CHAPITRE 54
13 Novembre 2023
— Je vérifie tout et on pourra partir, annonce le docteur Kang.
Il disparait dans le hall tandis que Sang-kyu et Young-sun l'attendent à l'extérieur, devant la voiture. Hyun-su n'est pas là car c'est son jour de congé. Le jeune docteur a les mains dans les poches. Sang-kyu regarde les vidéos de sa caméra en soupirant. Ça fait quatre jours que Pam n'a pas donné signe de vie. Enfin, plus exactement, ça fait quatre jours qu'elle n'a pas donné de nouvelles à Young-sun. Pourtant, il a tenté de l'appeler pour s'excuser. Il a même envoyé des messages... Mais sans retour.
— En fait, vous avez des nouvelles de Pam, Sangkyu-shi ?
— Ouais, siffle-t-il.
Il attend qu'il en dise plus mais ça ne vient pas.
— Et donc... Elle va bien ?
— Ouais.
Il est froid avec lui. Ce qu'il peut comprendre. Pam et Il-wan ont dû tout lui raconter.
— Est-ce qu...
— Je ne pense pas que ça vous regarde en fait, Youngsun-shi, répond le jeune homme.
Il n'est pas prêt à lui pardonner son geste. Il ne l'appelle même plus « hyung ».
— Si vous touchez encore à ma Noona, je vous jure que vous vous souviendrez toute votre vie de mon nom.
— À ce sujet, je...
Mais il n'a pas le temps de s'expliquer. Le docteur Kang revient à ce moment-là et se dirige vers la voiture sans tarder. Ils montent tous les trois, dans un silence de mort. À quoi bon ? Personne ne croira Young-sun s'il tente de convaincre son auditoire qu'il a voulu protéger Pam et non l'agresser. Certes, la protéger d'une voiture bousillée... Mais, tout le monde pensera qu'il est fou s'il avoue qu'il se souvient de sa vie antérieure et qu'il enquête sur son propre meurtre. Même Pam lui rirait au nez.
« Je reviendrai Poppy. Je te le promets. Je reviendrai et je découvrirai la vérité... Justice sera faite. Pour nous. Pour toi. Tu as ma parole pour toujours. »
Pourtant, il a fait une promesse. C'était écrit comme ça. Il devait renaître pour connaître la vérité sur sa propre fin. Maintenant, il sait exactement pourquoi il a cette vie de merde. Depuis toujours... Depuis sa naissance. C'est une punition divine. C'est sa faute si Poppy – Pam – est morte. C'est pour ça qu'il est le seul à se souvenir et qu'il souffre autant. C'est mérité. Et c'est normal qu'il soit seul dans ce bordel. Il y a un dicton, dans son pays, concernant la réincarnation et le karma : les Hommes ont une vie pour planter des graines, une vie pour les arroser, une vie pour les récolter et une vie pour chérir les récoltes.
— À mon avis, je récolte ce que j'ai arrosé, soupire Young-sun le coude collé à la portière et le regard perdu dans le vide.
— Pardon ? souffle le docteur Kang.
Young-sun sort de ses pensées et se tourne vers son collègue. Merde, il a parlé à haute voix ? Il se sent encore plus idiot.
— Euh, non... Rien.
Dans le rétroviseur, il observe Sang-kyu secouer la tête d'un air dépité. Young-sun aurait même juré entendre un « babo » sortir de sa bouche. Mais, est-il le mieux placé pour le remettre à sa place ? Non. Là aussi, c'est mérité.
Le docteur Kang se gare devant le commissariat de Gwanak. Les trois collègues sortent de la voiture et se dirigent vers l'entrée du bâtiment. Connaissant déjà le chemin, ils passent les portes d'accès, autorisées seulement aux personnels, et se dirigent vers une salle dédiée spécialement à l'enquête en cours. Quand ils ouvrent la porte, Jung Il-wan sermonnent deux stagiaires.
— Vous appelez ça un « rapport bien rédigé » ? Vous recommencez ! ordonne-t-il en leur jetant un papier en boule.
Il change d'attitude en les voyant arriver.
— Ah ! Docteur Kang, vous l'avez ?
— Oui, un instant.
Le docteur Kang fouille dans sa mallette en cuir et tend une chemise à élastique rouge au lieutenant Jung.
— J'ai nettoyé de longues heures le moteur pour trouver ce numéro de série. J'espère que c'est assez lisible.
— On verra ça... Ya, Lee Eun-sok, va me trouver le propriétaire de la voiture dans les archives, enjoint-il en tendant la chemise au stagiaire que Young-sun reconnaît.
Ce dernier la saisit en tremblant.
— Et si c'est trop vieux pour être dans les archives numériques ?
— Tu te déplaceras sur place. C'est une mission trop responsable pour toi ?
— Non, non... J'y vais de ce pas, lieutenant...
— C'est urgent, alors dépêche-toi ! signale Il-wan tandis que le stagiaire disparait derrière la porte en courant.
Sang-kyu pousse un soupir.
— Vous êtes trop sévère avec lui, hyung, déclare-t-il.
— Ce n'est pas méchant, ça forge le caractère. Et concernant les corps, docteur Kang, vous avez du nouveau ?
Il les invite à s'asseoir. Sang-kyu pique la place de Young-sun. Il se retrouve donc comme un con debout. Il se colle au mur.
— Il y a eu des découvertes importantes... La conservation miraculeuse des squelettes a bien aidé, commence le docteur Kang.
— Miraculeuse ? À ce point ?
— On ne peut pas l'expliquer scientifiquement. C'est comme si une chose voulait être certaine de trouver l'identité des victimes...
Young-sun se racle la gorge. Deux regards pleins de critiques se tournent vers lui tandis que le docteur Kang fouille encore dans sa mallette. Il sort une pochette verte et l'ouvre. Il tend un à un les feuilles à Il-wan.
— Je me suis penché en priorité sur l'identité des victimes. J'ai observé l'usure dentaire, le gril costal... On a affaire à un homme d'une trentaine d'années et à une femme d'une vingtaine d'années.
— Et, la cause de la mort ?
Le docteur Kang se tourne vers Young-sun pour qu'il participe aussi. Ce dernier croise les bras contre son torse pour regarder Il-wan.
— Nous allons commencer les autopsies très bientôt. Mais, selon nos premières constations sur place, puis dans le hangar, ils ont été attachés volontairement, ce qui peut faire penser à une noyade volontaire... Mais quel type de noyade ? On le saura, je l'espère. Il y a des traces visibles au niveau de la cage thoracique de la jeune femme. Les vêtements ont pris tarif, mais on dirait bien qu'elle s'est fait poignarder. On en saura plus avec les résultats des radios.
Un frisson d'effroi parcourt le corps de Young-sun en repensant à cette triste scène.
— Quand tu parles de « type » de noyade, tu veux dire qu'il y en a plusieurs ? questionne d'un air blasé Il-wan.
— En effet. Il y a ce qu'on appelle la « noyade bleue », lorsque la personne est encore vivante, et on parle de « noyade blanche » quand la personne meurt sur le coup ou quand elle est déjà morte.
— Je vois.
— Donc, il est fort possible qu'ils aient été balancés à l'eau pour cacher le crime et effacer les preuves, interprète le stagiaire restant au nom inconnu.
Il-wan vient lui caresser la tête comme si c'était son chien.
— Sans blague, mon p'tit Tae.
Young-sun secoue discrètement la tête. Pauvre gosse. Quelqu'un frappe timidement à la porte.
— Quoi ? hurle Il-wan.
La porte s'ouvre et le visage d'Il-wan s'adoucit. Young-sun se décolle du mur, à la fois gêné et déconcerté.
— Noona ! s'agite Sang-kyu.
— Mademoiselle Cosson, roucoule le lieutenant Jung, quelle charmante surprise !
Pam entre dans le bureau avec un tas de dossiers dans les bras. Son regard et celui de Young-sun se croisent rapidement. Elle s'avance et pose lourdement tous les dossiers sur la table dans un soupir fatigué. La table émet un bruit sourd à cause du poids en plus.
— Qu'est-ce que c'est que tout ça ? questionne Il-wan en commençant à ouvrir un dossier.
— J'ai fouillé dans toute la ville pour trouver ces dossiers. Ils regroupent le nom de personnes disparues. Des personnes qui ne sont jamais rentrées chez elles, qui n'ont plus jamais donné signe de vie... Des proches qui ont signalé des disparitions sans succès. Des avis de recherches... Tout ça entre les années soixante et les années deux mille dix. Et ce n'est pas que des Coréens. J'ai été dans toutes les ambassades nationales pour trouver des voyageurs étrangers qui seraient venus ici à ces époques et qui ne sont pas repassés par les douanes. J'ai tout trié par année et ville.
Il-wan hoche la tête d'un air satisfait. Young-sun reste bouche bée.
— Beau travail mademoiselle Cosson ! C'est donc pour ça que vous aviez disparu pendant plusieurs jours... Encore un peu et votre nom se retrouvait sur cette liste, plaisante le lieutenant.
— Pas si on vise les années soixante et soixante-dix, répond cette dernière.
— Comment le savez-vous ? interrompt le docteur Kang.
Tout le monde se tourne vers lui. Pam remet correctement son sac à main sur son épaule.
— Pardon ?
— Comment savez-vous pour les dates approximatives de l'incident ? Vous n'étiez pas là quand le technicien nous en a parlé.
Young-sun et Pam s'échangent un autre regard rapide. Il y a un long silence dans la salle. Pam se met à rire nerveusement. Ses joues virent au rouge.
— C'est... C'est aux infos.
Il-wan claque un dossier sur la table, ce qui fait sursauter Sang-kyu et Pam. Il sort de la salle en trombe.
— Merde, les gars, qui a balancé l'info ? On n'avait dit pas de déclaration aux journalistes avant une preuve concrète ! Retrouvez-moi le mouchard ! annonce-t-il à ses collègues en s'éloignant.
Young-sun observe longuement Pam. Elle ment. Il le sait. Mais dans ce cas, comment sait-elle ? Il ne lui a pas dit. Sang-kyu ne savait pas non plus... Et vu la question du docteur Kang, il ne lui a pas dit non plus. La jeune femme se racle la gorge et s'installe sur la chaise d'Il-wan. Elle évite tout contact visuel. Elle pose son sac à main au sol et prend un dossier dans ses mains.
— Bon, alors, on les épluche maintenant ou dans cent ans ces dossiers ? presse-t-elle.
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"Babo" est la traduction du mot « abruti »
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