CHAPITRE 108

— Il a été retrouvé à temps. Un peu plus, et il passait dans la broyeuse, signale le docteur Kang en soulevant le drap.

En découvrant l'identité de la personne allongée sur la table d'autopsie, Pam écarquille les yeux et plaque sa main droite sur sa bouche pour éviter de jurer. Sa stupeur est très vite remplacée par la confusion et le malaise. Le lieutenant Jung, présent également dans la pièce, pose une main réconfortante sur son épaule. Il lui lance un regard interrogateur. Pam hoche la tête pour fallacieusement le rassurer. Son visage se tourne vers le docteur Kang. Elle prend un certain temps avant de prendre la parole.

— Vous avez parlé d'une broyeuse... Où a-t-il été retrouvé exactement ?

— Dans une casse, répond à sa place le lieutenant Jung.

Il retire sa main de l'épaule de Pam et se rapproche du corps, aux côtés du docteur Kang. La jeune femme le suit du regard. Ses sourcils se froncent.

— Une... Une casse ?

— Les mécaniciens ont sorti une vieille voiture pour la mettre dans la broyeuse. C'est à ce moment-là qu'ils ont senti une odeur étrange provenant du coffre... C'est ainsi qu'ils l'ont découvert, décrit le lieutenant Jung.

Le cœur de Pam commence à s'emballer. Elle se sent mal. Elle se recule encore et tente de faire les cent pas pour reprendre son souffle... Et réfléchir.

Une casse...

— Il était là-dedans depuis longtemps ? déglutit-elle.

— Vu l'état de décomposition, je dirais au moins quinze jours, répond le docteur Kang.

Pam s'arrête et pose son regard sur le corps... Celui du procureur Jeon. C'était un connard, certes, et elle ne sait pas s'il la détestait réellement. Pourtant, elle n'aurait jamais souhaité qu'il meure. Quelque chose cloche. Pam le sent. La réponse est sous ses yeux, mais elle n'arrive pas à trouver laquelle. Le procureur Jeon est retrouvé dans le coffre d'une voiture, se trouvant elle-même dans une casse...

— C'est un meurtre, souffle-t-elle.

Dans une casse...

— Il ne s'est pas mis là-dedans tout seul, ça, c'est certain, reconnaît le lieutenant Jung.

Le docteur Kang saisi la tête de l'ex-procureur Jeon pour la soulever avec précaution et désigner quelque chose avec son doigt ganté.

— Il a été frappé violemment à la tête, vous voyez ? Juste ici. Je vais avoir besoin de votre aide, mademoiselle Cosson. En dehors du docteur Kwan, vous êtes la seule qui puisse m'aider sur ce coup.

— Quelle fin de vie affreuse, murmure Pam.

Assassiné puis jeté comme un déchet... Trahis et abandonné par sa propre espèce. N'y a-t-il pas plus tragique comme chute ?

— Personne n'avait signalé sa disparition ? continue Pam.

— On vient de commencer l'enquête, mais les témoignages décrivent un homme sans famille et dépendant de son travail. Il n'avait personne d'autre que lui, en clair, éclaire le lieutenant Jung.

Pam se sent nauséeuse. Les coïncidences n'existent pas. Pour elle, il n'y a aucun doute sur l'identité de l'assassin. C'est le lieutenant Baek. Avec la découverte à la casse hier, et les magouilles dont elle a été témoin... C'est possible. Mais il manque la chose la plus importante : le mobile. Pourquoi le lieutenant Baek aurait tué le procureur Jeon ? A-t-elle égaré une pièce de puzzle durant toutes ces entrevues ? Côtoie-t-elle un meurtrier et un corrupteur depuis le début ? Elle a soudainement une bouffée de chaleur et tente de cacher le cheminement de ses pensées troublées aux deux hommes.

— Qui d'autres est au courant de ce meurtre ?

— Le lieutenant Baek. C'est avec lui qu'on enquête.

Mon dieu.

Pam a un léger vertige et se retient au mur à temps. Le lieutenant Jung se précipite vers elle.

— Mademoiselle Cosson ! Vous allez bien ? Vous êtes toute pâle...

— Je, euh...

Pam se redresse. Elle croise les regards inquiets du docteur Kang et du lieutenant Jung.

— J'ai besoin de prendre l'air...

Elle se sent oppressée dans cette pièce métallique et dénuée de couleur. Pam jette un dernier regard au corps sans vie du procureur Jeon, avant de sortir de la pièce, puis de bâtiment à grande vitesse. Une fois à l'extérieur, elle se laisse tomber sur les marches en béton.

Toutes les personnes qu'elle connait meurent ou se font agresser une à une.

Sang-kyu...

D'une main tremblante, elle sort son portable. Elle aperçoit que sa main est vraiment pâle. Elle cherche le contact de son meilleur ami et l'appelle. Elle approche l'appareil de son oreille et ferme les yeux. Son coude gauche est posé sur sa jambe. Sa main libre tient sa tête, comme si elle craignait qu'elle tombe, et ses pieds tapotent le sol.

— Décroche, décroche, décroche...

— Noona ? murmure son ami à l'autre bout du fil.

Pam ouvre les yeux et se lève brusquement.

— Sang-kyu ? Où tu es exactement ?

— Euh... À l'internat. Mon colocataire dort alors...

— C'est pour ça que tu parles tout bas ?

— Ouais, voilà.

Pam pousse un soupir de soulagement.

— Ça va, Noona ?

— Non, écoutes... C'est la merde. Le...

Elle se tait aussitôt. Non, elle ne doit pas parler du procureur Jeon. Sang-kyu paniquerait, et ensuite, ce sera son tour. Elle n'a pas besoin d'une crise d'angoisse en ce moment... Elle doit garder les idées claires.

— Comment ça ?

— Enfin, tu vois ce que je veux dire... Quel bordel, hein ? Désolé, je ne suis pas vraiment moi-même en ce moment...

— Ne t'inquiète pas, Noona.

Hors de question qu'elle enquête sur ce meurtre. C'est trop dangereux maintenant et il y a un ennemi dans son camp... Elle doit se concentrer sur l'histoire de Yae et de Poppy, sur les voitures repêchées, et sur l'agression de Young-sun. Le reste devra attendre. Elle aimerait être à trois endroits à la fois, mais elle ne peut pas... Elle doit réfléchir toute seule, c'est horrible. Bon sang, Young-sun lui manque tellement !

Mais elle ne peut s'empêcher de se sentir coupable, encore une fois. Ce jour-là, si elle avait accepté que le procureur Jeon la raccompagne, aurait-elle appris quelque chose qui aurait pu résoudre son meurtre aujourd'hui ? Ou alors, la solution la nargue-t-elle en ce moment-même, comme elle le ressent ?

Les regrets... C'est toujours quand c'est trop tard que les gens se disent « j'aurais dû faire comme ça » ou « j'aurais dû dire ça »... C'est là où Pam aurait bien besoin d'une machine à...

Brusquement, elle revoit Young-sun prendre son visage entre ses mains d'un air excité et lui dire :

— Notre voyage dans le temps... On l'a à cette époque !

Pam déglutit, le regard perdu dans le vide. C'est trop dur. Elle a besoin de lui... Pam sent sa gorge se serrer et sa vue se brouiller. Elle se sent stupide de pleurer sur elle-même alors que d'autres sont des situations pires que la sienne. Certains sont dans le coma tandis que d'autres sont morts ou déjà enterrés.

— Noona ? Ça va ?

— Fais juste attention à toi en ce moment, OK ? Je t'aime, lâche Pam avant de raccrocher.

Elle range son portable et s'assoit à nouveau sur les marches. Elle tente d'arrêter ses larmes mais... Il n'y a rien à faire. C'est une fontaine. Qui d'autre que Young-sun pourrait l'aider dans ce cataclysme émotionnel et énigmatique ?

— Je viens vous...

Pam se retourne en voyant le lieutenant Jung sortir de la Vieille Bâtisse avec gobelets.

— Par Bouddha... Ça ne va pas du tout, constate-t-il. 

Il s'installe à côté d'elle et lui tend l'un des gobelets.

— Ça va vous faire du bien.

Elle sèche ses larmes, renifle et saisit le gobelet. Elle le garde dans sa main pour avoir un peu de chaleur. Mais, son regard est fixé vers le sol.

— Je ne savais pas que vous aimiez le procureur Jeon à ce point, tente de blaguer le lieutenant Jung.

Pam pousse un petit rire et relève son regard sur le lieutenant Jung.

— Non, c'est que... Ça m'a fait bizarre. Je l'ai croisé par hasard, il y a presque un mois, en ville.

— Ah oui ? Où ça ?

Elle porte le gobelet à ses lèvres pour boire quelques gorgées du nectar réconfortant.

— À la supérette, ment-elle pour le bien de son enquête en off.

Encore une fois, elle a cette boule dans son ventre. Cette boule de culpabilité. Elle ne peut rien dire aux personnes en qui elle a confiance... Ils la prendraient tous pour une folle. Harin, Sang-kyu, Hyun-su, le lieutenant Jung, le docteur Kang... Elle serait bonne à interner avec tout ce qu'elle sait... Ou ce qu'elle croit savoir.

Pam observe le lieutenant Jung déguster sa boisson en regardant le parking d'un air un peu niais. Ses paroles à l'hôpital lui reviennent alors en mémoire.

— J'étais sincère. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vraiment de quoi que ce soit... N'hésitez pas.

Et si... Et si elle se confiait à quelqu'un ?

Young-sun n'est pas là, et elle ne peut pas avancer sans lui... Toute cette histoire et les autres enquêtes liées... C'est de la folie ! Si elle se confiait au lieutenant Jung, un autre point de vue pourrait être utile. Pam sait que Young-sun ne porte pas le lieutenant Jung dans son cœur... Mais elle n'a pas le choix. Elle ne se voit pas expliquer à un homme scientifique, comme le docteur Kang, cette histoire de réincarnation. Elle ne se voit pas non plus le raconter à ses amis... Ça pourrait les mettre en danger. Le lieutenant Baek... Encore pire ! Non, son seul atout, c'est un homme de loi et armé pour les défendre : le lieutenant Jung. Nonobstant, elle doit jouer sur les deux tableaux. Elle ne peut pas tout dire au lieutenant Jung... Pas l'histoire des cold case avec le lieutenant Baek. Elle doit seulement lui raconter l'histoire de Young-sun. Il n'est pas très malin, alors... Avec un peu de chance, il ne fera pas le lien avec les voitures retrouvées, et il sera tellement choqué de cette histoire, qu'il en oubliera le reste...

Oui, elle doit le faire. Si Pam garde cette histoire pour elle toute seule, elle perdra la tête à coup sûr.

Ilwan-shi, j'ai une histoire à vous conter. Mais vous devez absolument la garder pour vous, et rien que pour vous... D'accord ?

— Euh, d'accord, mais... Quel genre d'histoire ?

— C'est une histoire de rêves brisés, d'injustice, de renaissance et de destin... Mais, c'est surtout une histoire d'amour.

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