CHAPITRE 73

C'est le cœur serré que Pam rejoint le docteur Kang dans la salle d'autopsie. Elle aurait aimé que Young-sun soit là pour la soutenir, comme il avait fait quand elle a nettoyé son premier mort, comme il avait fait quand elle a assisté à une autopsie pour la première fois. Mais là, c'est différent... Elle va devoir le faire elle-même. Il devrait être là, même s'ils se sont disputés. Quel lâche...

En entrant dans la salle, elle se munit d'une combinaison à usage unique, de gants, d'un masque et d'une charlotte. Le docteur Kang a déjà installé la victime sur la table d'autopsie. Pam a installé une caméra dans un coin de la pièce quelques minutes plus tôt. Cette dernière est déjà allumée.

— Ce n'est pas un être humain. Ce n'est qu'un corps, une coquille vide, aborde le docteur Kang soudainement.

Pam s'avance timidement, les deux mains jointes devant elle et le regard planté sur le docteur Kang.

— Je sais que c'est difficile de penser ça... Surtout quand on s'apprête à ouvrir une personne. Mais vous devez vous dire ça, mademoiselle Cosson. Vous devez le croire de toutes vos forces.

Elle pose son regard sur le corps. Il s'agit d'un homme âgé, victime d'un coup mortel à la poitrine. En extérieur, en tout cas.

— Il n'y a plus personne là-dedans. Ce n'est qu'une enveloppe charnelle... L'âme est partie ailleurs. Cet homme ne peut plus ressentir la douleur, continue-t-il.

Elle déglutit et relève son regard sur lui.

— Votre première fois... Comment était-ce ?

Ils se regardent dans les yeux.

— Je ne vais pas vous mentir, mademoiselle Cosson. Planter un couteau dans la peau et déplacer sa main pour ouvrir... C'est une sensation bien trop étrange. Je ne me suis pas senti bien du tout. Si vous pensez être malade, nous ferons une pause.

— Et, est-ce qu'on s'y habitue ?

— Je ne suis plus dérangé par cette sensation. Loin de là.

Elle hoche la tête, silencieuse. Le docteur Kang allume son dictaphone. Il l'utilise pour écrire ses rapports. Ce qui fait le plus peur à Pam, c'est l'étape de l'examen interne... Elle part à chaque fois à cause du dégout.

— Ici le docteur Kang en compagnie de mademoiselle Cosson, stagiaire. Nous commençons le rapport... Le scan a déjà été fait la veille. Il a révélé une lésion osseuse par un instrument tranchant cranté au niveau du sternum. L'arme du crime a disparu, ce qui laisse penser que la victime est morte d'une hémorragie... Ou peut-être sur le coup.

Il marque une pause.

— C'est à vous, mademoiselle Cosson. Vous pouvez examiner le corps.

Pam se rapproche. Elle observe de haut en bas le corps. Elle prend un mètre et le mesure de la tête aux pieds.

— La victime fait un mètre soixante-treize. Elle a les cheveux poivre et sel. Il s'agit d'un homme, de toute évidence...

Elle pose le mètre et commence à examiner sa peau.

— La victime a une tâche de naissance au niveau du poignet ventrale droit. On dirait un nuage.

Elle observe ensuite la texture des vêtements.

— La victime porte une chemise de laine à carreaux orange et marron. Elle porte un pantalon chino de couleur crème. Ses chaussettes sont blanches et elle a des chaussures en cuir noir.

Elle examine son autre poignet.

— Il y a une décoloration plus claire sur sa peau à son poignet gauche. Il portait peut-être une montre ou un bracelet.

— C'est très bien, mademoiselle Cosson, stimule le docteur Kang.

Elle se sent rassurée.

— La victime a des tâches de vieillesses un peu partout sur le corps. Comme il manque un élément, une montre ou un bracelet, on peut supposer qu'elle a été attaquée pour voler cet élément. Ou alors, la victime s'est plantée le couteau elle-même et en tombant, cet élément s'est brisé.

Mais, ils l'auraient retrouvé sur la scène de crime... Un meurtre pour une montre... Tout de même. Quel triste sort !

— Les examens des organes permettront de découvrir d'autres hypothèses.

Son cœur commence à battre un peu plus vite.

— Nous allons à présent laver la victime, indique le docteur Kang au dictaphone.

Il hoche la tête pour Pam. C'est le signal. Elle commence à déshabiller la victime de bas en haut. Puis, elle passe un jet d'eau sur le corps dans un silence respectueux. Le bruit de l'eau frappe le métal de la table. Elle pose le jet quand elle a terminé. Lorsque le docteur Kang lui tend un bistouri, son cœur s'emballe un peu plus. Les battements encombrent ses tympans. Le docteur Kang lui explique comment faire une incision pour ouvrir la cage thoracique entièrement.

— Faites-le quand vous voulez, précise-t-il.

Pam ferme un instant les yeux et prend une grande inspiration. Elle ouvre les yeux et approche, d'une main tremblante, le bistouri au-dessus de la peau. Elle respire un grand coup une deuxième fois. Puis, elle saute le pas. Elle enfonce le couteau et... C'est vraiment bizarre. Il y a des fourmillements dans son bras droit. Elle a une boule bizarre dans son ventre. C'est comme découper une tomate ou une tranche d'escalope de dinde crue... Mais sans que ce soit comestible. Elle est dégoutée. Elle descend avant l'entre-jambe et s'arrête. Elle peut reprendre son souffle.

— Savez-vous ce qu'on fait ensuite, mademoiselle Cosson ?

— Je crois oui... Vous prélevez les organes un par un. Vous les pesez, disséquez, et répertoriez.

— Je vais m'occuper de la découpe. Vous allez les peser, d'accord ?

Elle hoche la tête et lui tend le bistouri. Le docteur Kang n'hésite pas à toucher à la peau pour la plier sur le côté. Pam se recule, écœurée. Elle se tourne et prend un instant pour respirer. La plupart des organes sont maintenant à vue. C'est la première fois qu'elle en voit pour de vrai. Au lycée, elle avait disséqué un cœur de volaille et un œil de bœuf, mais ça n'a rien avoir. Là, il s'agit d'éléments humains. Ce sont des choses qui sont actuellement dans son propre corps. Elle ferme les yeux, et imagine un endroit serein. Elle est allongée sur l'herbe avec les autres enfants. Le soleil se couche. Le ciel est crépusculaire. C'est magnifique à regarder. L'air n'est ni froid, ni chaud. C'est un souvenir agréable qu'elle utilise souvent pour ne plus avoir peur. Elle se retourne, calmée et se rapproche du corps ouvert. Elle aperçoit tous les organes... Et déglutit.

— Je suppose que vous savez déjà que les intestins mesurent huit mètres. Voyez-vous comme le corps arrive à tout tasser ? Comme c'est fascinant ! tente de divertir le docteur Kang.

Il essaie de l'éduquer pour que « ça » passe. Pam apprécie son initiative.

— J'ai cru comprendre qu'il existait une sorte de poche qui englobait tous les organes...

— Vous parlez du péritoine, je suppose ?

Pam hausse les épaules.

— C'est la chose lisse et brillante que vous voyez. Elle est translucide.

— Mh...

Aussitôt après, le docteur Kang découpe en premier lieu le foie. Il le passe à Pam, qui le saisit à contrecœur, et le met dans la balance. C'est comme tenir une grosse limace baveuse dans sa main...

— Un kilo deux, annonce-t-elle.

Elle se croirait au marché de fruits et légumes. Elle lui redonne. Ils font de même avec le cœur, le pancréas et ainsi de suite... Au bout d'une demi-heure, le docteur Kang fouille l'estomac et les intestins. Pam grimace derrière son masque. Il prélève des liquides tout en lui racontant des anecdotes, qu'elle ne connaissait pas, sur les différents organes du corps humain. Pam a l'impression qu'elle n'aura plus jamais faim de sa vie. Ils terminent l'autopsie deux heures plus tard. Elle éteint la caméra et la prend avec elle. C'est déjà la fin de journée. Pam s'est hâtée pour se changer et remonte dans le hall d'accueil. Hyun-su est déjà parti.

— Sortez ce soir, mademoiselle Cosson... Changez-vous les idées, invite le docteur Kang.

Elle acquiesce.

— Et si vous avez besoin de parler à un professionnel de ce qui s'est passé aujourd'hui, n'hésitez pas. C'est important la santé mentale ! 

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