et tape les numéros de série. Quand elle aperçoit la photo de la fameuse voiture, elle saute presque de joie, ignorant les regards ahuris des sud-coréen. Elle s'installe sur un banc et commence à lire les informations. La voiture a été déclarée volée, il y a trois ans. Le nom du propriétaire est affiché : Ma Dong-ho. Il y a même ses coordonnées ! C'est magique. Elle les tape sur Internet et constate qu'il s'agit d'une entreprise de location de voiture.
Mais bien sûr !
Elle doit s'y rendre et trouver un plan... Voyons. Pourquoi ne pas faire comme d'habitude ? Elle débarque, prétextant un sujet d'article, et pose ses questions... C'est aussi simple que ça. Fière de son génie, Pam se lève du banc et fait signe à un taxi pour se rendre sur les lieux. Elle envoie un message à Young-sun pour le prévenir subtilement qu'elle a trouvé une piste. Une fois arrivée sur place, elle se rend directement à l'accueil et aperçoit un homme, d'une quarantaine d'année, en train de regarder des vidéos sur son téléphone.
— Bonjour, excusez-moi, je cherche Ma Dong-ho. Il est là ?
L'homme pose à peine le regard sur elle et désigne quelque chose à sa gauche. Pam pivote et voit une porte. Ce Ma Dong-hi est surement à l'intérieur. Elle s'incline légèrement, pour le remercier, et se dirige vers cette dernière. Elle lève son poing pour frapper, mais la porte s'ouvre au même moment, et elle tombe nez à nez sur un visage familier.
Merde. Le procureur Jeon.
Elle tente de reste impassible et se recule, retenant son souffle. Que fait-il ici ? Le lieutenant Baek s'est déjà fait cramer ?
— Tiens, mademoiselle Cosson. Ça faisait longtemps. Vous allez me dire que c'est une coïncidence ?
Il a toujours son air de connard supérieur. La jeune femme s'incline respectueusement.
— Procureur Jeon, quelle surprise... Et, non, je ne comprends pas votre sous-entendu ?
— Vous n'êtes pas là pour le meurtre ?
Elle sursaute. Pourvu que son témoin ne soit pas déjà mort.
— Un meurtre ? Quel meurtre ?
— L'un des employés de monsieur Ma a été tué hier soir. Je suis venu prendre son témoignage, explique-t-il d'un air suspicieux.
Elle est rassurée... Enfin, c'est triste pour cet employé...
— Absolument pas, je suis là pour d'autres raisons.
— Lesquelles ?
Elle aimerait bien lui dire d'aller se faire voir, et qu'il existe le respect de la vie privée, mais elle ne veut pas de conflit aujourd'hui. Pam doit répondre honnêtement.
— J'écris toujours la rubrique des chiens écrasés pour l'école. Je suis venue discuter de faits divers avec monsieur Ma Dong-ho.
— Ça ne vous dérange pas si je reste pour m'assurer que c'est la vérité ?
Quelle plaie.
— Si vous voulez perdre votre temps...
Elle toque à la porte, même si elle est déjà ouverte, pour attirer l'attention de l'entrepreneur.
— Monsieur Ma, puis-je me permettre d'entrer ?
— Bien sûr.
Il a dû entendre toute la conversation précédente. C'est un homme barbu et plutôt enrobé. Il est assis dans un grand fauteuil blanc. Le bureau est plutôt chic. Elle remarque des prix, qui n'ont rien avoir avec les voitures, accrochés dans des cadres sur le mur. Apparemment, les affaires marchent bien pour lui.
— Vous êtes journaliste ? demande-t-il.
Elle reporte son attention sur lui et tend sa main en se rapprochant du bureau.
— Je suis étudiante à la Korean International School of Journalism and Media en fait. Pam Cosson.
— Ma Dong-ho, pour vous servir, se présente-t-il en serrant sa main sans se lever.
Elle se tourne vers le procureur Jeon, qui l'observe dans l'encadrement de la porte, les bras croisés contre son torse, avant de s'installer sur un chaise, face au bureau. Elle sort son bloc-notes et son stylo.
— Je viens vous voir car, sur les réseaux sociaux, on parle de plus en plus de vols de véhicules loués à des entreprises spécialisées. Ces voitures sont ensuite revendues entre particuliers. Je suis venue pour vous demander si ce genre de choses vous été déjà arrivées.
Il rit jaune.
— Des tas de fois !
— Et vous avez toujours porté plainte, j'imagine ?
— Naturellement.
Elle note ce qu'il dit pour être crédible.
— Est-ce que vous louez des voitures de sport, des voitures de luxe ?
— Oui, mais je veille particulièrement à ce genre de voiture. On ne m'en n'a jamais volé.
— J'imagine que c'est parce que ce sont des voitures très voyantes.
— C'est clair ! On me vole surtout des voitures « passe-partout », si vous voyez ce que je veux dire.
Elle hoche la tête et note.
— Mais, quand les gens viennent louer ces voitures, ils donnent forcément leur nom. Ça ne suffit pas à la police pour les retrouver ?
— C'est là qu'on se rend compte qu'ils donnent de faux noms et donc de fausses pièces d'identité.
C'est parti pour jouer la carte de la blondasse demeurée.
— De fausses cartes d'identité, comment ça ? Ça existe vraiment ?
— Bien sûr ma grande ! Je suis sûre que le procureur pourra te confirmer que c'est un gros trafic.
— Vous voulez dire que les gens en fabrique eux-mêmes ? Mais ça doit se voir, non ? Enfin, un morceau de papier, c'est trop évident...
— Ils ne le font pas avec du papier et des crayons de couleur, mais avec une machine spéciale, fait remarquer le procureur Jeon d'un air las.
Elle ouvre la bouche sous le choc, vive la comédie, et se tourne vers lui.
— Jinjja ?
— C'est ce qu'on appelle « faux et usage de faux », article 225 du Code pénal, cite le procureur.
— Incroyable... Je ne me coucherais moins bête ce soir !
Elle note tout ce qui a été dit et relève la tête vers l'entrepreneur.
— Et avec les caméras de surveillance, pas moyen non plus de découvrir leurs identités ?
— C'est compliqué s'ils ne sont pas connus des services de police, répond à sa place le procureur.
Pam ne dit rien et se contente d'écrire en hochant la tête.
— Monsieur Ma, est-ce que vous seriez plus serein si une nouvelle loi était adoptée à ce sujet ? Ou alors, avez-vous déjà pris des mesures vous-même comme renforcer la sécurité, ou des choses comme ça ?
— C'est clair que maintenant, je fais gaffe ! J'en deviens par moment parano, mais on ne sait jamais sur qui on va tomber, pas vrai ?
— C'est vrai... Et, à quand remonte le dernier vol ?
— Mh... Je dirais que ça fait trois ans. C'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Je ne loue que des voitures de luxes, depuis.
Elle continue de noter. Trois ans ! Ce n'est pas une coïncidence.
— Merci pour vos réponses, monsieur Ma. Par hasard, pensez-vous que le meurtre de votre employé a un lien avec ces anciens vols ?
— Ne répondez pas, monsieur Ma, l'enquête est encore en cours, stoppe le procureur Jeon.
Pam se tourne vers lui.
— Je ne comptais rien écrire à ce sujet, je me demandais juste.
— Vous vous demandez trop, mademoiselle Cosson.
Elle sourit poliment et se retourne vers monsieur Ma. Elle range ses affaires dans son sac à main.
— Encore merci, dit-elle en tendant sa main, au plaisir.
Il la serre. Elle se lève et pivote pour sortir du bureau. Le procureur Jeon salut l'entrepreneur à son tour et ils sortent en même temps du bâtiment. Elle le salut respectueusement.
— Au revoir, procureur Jeon.
— Mademoiselle Cosson, attendez une seconde. Vous ne voulez pas que je vous raccompagne ? J'ai entendu parler de votre petit incident à l'hôpital. Vous êtes vraiment malchanceuse !
L'avocat de l'autre jour... Il a dû faire sa balance. Pam grimace de l'intérieur. Être avec le procureur Jeon, seule, dans sa voiture ? Hors de question ! Et puis, elle ne se fera pas berner. Il ne fait pas ça pour être gentil. Il veut sans doute la cuisiner... Mais pourquoi ?
— Non, ça ira, merci.
— Vous avez déjà des projets ?
— Oui. Au revoir.
Elle s'incline à nouveau, pivote sur ses pieds, et s'éloigne de lui le plus vite possible avant qu'il n'insiste trop.
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