CHAPITRE 4

20 Septembre 2023 - Seoul, Corée du Sud

À son réveil, le son le hante toujours... Et, il est très vite mélangé aux différents hurlements de cette soirée qui finissent par n'en former qu'un. C'est toujours la même chose.

Ses yeux s'ouvrent brutalement et il se redresse, comme s'il cherchait de l'air pour pouvoir respirer. Il suffoque, il étouffe, il se sent oppressé. Sa cage thoracique semble écraser ses poumons. Il y a un poids qui reste là tout le temps. Mais, est-il réel ou imaginaire ?

De la lumière... Il lui faut de la lumière !

Il cherche à tâtons son portable. Dans ses souvenirs, il est posé sur sa table de nuit.

Lorsqu'il touche le précieux appareil, son cœur bat plus fort. Il déverrouille son écran, active sa lampe torche et se lève en titubant pour rejoindre l'interrupteur au bout de la pièce. Il manque de trébucher à plusieurs reprises, mais il tient bon.

La lumière éclaire enfin la chambre et il se laisse glisser le long du mur, haletant. Il peut se calmer. Il n'est plus là-bas, il est ici. Tout va bien. Il reprend son souffle petit à petit... Et il croise son regard dans le miroir encadrant son placard. C'est le regard d'un homme effrayé et perdu. Il n'aime pas ça. Il déteste paraître faible.

Avec tout ce bordel, il n'a pas pensé à regarder l'heure. Son torse monte et descend lentement. Il entend son souffle sortir par ses narines. On dirait qu'il vient de courir un marathon.

Comme à chaque fois.

Il ferme les yeux et laisse sa tête tomber en arrière pour rejoindre le mur. De toute manière, il ne pourra pas se rendormir, quel que soit l'heure. Il ne veut pas revivre ce cauchemar une seconde fois dans la même nuit. C'est déjà arrivé, quand il était petit, et il ne veut plus jamais revivre ça... Il n'a plus l'âge de mouiller ses draps.

Ce cauchemar... Ce foutu cauchemar. C'est toujours le même depuis des années. Ça commence toujours de la même manière, par la rencontre avec cette femme... Et ça termine toujours de la même manière, quand...

Il déglutit et ouvre les yeux. Les images lui sont revenus d'un coup. Il se sent mal et il a froid. Un frisson glacé parcourt son dos et ses jambes. Il ne veut plus y penser pour aujourd'hui...

Même si demain ne sera pas différent de ce jour.

Il se lève difficilement et s'appuie sur le mur pour s'aider. Il traverse sa chambre et se dirige vers la pièce d'en face : la salle de bain. Il fait glisser son caleçon au sol et prend une douche bien chaude. Il laisse couler l'eau longtemps pour essayer de se détendre.

Quand il en sort une bonne demi-heure plus tard, la pièce est remplie d'un petit brouillard et il y a de la buée sur le miroir. Il passe sa main dessus et attrape une serviette pour se sécher les cheveux. Quand il baisse sa serviette, il croise encore son reflet.

C'est bien le sien. C'est celui de Kwan Young-sun. Mais dans ses cauchemars, il ne s'appelle pas comme ça. Il s'appelle Kim Yae. Pourtant, c'est lui. C'est totalement lui. Il ressent tout ce que ressent Yae. Il lit dans ses pensées. Donc c'est forcément lui-même. Mais Poppy, elle, n'est qu'imaginaire. Peut-être que c'est mieux pour elle, tout compte fait...

Alors, pourquoi son cerveau lui invente cette autre identité ? Doit-il subir pour toujours ces atrocités ? Il n'a jamais entendu ce nom auparavant. Et il ne se souvient pas avoir entendu une histoire pareille. Kwan Young-sun est son nom de naissance. Enfin... Le nom qu'on lui a donné à l'orphelinat.

Il est pourtant allé voir pleins de spécialistes. Il a fait des examens complets... Mais non. Kwan Young-sun est un petit garçon, un adolescent, et un adulte avec tout bonnement beaucoup d'imagination et l'abonné unique du Bureau des Rêves Lucides.

Il se sèche le reste du corps, s'habille et prend ses clés de voiture. Young-sun n'a pas d'activités personnelles en dehors du travail... Son travail, c'est à peu près tout ce qu'il a dans la vie. Alors, c'est naturellement qu'il s'y rend. Il n'a que ça à faire de toute manière. Ses journées sont rythmées par son travail et ses cauchemars. C'est sa routine. Ses seules raisons de vivre, apparemment.

Le ciel est encore bien noir quand il sort de chez lui. Il n'a même croisé aucune voiture durant son trajet. Quand il arrive à sa destination, il est déjà cinq heure trente-deux. Il éteint le moteur et s'arrête un moment pour observer le bâtiment dans le silence et l'obscurité. Quand il fait ça, la morgue et les pompes funèbres lui semblent étrangement oppressantes... Comme des ennemies. De vieilles ennemies. Il n'a jamais compris ce sentiment.

Il sort de sa voiture une dizaine de minutes plus tard et claque sa portière, rompant ainsi la silence du quartier. En s'approchant du bâtiment, un vent glacial tourne autour de lui. Il sort ses clés de sa veste et allume la lampe torche de son portable pour trouver la serrure et la bonne clef. Il l'insère ensuite et tourne la serrure. Clic. Young-sun pousse la porte en verre. Dès qu'il entre, il la referme aussitôt derrière lui.

Il se trouve actuellement à l'accueil, celui des pompes funèbres. La morgue et le labo sont au sous-sol. Young-sun se dirige vers le vieil ascenseur. Il appuie sur le bouton et attend patiemment. Son bruit strident résonne dans toute la bâtisse. Impossible de ne pas savoir que quelqu'un monte ou descend. En attendant que les portes lumineuses s'ouvrent, le jeune asiatique se tourne pour observer l'accueil et les vitrines.

Il n'a jamais cru aux fantômes, mais cela ne l'étonnerait pas d'en voir ici. Ce lieu est si... Spécial. Il ne se souvient même plus combien de cadavres il a vu passer entre ces murs, combien de familles portant le poids du deuil et du chagrin...

Les portes s'ouvrent finalement dans un grincement irritant, le sortant de ses pensées macabres. Il peut enfin éteindre sa lampe de portable. Il entre dedans et appuie sur un bouton usé par le temps. L'ascenseur vibre, les portes se ferment et il descend dans un bruit toujours aussi fracassant. Depuis que Young-sun travaille ici, cet ascenseur n'a jamais été réparé. Pourtant, ce n'est pas l'argent qui manque...

L'ascenseur s'arrête brusquement et les portes glissent sur le côté gauche en couinant. Young-sun ressort ses clés et se dirige droit vers son bureau. Il s'arrête au milieu du couloir pour appuyer sur l'interrupteur. La lumière jaunâtre s'allume dans un claquement et vacille trois fois avant de devenir stable. Cela ne déstabilise pas Young-sun.

Il continue son chemin vers son bureau. Une porte grise sans vitre. Ainsi, il est complètement coupé du monde lorsqu'il doit faire de la paperasse ou simplement quand il veut rester seul. Il ouvre la porte et entre en allumant, encore une fois, la lumière.

La pièce est assez petite. Elle contient un vieux canapé, un ordinateur avec une tour, un bureau, une chaise, une petite table, des dossiers et des papiers un peu partout. Il n'y a aucune fenêtre.

Il pousse un soupir et jette les clés sur son bureau. Puis, il s'assoit lourdement sur la chaise, qui couine elle aussi, et allume l'ordinateur. Le ventilateur fait un bruit d'enfer. L'écran s'anime mais il est rose.

Sshibal, peste Young-sun.

Il tape plusieurs fois sur le côté de l'écran avant qu'il prenne une couleur normale. Il tourne sur sa chaise en attendant. Il devrait demander au patron d'investir dans des ordinateurs plus récents... Sans tour. Des ordinateurs portables...

Il sursaute quand il entend l'ascenseur se refermer et monter. Young-sun se dresse sur sa chaise, intrigué. Son regard ne quitte pas les portes de l'ascenseur. Quand ce dernier redescend après quelques minutes, il n'hésite pas à se lever pour retourner dans le couloir, et à se rapprocher. Il se colle au mur pour pouvoir surprendre son potentiel adversaire...

Les portes finissent par s'ouvrir. Une chaussure en cuir noir pose le pied dans le couloir. Young-sun devance la personne en l'attrapant par le col et en la plaquant violemment dans l'ascenseur. Son air sérieux remplace très rapidement un regard honteux quand il se rend compte qu'il agresse la mauvaise personne.

— Kang Dae-hyun seonsaengnim... ?

Il relâche aussitôt son emprise et se recule. Il se sent soudainement idiot et très impoli. Son interlocuteur a un regard très surpris, mais très vite, il se met à rire. Young-sun s'incline à quarante-cinq degrés et se redresse aussitôt pour s'excuser.

Seonsaengnim, je suis profondément désolé... Je vous ai pris pour un voleur, s'excuse-t-il.

— Quelle force jeune homme ! J'aurais dû t'embaucher comme agent de sécurité, taquine le docteur Kang.

Young-sun se gratte l'arrière de la tête, embêté par cette situation. Il se met à suivre le plus âgé. Il s'agit du propriétaire de l'établissement, et donc son patron. Au fil des années, il est devenu comme un père pour le jeune homme, même s'il ne l'avouera jamais. Young-sun le respecte et lui doit beaucoup.

Le docteur Kang ouvre la porte de la morgue et allume la lumière. Il se tourne vers Young-su en retirant son Fedora.

— Tu es encore venu tôt, observe-t-il.

— Je pensais qu'il n'y aurait personne avant longtemps... Je voulais m'occuper en attendant des appels. Et vous, que faites-vous ici ?

— Mh... Je n'ai pas le droit de venir dans mon propre établissement quand je veux ?

Il retire sa veste. Young-sun se sent de plus en plus con.

— Si, si, bien sûr... Désolé.

— Je te taquine, voyons !

Le vieil homme sourit. Il enfile ensuite sablouse médicale, entre dans la morgue et se rapproche d'une celluleréfrigérante, Young-sun sur ses talons. Une pochette y est scotchée et contient un premier rapport. Young-sun reconnaît l'emplacement du mort amené hier soir. Son visage est complètement défiguré et le bout des doigts a été brûlé pour retarder le plus longtemps possible son identification. Pour Young-sun, il s'agit d'un meurtre sans aucun doute. Mais, il faut faire une autopsie pour le confirmer. D'ailleurs, le docteur Kang souhaite surement le faire dans la foulée. Le vieil homme semble perdu dans ses pensées en regardant le rapport.

— J'ai pensé à cette personne toute la nuit, et je me suis senti mal de l'avoir laissé tomber hier soir... Il est seul et personne ne sait qui c'est.

Young-sun déglutit.

— Vous n'avez pas à vous sentir mal... Hier était une journée assez particulière. On en a vu des choses...

Le docteur Kang pousse un long soupir et remet le rapport dans la pochette avant de répondre.

— En effet.

Young-sun décide de mettre sa blouse à son tour, ainsi que des gants.

— Je vais vous aider. Découvrons ce qui s'est passé !


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"Seonsaengnim"  signifie en principe « enseignant » mais il est beaucoup utilisé pour s'adresser à des personnes occupant des emplois professionnels ou comme marque de respect.

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