CHAPITRE 10
6 Octobre 1963, 20h36
Il est fatigué. Il est un peu irrité... Mais il ne peut pas vraiment en vouloir à Poppy. C'est un peu la faute de Mary... Et celle de Jungsook.
Sa Cortina éclaire faiblement la route de campagne qu'ils empruntent. Il espère qu'on lui a indiqué le bon chemin... Ils sont bien éloignés de Séoul. Et il n'a pas pensé à prendre une carte avec lui.
Il jette un rapide coup d'œil à Poppy qui semble encore sous le choc de ce qu'elle a vu plus tôt. Enfin, pas sous le choc, mais, elle a l'air un peu ailleurs... Elle a l'air perdu dans ses pensées et mordille son pouce droit.
— Gwaenchanayo ? questionne-t-il.
Poppy se redresse et le regarde. Elle hausse doucement les épaules. Il ne sait pas si elle fait ça parce qu'elle n'a pas compris ce qu'il vient de lui demander ou si elle ne sait juste pas quoi répondre. Il hésite longuement à poser sa main sur la sienne tout en gardant un œil sur la route. Il a bien aimé cette fin de soirée avec elle, malgré tout... Et il se dit qu'ils pourraient se revoir le temps de son séjour ici... Il l'apprécie. Beaucoup. Mais il ne sait pas comment elle va réagir. Mais s'il ne le fait pas, il ne pourra jamais savoir et il aura des regrets. Il prend alors une décision.
Maladroitement, il vient poser sa main droite sur celle de Poppy. Elle sursaute sur le coup et il sent son regard. Il s'attend à ce qu'elle le gifle à tout instant... Mais ce n'est pas le cas. Quand il jette rapidement un coup d'œil en sa direction, il aperçoit son sourire timide. On dirait bien qu'elle rougit aussi... Il serre alors doucement sa main et sourit à la route. Parler des langues différentes n'empêche pas une bonne communication et une bonne entente tout compte fait...
Il veut la regarder à nouveau, mais, au même moment, Poppy pointe du doigt quelque chose devant elle en hurlant. Yae appuie sur la pédale de frein pendant plusieurs secondes. La voiture s'immobilise juste devant un jeune homme en train de leur faire de grands signes avec ses bras. Poppy reprend son souffle. Yae relève son regard sur le jeune homme. Il baisse sa vitre. L'homme se rapproche pour lui parler.
— Rien de cassé ? Vous êtes sorti de nulle part ! s'énerve Yae.
— Désolé monsieur mais... Ma femme et moi, on vient d'avoir un petit accident avec notre voiture.
Il pointe du doigt une femme accroupie derrière lui. Les phares de Yae illuminent la scène. Elle est de dos et semble pleurer. Une voiture bleu clair est garée sur le bas-côté un peu plus loin. Yae ne distingue pas la marque, mais on dirait bien une Shinjin.
— Je vois... Vous faisiez de l'auto-stop ?
— Oui, la voiture est complètement dans le ravin... Impossible de la dégager avant demain matin. Si vous voulez bien nous emmener en ville, ma femme et moi, nous vous serions très reconnaissants...
— Mais quel ravin ? murmure Poppy en anglais.
— J'arrive, je vais sortir pour vous aider. Je crois avoir une trousse de secours pour votre femme.
— Oh, merci monsieur !
L'homme s'éloigne et s'accroupit avec sa femme comme pour la réconforter. Yae remonte sa vitre, se détache et s'apprête à ouvrir sa portière, mais Poppy lui prend brutalement le bras. Il se tourne vers elle.
— Quoi ?
— Ne descends pas ! Je trouve ça pas normal !
Il ne comprend pas ce qu'elle dit... Mais elle secoue la tête. On dirait qu'elle a peur de quelque chose.
— Il faut aller les aider, répond-il en coréen.
Elle secoue la tête et pointe l'autre voiture du doigt.
— J'ai déjà vu cette voiture... Près du parc ! Ils nous ont suivis !
Yae fronce des sourcils. Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? On dirait qu'elle ne veut pas les aider. C'est idiot ! Poppy continue de secouer la tête.
— Ne descends pas, s'il te plait... Ne me laisse pas toute seule.
Il voit de la terreur dans son regard. Il lui sourit doucement et vient serrer sa main.
— Ne t'inquiète pas Poppy, je reviens tout de suite.
Il ouvre sa portière. Poppy lui souffle quelque chose qu'il ne comprend toujours pas. Elle finit par le lâcher. Elle se détache à son tour et sort de la voiture. Elle se précipite vers Yae et lui prend le bras... Elle se cache même derrière lui tout en regardant l'autre couple.
Yae ne la rejette pas. Il trouve ça bizarre, mais il s'avance inquiet vers l'autre duo.
— Est-ce que votre femme peut se lever ?
Il remarque alors que la Shinjin n'est pas du tout dans le ravin. Ils ont dû mal voir avec l'obscurité... Poppy serre le bras de Yae comme pour le prévenir d'un danger. L'homme se lève et se gratte la nuque.
— Oui, elle va se lever... Si vous levez les mains en l'air.
Yae aperçoit un pistolet dans ses mains. Bordel... D'où le sort-il ? L'avait-il déjà quand il est venu le voir ? Est-ce que c'est ce que Poppy a essayé de lui dire ? Quel con !
Poppy réagit tout de suite et lève ses mains en l'air. Elle est déjà paniquée. Yae serre la mâchoire et l'imite lentement. Il la met derrière elle pour la protéger, ce qui fait rire nerveusement l'autre homme.
La femme se relève et se met à rire. Elle aussi à une arme à feu dans ses mains. Le couple s'avance vers eux. La femme entre dans la voiture de Yae et ferme la portière, tandis que l'homme les dirige vers l'autre. Il ouvre le coffre et pointe l'intérieur avec son arme.
— Entrez là-dedans. Tous les deux.
Yae regarde le coffre. Il est minuscule. Jamais ils ne tiendront dedans à deux !
— C'est ridicule... Vous voulez de l'argent ? Je peux vous donner de l'argent.
L'homme point son arme sur Poppy. Elle se met à pleurer. Mais il ne lâche pas Yae du regard.
— Tu fermes ta gueule et tu montes dedans, sinon je bute ta femme tout de suite.
Yae serre les poings et la mâchoire. Il monte le premier dans le coffre et s'allonge du mieux qu'il peut... Il est obligé de se recroqueviller. Puis, Poppy le rejoint et se colle à lui. L'homme ferme violemment le coffre et la lumière des phares disparait de leur champ de vision.
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