CHAPITRE 77
17h14
Même s'il est encore tôt, Young-sun dresse la table pour ce soir. Comme lui a suggéré Pam, il a trouvé une chemise blanche dans son placard et un pantalon noir. Il a redressé ses cheveux avec un peu de gel, et il s'est mis du parfum. Pour plaire à Pam ? Sans doute... Mais elle risque de trouver ça bizarre, car ce n'est pas son genre de prendre soin de lui. Il se sent nerveux, à vrai dire. Il a trouvé l'attitude de Pam un peu étrange tout à l'heure. Et puis, elle le rend fébrile. Il a peur de faire un pas de travers à chaque fois. Il a peur de tout foutre en l'air et de gâcher cette soirée... Encore une fois.
Il entend des chaussons glisser sur le sol. Il s'éloigne de la cuisine pour se rendre dans l'entrée et l'accueillir. Son cœur loupe un battement. Ses yeux n'en reviennent pas... Il a une déesse en face de lui ! Elle porte une robe rouge bordeaux en velours. Les épaules de la robe descendent sur le côté, mais il y a également de fines bretelles qui les habillent. La robe est courte sans être vulgaire. Elle s'est maquillée et elle a fait une demi-queue à ses cheveux. Leurs bouts sont un peu ondulés. Elle se frotte les mains et relève la tête. Elle s'arrête un instant pour le regarder. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Young-sun parle le premier.
— Vous êtes...
— Vous aimez ?
— Vous êtes magnifique, mademoiselle Cosson...
— Vous aussi Youngsun-shi... Ça vous change !
Il se sent timide après ce compliment et sourit. Tandis qu'elle se rend dans le salon pour fouiller dans sa seconde valise, Young-sun ne peut s'empêcher de voir Poppy en elle, surtout le jour où elle a débarqué dans le café lors de leur première rencontre.
— J'ai trouvé de superbes films de Noël cette semaine, je me suis dit qu'on pourrait en mettre quelques-uns en attendant que la dinde cuisse. Vous en pensez quoi ?
Young-sun ne répond pas tout de suite. Il se demande s'il ne serait pas mieux que Pam rentre chez elle avant qu'elle meure, elle aussi. Il y a trop de similitudes entre cette soirée et celle qu'il a passée avec Poppy en 1963. Qui sait ce qui pourrait arriver ?
— Youngsun-shi ?
Il sort de ses pensées et trouve Pam juste en face de lui. Elle tient une boite de DVD dans ses mains.
— Est-ce que tout va bien ? demande-t-elle inquiète et la tête légèrement penchée sur le côté.
Il fait un pas en arrière. Elle baisse les yeux sur ses pieds et fronce des sourcils.
— Je vais bien.
— Il y a un problème ?
— Aucun.
Ils s'observent plusieurs secondes avant que Young-sun prenne le manteau de la jeune femme et lui tende.
— Si, en fait... Vous devez partir.
— Quoi ?
Il prend le DVD et le remplace par son manteau. Elle est bouche bée.
— Appelez un taxi, je vais chercher de l'argent pour vous payer la course.
Il se dirige vers le couloir.
— Je... Youngsun-shi... Attendez ! Ne faites pas ça !
Il pénètre dans le couloir et se dirige vers la porte de sa chambre.
— Croyez-moi, c'est pour votre séc...
— Nous ne sommes pas eux ! coupe-t-elle en criant.
Il se fige. Il a soudainement chaud et des frissons parcourent son corps. Son sang ne fait qu'un tour. A-t-il mal entendu ? Petit à petit, il se tourne vers elle. Pam n'a pas bougé d'un pouce. Son manteau traine au sol. Son regard est humide.
— Qu'est-ce que vous avez dit ?
— Kim Yae et Poppy Clarke.
Son cœur tambourine dans sa cage thoracique. Il ne rêve. C'est réellement en train d'arriver.
— Ils ne sont pas nous, assure-t-elle.
Il traverse le couloir pour la rejoindre. Pam ne le quitte pas des yeux.
— De quoi parlez vo...
— Vous parlez dans votre sommeil, vous le saviez ? (Ses yeux se remplissent de larmes et elle déglutit). Je connais toute l'histoire. Tout. Sur le bout des doigts. La première fois, je pensais que ce n'était qu'un cauchemar. Mais ensuite... Quand ça s'est répété et que vous m'appeliez Poppy... J'ai su que c'était réel au fond de moi. Et... Quand j'ai vu la voiture... J'étais terrifiée pour vous. Je me suis dit que jamais vous alliez vous en remettre. Votre colère. Votre peur... Je sais que ça vient de là. Et je ne vous en veux pas. Je ne vous en ai jamais voulu... Parce que je comprends.
Il s'arrête à sa hauteur. Dans son cœur, il se sent à la fois soulagé et terrifié. Mais ce n'est pas normal. Elle n'est pas censée le savoir. Elle n'est pas censée souffrir avec lui à ce point.
— Vous n'avez rien à craindre, Youngsun-shi... Cette histoire appartient au passé. Nous sommes le présent.
Sa voix casse sous le coup de l'émotion. Young-sun prend son visage entre ses mains et il essuie les larmes de Pam.
— C'est là où vous avez tout faux, mademoiselle Cosson... Je vous ai fait une promesse en 1963 et je paie mon crime aujourd'hui. Telle est ma punition pour vous avoir fait mourir. Tel est mon devoir pour vous rendre justice.
— Mais vous me voyez !Je suis là, face à vous... Et je suis vivante ! Ce n'est plus notre vie... C'estdu passé.
Il retire ses mains.
— Vous ne voyez pas ce queje vois. Vous lui ressemblez... Tellement. Et je lui ressemble tout autant.
Il se recule. Elle ne le quitte pas des yeux.
— J'ai compris pourquoi ils m'ont accordé une autre vie. C'était pour assister au remorquage de la voiture. C'était pour prendre l'enquête. C'est pour retrouver ces deux enfoirés. La seule chose que je ne comprends c'est... Pourquoi vous ont-ils mis à nouveau sur mon chemin ? Sont-ils stupides à ce point ?
— Mais de qui parlez-vous ? souffle Pam.
— Le Destin, l'Univers, les dieux... Je n'en sais rien ! Ceux qui m'ont fait ça ! Vous ne devriez pas être au courant.
D'autres larmes coulent sur les joues de Pam déjà roses.
— Vous avez été si seul tout ce temps... Et injustement. Mais vous ne l'êtes plus. Ce ne sera plus le cas. Il faut juste oublier cette histoire et...
— Pourquoi vous ne partez pas ? Pourquoi vous ne fuyez pas, mademoiselle Cosson ? Pourquoi vous ne me prenez pas pour un fou ?
— Jamais.
Il se met à rire nerveusement. Il vient de remarquer que lui aussi, il pleure.
— Je vous ai embrassé parce que...
— Parce que vous m'aimez ?
— Non. Parce que Yae est amoureux de Poppy. Parce que je suis amoureux d'elle.
Elle secoue lentement la tête.
— C'est faux. Vous êtes des personnes différentes !
Elle se rapproche et pose une main sur son torse, au niveau de son cœur.
— Yae aimait Poppy, ça, c'est certain. Mais vous ? Avez-vous ressenti de l'amour dans vos cauchemars pour cette femme ? Non. Vous vivez à travers Yae durant vos nuits donc c'est normal que vous ressentiez tout ce qu'il ressent. C'est un malentendu, c'est tout... Mais la journée ? Avez-vous ressenti une seule fois la même chose à son égard ? Et quand je suis arrivée ? Est-ce que tout a changé ? Est-ce que vous avez ressentis de nouvelles choses ?
Leurs visages sont si proches l'un de l'autre. Leurs regards se croisent longuement. Elle a peut-être touché un point essentiel. C'est vrai qu'il ne sait jamais poser la question... Mais là, il ne peut pas. Elle doit partir ce soir avant que les mêmes évènements se répètent.
— Youngsun-shi, je...
Il fait un pas en arrière, alarmé par ce qu'il croit comprendre.
— Non, ne le dites pas...
— Si. Je vous aime, Kwan Young-sun. Et je n'ai pas peur.
— Vous ne pouvez pas m'aimer ! Je ne mérite aucun amour, et surtout pas le vôtre ! Je suis un monstre !
— Mais c'est faux ! se scandalise-t-elle.
Il devrait être heureux qu'elle l'aime en retour. Il devrait se sentir fier qu'elle devienne sa petite amie s'il se confie à son tour... Mais il n'a pas le droit. Sa vue se brouille. Le gout de ses larmes est salé. Pam se rapproche de lui et vient caresser ses joues.
— Vous êtes un homme bon, intelligent et intègre... Je sens une complicité entre nous. Pensez-vous vraiment que je serais tombée amoureuse de vous si ce n'était pas le cas ? Dans vos yeux, je vois tant de bienveillance... Je vois tant d'amour à recevoir et à donner. Vous voulez bien faire, mais vous ne savez pas comment. Vous avez peur, car vous voulez me protéger. Vous êtes en colère, car vous vous détestez. D'accord. Peut-être que j'ai été cette Poppy Clarke. Et peut-être que vous avez été ce Kim Yae. Oui. Peut-être que je lui ressemble... Mais pas totalement. Je suis aussi moi. Paméla Cosson. Et comme vous avez pu le voir, je sais survivre alors... Vous n'êtes plus seul dans cette bataille. Je peux vous aider. Je peux vous soutenir. Je peux vous aimer...
Il la repousse et s'essuie les yeux avec les manches de sa chemise blanche.
— Partez !
Il lui prend le bras, ouvre la porte et la met dehors.
— Attendez ! Je... dit-elle en se retournant.
Il claque la porte et la ferme à clef.
— Youngsun-shi ! appelle Pam derrière la porte.
Il s'éloigne tandis que la chanson Last Christmas commence sur sa télévision.
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