Interview de Hanaoshi🥈
1 - Bonjour, vous êtes...
Hanaoshi, une jeune femme casanière qui séjourne souvent dans son lit - la matrice de mon imaginaire. Je ne mords pas ceci dit, on peut donc me tutoyer :)
2 - Tu as gagné le 2eme prix de la catégorie " Aigle ". Quand as-tu commencé/terminé ton histoire ?
J'ai débuté la rédaction de cette fiction le lundi 03 mars 2019, comme il est indiqué en tant que date dans la " Lettres aux tranchées I ". C'était à l'occasion d'un enseignement dans le cursus de mon sixième semestre en Lettres modernes qui portait sur le conte et l'intertextualité. On s'est intéressé au conte créole et sa morphologie ; et le CC2 n'était qu'une écriture d'invention respectant cette ossature. J'ai profité de cette occasion pour laisser libre cours à mon imagination et surtout faire éclore cette histoire qui demeurait en un coin de ma tête.
Il faut dire que la morphologie est particulière. Par exemple, elle se différencie bien de la littérature française classique avec ses avant-propos et son prologue qui peuvent se détacher de l'histoire. Car dans le conte créole, dans le cas de ceux influencés par la tradition orale, le récit se partage en deux parties que l'on va appeler : premier discours et deuxième discours. Je vais vous faire un petit cours.
Le premier discours. Il concerne le conteur. À savoir, ce dernier rapporte tout le périple qu'il a parcouru jusqu'à son auditoire pour lui raconter une histoire. C'est un cheminement qui peut être long, douloureux, ou drôle comme un monde à l'envers... mais il arrive toujours à destination, et s'exclame : " Yékri Yékra, est-ce la cour dort ? " Non, la cour ne dort pas ! nous lui répondons. C'est un exemple d'introït qui ne se fait toutefois qu'à l'oral lors de " soirées contes " à la pleine lune. L'écrit se doit alors de chercher des méthodes pour arriver à cette interaction avec un auditoire qui se transforme en lectorat.
Mais reconcentrons-nous : pourquoi mettre en avant le périple du conteur, alors que ce qui nous intéresse d'ordinaire est l'histoire du personnage ? La réponse est simple. Le conteur n'est pas dans le folklore antillais un simple narrateur qui raconte une histoire. Non. Son rôle détient une plus grande profondeur. Car il est la voix, cette Parole sacrée qui doit être de tous respectée. Alors, malheur à celui qui ose l'interrompre ! Le conteur est tel messager qui traverse ciel et terre pour apporter la connaissance au peuple, ce récit jugé bon d'être entendu de tous. Il a donc autant d'importance que le personnage principal qu'il incarnera par la suite pour raconter ses aventures.
Dans Core et lianes de fer, ce premier discours se traduit ainsi par une lettre écrite par le narrateur qui engage un -je et un -nous. L'expression " Mes chers bien-aimés " suppose une relation privilégiée entre le destinataire-conteur et les destinateurs qui accordent sûrement un profond égard pour ce dernier. Ils entretiennent une correspondance avec lui, et le narrateur s'exprime véritablement comme une personne détenant une certaine connaissance par un discours quelque peu philosophique. Sa parole est sacrée. Concernant son périple, celui-ci n'est cependant effectué de manière physique/matérielle tel qu'il est réalisé d'ordinaire. Mais d'une façon intellectuelle : on assiste à la construction du pensée réflexive qui, au fur et à mesure, nous amène à un point de chute → cet instant précédant le deuxième discours qui concerne l'histoire du personnage principal. D'où le sous-titre de la troisième partie " Ode à la grandeur " (il faut bien prendre de la hauteur pour mieux tomber), suivi de celle intitulée " Éclosion d'une âme oubliée ". Cette dernière présente le personnage de Core qui vient tout juste de subir une véritable chute dans l'intrigue. Fin du cours.
Cette histoire n'est pas encore terminée.
3 - Quelles ont été tes premières inspirations ?
Je les compte au nombre de trois.
1/ Mes enseignements à l'université. Particulièrement celui où l'on a étudié deux œuvres, L'esclave vieil homme et le molosse de Patrick Chamoiseau et Le commandeur du sucre de Raphaël Confiant, pour traiter le thème de l'habitation-plantation. Le contexte de la première est esclavagiste, et pour la deuxième, il est post-esclavagiste. Les deux personnages principaux m'ont beaucoup attiré par leur quête de liberté, la reconquête d'eux-mêmes, et leur symbiose avec la nature. Sans oublier cette forme de souveraineté sur le réel qu'ils acquièrent dans l'accomplissement de soi et, au bout du compte, de leur propre histoire. C'est ainsi que je me suis mise à rêvasser en cours d'un héros à leur effigie, l'imaginant courir à travers le sous-bois vers son ultime destination. Je l'ai soigneusement mis en coin de mon esprit, et je me suis donnée la mission de parler de lui un jour ou l'autre, coûte que coûte.
2/ La musique. Après avoir écouté de nombreuses fois " Badass Battle Action: I'M NOT BURIED YET " d'Aram Zero au lieu de bien réviser pour mon contrôle, il a fait BOOM en mon esprit. J'avais certes mon héros, mais il n'avait encore de visage. Et c'est à cet instant que le personnage de Core a pris forme. Ça me fait rire, car j'ai tendance à visualiser la fin de la diégèse de mes grands projets d'écriture bien avant le début. J'ai ainsi pris connaissance de mon personnage à sa finitude. Oui, pour moi, cette musique traduit la transformation finale de Core qui ne manquera de se déchaîner sur tous et sur tout. Pourtant, c'est un être bon et plein d'amour. Comment est-il arrivé à cela ? J'ai mené mon enquête pour le savoir.
3/ Le genre du conte créole. C'est vraiment lui qui m'a permis de mieux embrasser mon univers et de le construire petit à petit. J'ai suivi la morphologie que j'ai plus haut évoquée mais que je n'ai toutefois détaillée (je précise n'avoir parlé que d'une caractéristique dans le cas de conte à influence orale). Je n'ai eu donc qu'à suivre cette ligne directrice sans m'écarter de mon âme pour garder ma personnalité à travers cette histoire.
4 - Trois adjectifs pour décrire ton personnage principal ? Et pourquoi ?
Core est un être imparfait qui a ses moments de faiblesse, voire de " lâcheté " comme lui-même qualifie durement ces instants où vacille sa volonté. Mais il demeure dévoué à " ses frères ", esclaves comme lui, quel qu'en soit le prix, si même cela requiert sa propre vie. C'est pourquoi, en affrontant des obstacles physiques, psychologiques et moraux, Core se révèle être une personne zélée dans le cheminement jusqu'à l'accomplissement de sa quête : libérer son peuple des chaînes de l'esclavage. Il est à préciser que ce zèle s'accompagne d'humilité, car il reconnaîtra le besoin d'autrui et de sa force, même celle de son ennemi, pour réussir son entreprise ; et il comprendra avec douleur que se sacrifier peut carrément signifier " totalement s'effacer " au profit des autres. C'est donc un héros aux exploits éblouissants qui n'aura son instant de gloire, et sera mis dans l'ombre de l'histoire. D'où l'enjeu du narrateur à travers cette œuvre de restaurer cette mémoire oubliée.
5 - Trois adjectifs pour te décrire ?
Flemmarde + sérieuse = indécise dans ce que je veux faire plus tard dans la vie. À vrai dire, je préfère encore parler de mes œuvres que de moi. Peut-être qu'en les lisant, on peut tenter de déceler qui je suis. Mais attention, " je est un autre " comme déclare Arthur Rimbaud. Je ne suis pas forcément ce que je dis et ce que je montre. Par contre, je l'avoue, j'ai plus haut menti en me présentant : oui, je peux mordre.
6 - Depuis quand et pourquoi écris tu ?
Je ne pourrai oublier ce jour : c'était pendant les grandes vacances de 2015. Un soir, vers 21h-22h, je suis sur le forum du dating game " Amour Sucré " à la recherche d'une bonne fanfic avec Castiel. Je découvre une qui m'attire par son titre et ses nombreuses vues. Mais au fur à mesure, je ressens une terrible frustration. Je ne suis pleinement comblée comme je le désire ! Il manque à chaque fois ce quelque chose pour m'emporter totalement ; et là, ça fait tilt et ça fait sens en mon esprit : qu'est-ce qui m'empêche d'écrire une histoire qui me plaira ? La vraie question que je me suis posée à cet instant est : " Pourquoi pas moi ? " Pourquoi les autres y arriveraient, et pas moi ? C'est ainsi que j'ai refusé catégoriquement de ne pas être capable de le faire. Et j'ai aussitôt éprouvé cette même détermination quant au dessin, car j'ai ressenti ce besoin d'illustrer le premier récit qui n'a tardé d'émerger en mon imaginaire. Voilà comment les prémices de mon style d'écriture sont finalement apparues, non par l'écriture contre toute attente, mais par le dessin. En effet, c'est étrange. Cela a cependant été ainsi, plutôt que de former des lettres, j'ai d'abord formé un visage.
Aujourd'hui, si je dois déterminer l'enjeu de mon écriture, je dirai que c'est tout d'abord un plaisir de voir son univers prendre forme d'une manière concrète. Ça l'est d'autant plus lorsqu'il est partagé avec les autres, et qu'il prend vie au son de leur voix au fil de la lecture. C'est enfin un privilège, je trouve, de pouvoir créer des émotions chez les gens par tous ces mots qui construisent le monde qu'on imagine. J'ajouterai pour conclure, que l'écriture me permet de prendre conscience de ma sensibilité et de mes insensibilités en notre monde qui m'entoure et qui est souvent au cœur de mes réflexions.
7 - Une saveur (acide, amer, sucrée, salée) qui caractériserait ton histoire ? Pourquoi ?
Oh, cette question tombe bien ! Je dirai que cette histoire est amère, et je préciserai aussi " âpre ". Core en en parle lui-même dès le début de son aventure :
- Chapitre III - Une voix d'antan, partie 1
" En moi, je fulmine.
Car mon corps fermente dans le dégoût et macère dans l'amertume - je déverse cette pourriture ! L'éclate au grand jour contre le tout et le rien où je rosse le sol en un acte de révolte. "
- Chapitre III - Une voix d'antan, partie 2
" Elle pousse des cris.
Des cris qui n'en sont désormais plus, mais des sons indéchiffrables dont le grave et l'aigu transpercent le cœur et le râpent sur l'âpreté de l'impuissance. "
Tout au long de l'histoire, notre héros fera face à des situations qui mettront à l'épreuve ce qu'il y a de plus humain au tréfonds de son être. Il faut dire que la réalité se montre souvent d'une cruauté qui le dépasse, et devant cela, il se retrouve à capituler. Certaines péripéties éveilleront de plus les réminiscences de son enfance douloureuse en tant que bâtard né d'une esclave et d'un maître Blanc profondément abjecte. Enfin, il sera pris, dans la dernière partie de l'histoire, d'une grande désillusion qui l'amènera plus tard à une sorte de folie.
Toutefois, c'est dans cette folie qu'un goût acidulé naîtra : c'est comme cela que je qualifierai cette " explosion " du personnage qui se fera au grand jour. Et le tout finira sur une note salée, car les larmes vont couler.
8 - Ta saveur préférée ?
Je monte au campus juste pour acheter leur bonne tarte aux fruits à la cafète alors que mes cours sont en ligne (j'ai ceci dit des choses à faire là-bas quand j'y vais). Toutefois, je ne saurai honnêtement choisir entre le sucré et le salé. Vive la nourriture !
9 - Comptes-tu continuer l'écriture ?
Il le faut.
10 - Un Conseil pour ceux qui démarrent ?
Les conseils des autres interviews sont très intéressants et j'approuve. Je dirai pour ma part, par rapport à l'expérience que j'ai eu avec Core et les lianes de fer, qu'il faut parfois prendre le temps de réfléchir au genre qui correspondra le mieux à notre histoire. Je n'avais qu'une simple idée au départ, un héros tout simplement. Avec le recul, je remarque que le genre romanesque n'aura pas embrassé toutes les dimensions de mon univers. Avec la morphologie du conte créole, j'ai eu un fil directeur facile à suivre. Pourquoi donc ne pas être un peu curieux quant aux genres provenant de littératures étrangères ? Vous y trouverez peut-être des caractéristiques qui alimenteront et guideront votre histoire.
-Et bien merci beaucoup et encore félicitations pour le concours !
Merci à vous, c'était un plaisir :)
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