CHAPITRE 31

Pam reste silencieuse dans la voiture. Elle n'a même pas demandé où ils se rendaient, ni de quoi il s'agissait. Elle se contente de regarder la route par le biais de la vitre. Young-sun ne sait pas comment s'y prendre pour s'excuser de son comportement de tout à l'heure. Il ouvre et referme la bouche, se ravisant aussitôt. Il redoute d'être maladroit dans ses propos et d'envenimer encore plus la situation... Après une grande hésitation, il se racle la gorge pour attirer l'attention de la jeune femme.

— Ce film... Jane Doe... De quoi ça parle ?

— Vous ne l'avez pas vu ? questionne-t-elle d'un ton aigre.

— Je ne pense pas... Ni même le docteur Kang.

Elle cale son coude contre la portière pour se tenir la tête.

— C'est un film d'horreur.

Young-sun hausse un sourcil. Il lui jette un rapide coup d'œil avant de revenir sur la route.

— Vous aimez ce genre de film ? demande-t-il, surpris.

— J'adore ça.

La Vie est vraiment étrange. 

Il voit du coin de l'œil l'étudiante se mettre droite sur son siège.

— La film raconte l'histoire d'un père et d'un fils qui tiennent une morgue locale. Un jour, le corps d'une femme est amené mais il est en parfait état. Au fil de l'autopsie, ils vont découvrir des choses étranges. Et, il y a des évènements surnaturels qui se produisent en même temps dans les locaux, explique-t-elle.

Il l'écoute attentivement tout en s'arrêtant à un feu rouge.

— Des évènements surnaturels ?

Quand le feu vire au vert, il repart et tourne dans une rue. Elle pivote vers lui pour le regarder.

— Genre à un moment, une tempête se lève et ils ne peuvent pas sortir de la morgue, littéralement.

— Comment ça se fait ? Le corps est possédé ?

— Et bien, en fait, le plot twist c'est que... Oh mon dieu, lâche-t-elle dans sa langue natale.

Elle se baisse pour regarder en dessous du pare-brise.

— Garez-vous ici ! demande-t-elle.

— Nous sommes arrivés de toute manière.

Il se gare sur le côté. Une foule bloque des escaliers près de la voiture.

— Ne me dites pas que c'est la cathédrale de Myeongdong ? souffle Pam en sortant.

Elle court en se faufilant parmi la foule dans les escaliers. Young-sun baisse sa vitre.

— Mademoiselle Cosson ! appelle-t-il.

Mais elle est déjà loin. Il sort à son tour et se rend à son coffre pour prendre le matériel. Il ferme sa voiture puis se dépêche de monter toutes les marches. Un cordon de sécurité a été mis au niveau des dernières marches. Quand il arrive à la hauteur de Pam, il s'aperçoit qu'elle ne quitte pas des yeux l'église détruite. Il se présente à l'un des policiers près du cordon.

— Je suis le docteur Kwan et voici mademoiselle Cosson. Elle m'accompagne.

Il présente sa carte. Le policer hoche la tête et les fait entrer. Young-sun attrape le bras de Pam pour la faire avancer.

Oh mon dieu, ça recommence, continue Pam dans sa langue natale.

Mais Young-sun ne parle pas le français, alors il ne comprend pas ce qu'elle raconte. Il ne la lâche pas et s'avance vers les pompiers. Il y a un trou béant dans le toit et des décombres tout autour de la cathédrale. Le feu est éteint et de gros nuages noirs traversent la ville. Ce n'est pas un spectacle qu'on voit tous les jours.

— Vous êtes le médecin légiste ? On a tout fait pour arrêter l'incendie mais il a fait pas mal de dégâts, je n'ai jamais vu ça, se présente un pompier.

Pam a un regard nostalgique sur l'église. Le pompier la juge de haut en bas et questionne silencieusement du regard Young-sun. Il hoche la tête pour le rassurer.

— Ça me fait penser à Notre-Dame en 2019, pas vous ? Evidemment, l'incendie est moins impressionnant, fait remarquer le pompier.

Pam se tourne vers le pompier et lui lance un regard accusateur. Young-sun comprend alors son état d'esprit à cet instant. Il décide d'y couper court.

— Tout le feu a été éteint ? interroge-t-il.

— Oui et la fumée s'est dissipée. Mais, je vais envoyer deux de mes hommes avec vous au cas où. Le risque zéro n'existe pas.

— Bien. Est-ce que vous avez vu quelqu'un sortir ? Il y a des blessés ?

— Non, personne.

Young-sun se tourne vers Pam.

— Allons-nous habiller, mademoiselle Cosson, indique-t-il.

Ils s'avancent vers les véhicules des secours pour se changer.

— Vous êtes croyante ? questionne prudemment Young-sun.

— Euh, non... Enfin... Oui, en quelque sorte, répond Pam un peu confuse.

Une réponse ambiguë mais ce n'est pas le moment de lui faire remarquer.

— Est-ce que ça va aller ?

— Oui, oui... C'est que... On parlait du film, et maintenant une église qui brûle... On dirait presque une suite logique.

Il l'observe s'attacher les cheveux en cinq secondes. Puis, ils commencent à enfiler leur combinaison et leurs gants. Young-sun réfléchit un instant.

— Donc... Vous pensez que c'est une force maléfique qui a mis le feu à l'église ? Vous croyez aux forces maléfiques... Au Diable ? Aux Enfers ? tente-t-il de déterminer.

— Tous les films d'horreurs qui parlent de fantômes et d'esprits font un peu référence à ça, non ?

Elle n'a pas vraiment répondu à sa question, mais bon. Elle se redresse après avoir enfilé ses sur-chaussures.

— Et vous ? Vous pensez que le Mal existe quelque part ?

Il la fixe en repensant à ses cauchemars. Il serre alors la mâchoire.

— Oui... En quelque sorte.

Pam l'observe longuement. Puis, ils mettent leur masque. Quand ils sont prêts, ils s'avancent vers l'église. L'incendie, surement suivi d'une explosion, a créé un trou dans le mur pour laisser un passage. Les portes d'entrée sont ensevelies sous un tas de briques. Il n'y a plus beaucoup de fumée mais l'air n'est pas très agréable à sentir ni à respirer. Il y a une forte odeur chimique.

— Bien, donc... Nous sommes ici pour déterminer s'il s'agit d'un incendie criminel ou accidentel. Il faut qu'on détermine la zone de départ de feu et la cause. Mais il faut faire vite car si des liquides ont été utilisés pour causer l'incendie, ils risquent de disparaître à cause de l'eau ou de la chaleur, expose Young-sun à Pam.

Il s'avance et découvre que l'énorme trou dans la charpente menace de s'effondrer à tout moment.

— Ce truc va nous écraser, met en garde Pam.

— Mais non, se rassure Young-sun.

Il pose sa mallette dans un coin épargné par les flammes et l'ouvre. Les pompiers, qui les accompagnent, veillent à leur sécurité. Pam s'accroupit pour regarder ce que Young-sun fait. Ce dernier attrape des bocaux et des écouvillons.

— Quand il y a un incendie, il faut toujours regarder les traces de combustions sur le bois. C'est ce qu'on appelle l'alligatoring. Il nous indique la direction qu'a pris le feu. On regarde ensuite la localisation du foyer. Plus les traces sont basses, plus cela nous montre le départ de feu. Et enfin, on vérifie la source d'allumage avec le triangle de feu, apprend-t-il.

— Le triangle de feu ?

— Pour allumer un feu, il faut un oxydant, un réducteur et une énergie d'activation. Par exemple, le plus souvent, c'est l'oxygène, l'essence et une allumette. Mais ce n'est pas tout. On regarde aussi les modes de transfert de l'incendie.

— Qui sont ?

— La convection, la conduction et le rayonnement... Ou alors, ça peut être aussi de simples chutes de projection de matériaux qui créent à leur tour des foyers secondaires.

— Je vois.

Pam se redresse et lève la tête. Elle regarde tout autour d'eux.

— L'autel a été épargné. Est-ce grâce au marbre ? Mais je crois que...

Pam s'éloigne vers ce dernier. Elle enjambe la moitié des bancs calcinés. Elle monte les petites marches et se rapproche de l'autel. L'un des pompiers la suit à la trace.

— Mademoiselle, attention ! proteste-t-il.

Young-sun sait déjà qu'elle ne l'écoutera pas.

— Les bougies sont par terre. Mais je ne vois pas les bougeoirs... Ni le calice, indique-t-elle haut et fort.

Elle se retourne et marche vers la sculpture.

— On dirait qu'ils ont essayé de s'en prendre à l'or sur le retable. Mais...

Elle se baisse, se redresse et montre un pied de biche.

— Je crois qu'ils ont tenté de le prendre avec ça !

— Mademoiselle Cosson, je vous ai déjà dit de ne pas vous faire de fausses idées sur vos premières impressions, commente Young-sun en se redressant.

Elle roule des yeux.

— Mais c'est évident ! Qu'est-ce qu'un pied de biche fait dans une église ?

— Remettez-le où vous l'avez trouvé, j'arrive.

Elle soupire et se baisse pour le remettre à sa place. Il parcourt lui aussi le champ des bancs à l'agonie et la rejoint. Effectivement, elle a l'œil. L'autel a été épargné et le reste autour ressemble à un champ de guerre. Des vitraux ont explosé sous l'effet de la chaleur. Des bouts de verres parsèment le sol. Young-sun prend tout en note et fait des dessins. Quand il termine, il se redresse et observe Pam. Elle a les bras croisés contre sa poitrine et regarde droit devant elle.

— Et bien, elles sont belles vos traces vues d'ici.

— Pardon ?

Quand il l'imite, il est stupéfait. Il y a une trace, plus foncée que les autres, qui traverse toute la nef jusqu'au narthex. Les traces grimpent ensuite tout le long du mur et tourne sur la gauche, là où il y a le grand trou dans la charpente. Mais pourquoi un seul trou ici ? Et pourquoi un second pour créer le passage ? Y'a-t-il eu des explosifs ? Il prendra des échantillons.

— A mon avis, ça n'a pas été fait avec de l'eau bénite, ironise Pam.

— Nous le saurons au labo.

Il lui tend plusieurs écouvillons.

— Vous allez me prélever différents échantillons sur tout le parcours. Faites-le bien et étiquetez tout ce qu'il faut avec les renseignements adéquates. Pas de contamination. Je compte sur vous.

— Je sais, vous me l'avez expliqué en début de semaine... Et j'ai lu vos stupides fiches.

Elle prend les échantillons, les arrachant presque de ses mains, et commence à travailler consciencieusement. Young-sun l'observe un instant avant de se tourner vers le pompier pour lui poser d'autres questions... Mais il le coupe dans son élan.

— Entre nous, un bouquet de fleurs ne suffira pas, emmenez-la au restaurant.

— Pardon ? souffle Young-sun.

— Votre copine. Ça se voit que vous vous êtes disputés. Écoutez, je vous donne juste un conseil d'homme à homme... Le secret avec les femmes, c'est la nourriture.

— Mais, je...

Le pompier lui donne une tape amicale sur l'épaule et continue de surveiller avec son collègue. Young-sun l'observe s'éloigner, ses bocaux en mains, comme un idiot. 

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